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David Colon : « L’information est un bien commun, un bien public, aussi indispensable que l’air que l’on respire »

5 mars 2025

David Colon, lors de la Journée des Fondateurs 2024 © Cyril MarcilhacyEntretien avec David Colon, professeur agrégé d’histoire et chercheur à Sciences Po Paris, spécialiste des médias et de la manipulation de masse.

Dans "La Guerre de l’information : les États à la conquête de nos esprits", votre dernier ouvrage, vous analysez les mécanismes de cette nouvelle forme de guerre qui se déroule aujourd’hui dans l’espace informationnel avec des armes comme la désinformation, la mésinformation ou encore la manipulation de l’information. Que recouvrent ces notions ?

La désinformation consiste à diffuser une information que l’on sait fausse dans le but de nuire. La mésinformation, quant à elle, est le fait de propager une information fausse en ignorant sa fausseté. La manipulation de l’information recouvre non seulement ces deux notions mais implique également le recours à la diffusion d’informations parfaitement authentiques dans le but de provoquer l’altération de la perception de la réalité. La manipulation de l’information est donc la notion la plus large qui englobe toutes les autres.

Qui sont les principaux acteurs à l'origine de la désinformation aujourd'hui ?

Ce sont d’abord des gens qui diffusent de fausses informations dans le but de générer des recettes publicitaires. La désinformation est un marché gigantesque, évalué à plus d’une dizaine de milliards par an. Les médias traditionnels dépendaient eux aussi de recettes publicitaires et avaient recours pour certains à la désinformation, mais le développement des médias numériques, capables de toucher plusieurs milliards de personnes chaque jour, nous a fait basculer dans une autre dimension.

Les caractéristiques des systèmes algorithmiques et la quête de croissance maximale favorisent la propagation virale de contenus haineux ou portant atteinte à la cohésion de la société. Le système serait pourtant facile à changer : par exemple en supprimant le simple bouton « partage », vous n’empêchez personne de transférer l’info par un copié-collé mais vous évitez la propagation des contenus les plus toxiques, sachant que ce sont ces derniers qui se partagent le plus… Il faudrait juste revoir les algorithmes, mais il n’y a pas de volonté. L’arbitrage entre croissance de la plateforme et des recettes publicitaires d’une part, et intégrité des contenus proposés d’autre part, est toujours rendu en faveur de la croissance.

La désinformation provient aussi d’acteurs malveillants agissant pour le compte d’États ou d’organisations non étatiques ou d’industries. Russie, Chine, Iran… partout dans le monde, les régimes autoritaires ont compris depuis 30 ans que l’essor d’internet et des médias sociaux représentait une menace pour leur pouvoir. Ils ont craint la propagation de ce virus de la liberté, des droits humains, de la vie politique multipartite… et ont donc entrepris non seulement de contrôler internet à l’intérieur de leur territoire, mais aussi de retourner cet outil informationnel contre les régimes démocratiques eux-mêmes. Le meilleur moyen de survivre, selon eux, étant de tuer les démocraties de l’intérieur. Nous assistons donc à une guerre de l’information, qui est une guerre à mort entre régimes démocratiques et régimes autoritaires.

Comment la manipulation de l’information vient-elle menacer les régimes démocratiques ?

La stratégie consiste à s’attaquer aux fondements mêmes de toute démocratie effective. Le premier fondement est la confiance envers les institutions, le processus électoral, les résultats des urnes, ou encore les médias. Attaquer cette confiance est le plus sûr moyen de déstabiliser les démocraties.

Ensuite, il s’agit de fragiliser la cohésion sociale en favorisant les divisions partout où elles préexistent dans la société et en amplifiant leur perception pour faire en sorte qu’un sujet clivant devienne central dans le débat public et encourage une polarisation politique croissante.

Enfin, un autre moyen très puissant utilisé par les acteurs antidémocratiques est de saper la confiance dans l’exactitude des faits rapportés, de fragiliser la frontière entre les faits et les opinions, d’affaiblir la distinction entre le vrai et le faux, et de priver ainsi les citoyens des sociétés démocratiques de la capacité à prendre des décisions rationnelles. L’essor des théories du complot est dû à une multitude d’acteurs qui visent à fabriquer du doute, pour couper un nombre croissant d’individus de la perception de la réalité.

Cette manipulation de l’information est devenue d’autant plus facile depuis que nous avons changé de régime informationnel et que nous accédons majoritairement à l’information par les médias sociaux. On l’a bien perçu par exemple pendant la pandémie : une étude publiée il y a 1 an a révélé une différence très notable entre ceux qui avaient consulté des médias traditionnels en ligne et ceux qui s’étaient informés via Facebook. Les premiers ont été confrontés à moins de 3 % de contenus non fiables, les seconds à plus de 20 %.

