Pas de philanthropie sans confiance
Mettre la confiance et la collaboration au cœur des relations entre les fondations et les organisations qu’elles soutiennent, tel est le fondement de la « trust-based philanthropy », ou philanthropie fondée sur la confiance. Un webinaire de l’initiative collective Racines était dédié à ce sujet le 17 octobre dernier.
La philanthropie fondée sur la confiance propose une alternative aux modèles de fonctionnement traditionnels des fondations qui reposent souvent sur des pratiques issues du monde de l’entreprise : sélectivité forte, contrôle strict de l’utilisation des fonds, indicateurs de performance quantitatifs et de court-terme… Ces pratiques limitent l’agilité et la liberté d’action des organisations bénéficiaires et induisent une asymétrie dans leurs relations avec les fondations. Un paradoxe au regard du rôle d’innovation et d’expérimentation que la philanthropie peut jouer.
Faire évoluer la relation financeur-financé
Le webinaire a eu lieu dans le cadre de la série de rencontres organisées par Racines , une initiative lancée par plusieurs acteurs de l’intérêt général et de la recherche pour développer l’approche systémique dans le secteur philanthropique. Cette nouvelle édition avait pour objectif d’explorer l'évolution des relations entre fondations et organisations bénéficiaires. Au cœur des échanges : le programme expérimental « Inventer demain », initié en 2020 par la Fondation de France en pleine crise sanitaire. Parmi les intervenants, Marion Ben Hammo, responsable du programme à la Fondation de France, Marie-Stéphane Maradeix, doctorante à l’Executive PhD de l’Université Paris Dauphine-PSL sur le thème de la philanthropie fondée sur la confiance, et plusieurs représentants d’associations. Ce temps d’échange a permis de partager un certain nombre de constats et d’avancées.
Tout d’abord sur ce qu’on entend précisément par « philanthropie fondée sur la confiance », qui implique une évolution dans la manière dont les fondations travaillent. L’objectif : favoriser l’autonomie et la liberté d’action des associations soutenues et leur permettre de s’investir pleinement dans leurs missions sociales. Comment ? En privilégiant l’accompagnement dans la durée, en limitant et simplifiant les démarches administratives et de contrôle, en proposant des financements pluriannuels, en offrant un accompagnement collectif et/ou personnalisé au-delà du simple financement, en tenant compte des retours d’expérience.
La philanthropie fondée sur la confiance constitue ainsi un cadre favorable à la mise en œuvre d’approches systémiques, qui demandent du temps et de la souplesse pour agir à la racine des problèmes en tenant compte de leur imbrication. Les fondations assument ainsi clairement une part d’incertitude et adaptent leurs cadres méthodologiques et modalités de suivi.
C’est ce que souligne Guilhem Mante, responsable de pôle à la Fédération d’Entraide Protestante : « L’expérimentation EN ACT, portée par la Fédération d’Entraide Protestante , menée sur quelques territoires, vise à faciliter l’intégration par le travail des personnes en situation irrégulière. C’est un sujet complexe qui nécessite de créer un dialogue entre de nombreuses parties prenantes : entreprises, syndicats, collectivités, autorités préfectorales, personnes concernées… Tout cela demande du temps et comporte de nombreuses incertitudes. Soutenir cette expérimentation, comme l’ont fait La Fondation de France et la Fondation Porticus, suppose ainsi de prendre des risques et d’adopter une approche fondée sur la confiance ».
« Inventer demain » : la confiance en actions
L’expérimentation EN ACT est l’une des initiatives soutenues dans le cadre du programme « Inventer demain ». Ce dernier réunit 23 associations « acteurs clés de changement », dans différents secteurs de l’intérêt général, qui partagent l’ambition de faire évoluer les dispositifs existants, et une culture de la coopération. Le programme repose sur trois piliers propres à la philanthropie fondée sur la confiance : un financement à la structure, et non au projet, pluriannuel et évolutif ; un accompagnement individuel ; et une dynamique collective de partage entre pairs pour permettre l’émergence de coopérations. Une confiance qui n’exclut pas un suivi rigoureux des associations partenaires soutenues, sous des formes adaptées : « la modalité de suivi est l’entretien individuel, qui transforme le reporting écrit en un moment d’échange et d’accompagnement, une fois par trimestre. Ces entretiens sont structurés autour des actualités du partenaire et de la Fondation de France, mais aussi autour des difficultés rencontrées », précise Marion Ben Hammo, responsable du programme à la Fondation de France.
Ces temps d’échange réguliers contribuent à créer une relation horizontale de confiance et de « compagnonnage » : « La confiance ne se déclare pas, elle se construit grâce aux nombreux moments d’échange et à l’approche réellement collaborative du programme. Nous pouvons être authentiques, parler librement de la réalité du terrain, avec les réussites et les difficultés, et ainsi trouver des solutions ensemble », explique Cécile Thueux, coordinatrice du collectif Tous Dehors France , soutenu dans le cadre du programme « Inventer demain ».
La pandémie de Covid-19, un catalyseur de changement dans la pratique philanthropique
Si la volonté de mettre en œuvre des relations plus équilibrées entre les fondations et les structures qu’elles soutiennent s’exprime clairement depuis une quinzaine d’années, en particulier sous l’impulsion d’acteurs américains comme le Whitman Institute, à l’origine du « Trust-based philanthropy project », cette dynamique s’est fortement accélérée durant la pandémie de Covid-19.
En effet, lors de la crise sanitaire, « les fondations ont fait preuve d’une grande réactivité et ont su adapter leurs pratiques : non seulement en soutenant de nouvelles associations et en augmentant les ressources allouées, mais aussi en assouplissant leurs procédures et en favorisant la coopération pour faire face à l’urgence et à l’ampleur des besoins », souligne Marie-Stéphane Maradeix.
Dans un contexte de crises multiples où il est urgent d’agir dans la durée en tenant compte de l’imbrication des enjeux, la philanthropie fondée sur la confiance a de beaux jours devant elle : « Lorsque nous avons initié le programme expérimental « Inventer demain » à la Fondation de France, l’objectif était d’inspirer d’autres acteurs, d’ouvrir des voies vers de nouvelles approches philanthropiques où le cadre de contrôle devient un cadre de confiance. C’est très encourageant de constater que de plus en plus de fondations font évoluer leurs relations avec les associations soutenues vers plus d’horizontalité », conclut Marion Ben Hammo.
POUR ALLER PLUS LOIN
→ Rencontres "Inventer Demain" : incarner ensemble le changement systémique
→ Agir à la racine : quatre questions à Jean-Marie Bergère
→ Inventer demain