En laissant ces plateformes se constituer en oligopole et se doter d’un pouvoir inédit dans l’histoire humaine, nous sommes maintenant en présence d’une menace systémique inédite pour nos démocraties.

Y-a-t’il des solutions pour contrer cette menace informationnelle et démocratique ?

La réglementation, notamment européenne, est une illusion. Le DSA (Digital Social Act) a le mérite d’exister, mais en raison du lobbying intense à toutes les échelles, la volonté politique d’appliquer le DSA ne fait pas le poids. A Bruxelles, tandis qu’environ 150 salariés sont chargés de mettre en œuvre le DSA, 1 millier de personnes sont engagées par les plateformes de médias sociaux, toutes non européennes, pour entraver sa mise en œuvre...

Dans ce contexte, la sensibilisation est primordiale mais il faut aussi proposer des alternatives concrètes immédiates et des moyens de se repérer dans un chaos informationnel de plus en plus déstabilisateur. Par exemple, le marché du marketing d’influence a vu sa taille multiplier par 10 en 8 ans. Désormais, une bonne partie des conduites économiques, politiques et sociales, des jeunes générations notamment, sont déterminées par des influenceurs sur Youtube, TikTok, Instagram. C’est la raison pour laquelle, on pourrait envisager, comme le proposaient les Etats généraux de l’information, une certification des influenceurs qui s’engageraient à ne pas promouvoir un produit dont ils ne sont pas assurés eux-mêmes des bienfaits, à ne pas contribuer à la diffusion d’une information qu’ils savent fausse, à ne pas agir pour le compte d’un Etat étranger pour interférer dans un processus électoral d’un débat démocratique. Si nous offrions simplement la possibilité aux utilisateurs des médias sociaux de distinguer des influenceurs certifiés d’autres qui ne le sont pas, on résoudrait une partie du problème.

Du côté des entreprises, orienter le budget des campagnes publicitaires vers ces influenceurs éthiques réduirait considérablement la toxicité des environnements informationnels. Il en va de même pour les investissements publicitaires dans les médias : si les grandes entreprises orientaient leurs investissements publicitaires vers des médias de qualité ou certifiés, cela réduirait d’autant la part de leurs budgets publicitaires qui atterrit dans la poche de désinformateurs.

Mais la solution la plus concrète et efficace serait de créer des plateformes de médias sociaux européennes qui respectent, dans leur conception algorithmique, les textes en vigueur dans l’UE et nos valeurs et libertés d’information, d’opinion et d’expression.

Quelles sont les initiatives vertueuses qui émergent de la société civile ?

Dernièrement, le collectif Hello Quitte X a montré l’exemple. Il a conçu un outil de portabilité des données, permettant de quitter une plateforme ou un réseau social sans perdre ses abonnés ni ses abonnements. Pour mémoire, la portabilité des données est inscrite dans la réglementation européenne et française depuis 2016. Pourtant, jamais depuis 8 ans elle n’a été mise en œuvre à cause du refus des plateformes de laisser partir leurs utilisateurs. Le collectif Hello Quitte X vient de changer la donne.

Autre exemple dans le champ de l’intelligence artificielle : le récent partenariat entre l’Agence France Presse et Mistral AI qui permet à Mistral de développer son système d’apprentissage informatique à partir des contenus fiables de l’AFP. Ce sont des alternatives très intéressantes pour échapper aux récits de désinformation.

Comment la philanthropie peut-elle contribuer à ces enjeux majeurs ?

La philanthropie peut contribuer à la protection de l’espace démocratique en encourageant toutes les initiatives qui visent à protéger l’intégrité de l’espace informationnel, ou en se portant au secours de médias locaux fragilisés. Elle peut aussi contribuer à renforcer la fiabilité de l’information, notamment numérique, par la création de nouvelles plateformes de médias sociaux.

Il nous faut défendre l’idée que l’information n’a pas vocation à être exclusivement un bien commercial mais un bien commun, un bien public, qui est aussi indispensable que l’air que l’on respire. Nous n’acceptons pas - et nous avons raison, que cet air soit pollué. Pourquoi accepter que l’information le soit ?

Étant donné la gravité de la situation à la fois géopolitique et numérique, je ne doute pas qu’un sursaut en la matière se produise bientôt et que la conjonction de bonnes volontés, de savoir-faire et de financements externes nous permettra de faire advenir les médias sociaux dont nous avons besoin.

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