Rencontres « Inventer Demain » : incarner ensemble le changement systémique
C’est dans le Lot-et-Garonne, au cœur du territoire où l’association TERA déploie son projet d’écosystème coopératif, que se sont réunis fin mai pour leur séminaire biannuel les 23 Acteurs clés de changement (« ACDC ») du programme Inventer Demain, initié par la Fondation de France. Trois jours de vie commune et de partage pour renforcer les liens, croiser les regards et les expériences, réfléchir aux enjeux de l’approche systémique et faire naître de nouvelles coopérations.
Au programme de ce sixième séminaire : temps d’échanges pour mettre en commun les expériences, idées et ressources et favoriser les synergies entre associations, ateliers de travail sur les modèles économiques, le plaidoyer auprès des financeurs, la valorisation commune du programme… Mais aussi une table-ronde sur l’engagement de la jeunesse en milieu rural animée par l’association InSite, des visites des villages où TERA met en œuvre ses projets, et d’essentiels moments de convivialité, comme une soirée de théâtre d’improvisation, un concert d’euphonium et un « bal-guinguette » pour resserrer encore davantage les liens entre les « ACDC » qui évoluent ensemble depuis maintenant 3 ans.
Ces rencontres ont été totalement coorganisées par la Fondation de France et les associations TERA et InSite, toutes deux engagées dans la revitalisation des territoires ruraux et la lutte contre leur désertification. « En coconstruisant ce séminaire, nous avons la fierté d'apporter au groupe de la réciprocité et ce qu'InSite incarne profondément : la convivialité au service du lien social. Le « faire ensemble » est une particularité et une des forces de ce programme », souligne Elodie Tesson, directrice générale de l’association InSite.
Parmi les autres « ACDC » présents, l’association Point d’eau, qui accueille et accompagne des publics en situation de grande précarité à Grenoble en les impliquant dans le fonctionnement et l’animation de la structure ; Festin, qui agit pour l’insertion socioprofessionnelle des personnes en situation de précarité par le biais de la cuisine et de la restauration ; Yes We Camp, qui transforme des espaces urbains disponibles en lieux hybrides de vie et d’innovation sociale ; ou encore Working First, qui vise l’accès à une citoyenneté pleine et entière des personnes vivant avec des troubles psychiques.
Pour une philanthropie fondée sur la confiance
« Les Acteurs clés de changement forment une vraie communauté de valeurs et d’action. En initiant le programme Inventer Demain en 2020 à la suite de la crise sanitaire, nous souhaitions réunir des associations qui mettent en place des initiatives dans tous les domaines de l’intérêt général et à différentes échelles territoriales, avec une ambition réellement transformative. Aujourd’hui, il permet très concrètement de repenser la relation classique « financeur-financé » : l’objectif est de construire une philanthropie fondée sur la confiance par un accompagnement de long terme des associations, un financement à la structure et un parcours réflexif commun. Dans le programme, la Fondation de France et les associations accompagnées agissent main dans la main avec un horizon commun : nous sommes tous des Acteurs clés de changement », explique Marion Ben Hammo, responsable du programme.
Ce matin-là, à la grande tablée du petit déjeuner, Jean-Marie Bergère, Président du comité Inventer Demain, Rose Meunier, membre du comité, et plusieurs porteurs de projets échangent sur ce que leur apporte le programme et ces moments de rencontre privilégiés qui se tiennent deux fois par an depuis 2021. « Ce sont à la fois des temps de travail actif mais aussi de répit, pour prendre de la hauteur et nous ressourcer. Nous sommes tous dans l’expérimentation et nous avons besoin de partager nos pratiques et préoccupations pour affiner et renforcer notre action. Ces séminaires de trois jours nous permettent de vivre une expérience collective avec une forte dimension émotionnelle. Tout ce que nous partageons durant ces moments passés ensemble infuse ensuite dans les projets que nous menons au quotidien avec nos associations », souligne Clémence Coulais, coordinatrice au sein de l’association Point d’eau.
« Grâce au programme Inventer Demain, j’ai rencontré des porteurs de projets que je n’aurais probablement jamais pu croiser autrement. C’est essentiel de se nourrir de ce que font d’autres acteurs qui partagent la même approche systémique, et de s’ouvrir à d’autres sujets. Après plusieurs séminaires, les relations se sont approfondies, la confiance au sein du groupe est de plus en plus présente. Cela renforce notre volonté d’avancer ensemble et de mettre en place des coopérations », poursuit Carole Guillerm, responsable du restaurant Les Beaux Mets de l’association Festin.
L’écosystème TERA : une démarche de développement territorial innovante
S’inspirer et découvrir sur le terrain ce que mettent en place les Acteurs clés de changement dans les territoires est un autre objectif de ces rencontres. Le séminaire a ainsi été ponctué de temps de découverte des projets que l’association TERA met en œuvre sur le territoire et de rencontres avec les maires des différentes communes : « la raison d’être de TERA est de créer les conditions matérielles et immatérielles pour favoriser le bien-être et le mieux-vivre ensemble des habitants du territoire de Tournon-d’Agenais. Pour cela, nous construisons progressivement tout un écosystème d’acteurs et de lieux pour développer les activités économiques de manière concertée et relocaliser la production vitale, qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’habitat, de l’énergie… dans le respect des humains et de la nature », explique Frédéric Bosqué, initiateur du projet.
L’association développe actuellement dans le hameau de Lustrac, sur la commune de Trentels, le « premier quartier rural de France source de revenus relocalisés et durables pour ses habitants, ses entreprises et ses collectivités territoriales ». Ce projet se construit en lien étroit avec la commune et les habitants. Sur cette parcelle de 4 hectares, où on trouve déjà un jardin partagé favorisant le lien social, seront installés progressivement un Centre d'Ecoconstruction de Ressources et de Formation (CERF), des activités de production, notamment dans le domaine alimentaire, des commerces, mais aussi une zone d'habitations comprenant des parties communes pour les futurs habitants du quartier ainsi qu'une zone de loisirs et d’habitats légers pour héberger les futurs stagiaires et les écotouristes. « Le CERF sera le premier bâtiment du futur quartier rural, avec une fin de chantier prévue à l’été 2025. Nous y proposerons notamment des formations à l’écoconstruction, à la fois pour les professionnels et les particuliers, comme une formation pour bâtir des maisons autonomes ou encore apprendre à concevoir des quartiers ruraux. Développer localement cette filière répond à plusieurs objectifs : créer des emplois en lien avec la transition écologique, mais également inciter de nouveaux habitants à venir s’installer plus facilement et rapidement sur le territoire », explique Sandrine Maximilien, membre de TERA.
A quelques kilomètres de là, sur la commune de Masquières, l’activité bat son plein à la Ferme de Lartel, premier projet lancé par l’association sur le territoire : maraîchage, fabrication de pain et de bière, préparation de repas, notamment pour les personnes travaillant sur le chantier du CERF… autant d’activités productives qui mobilisent une équipe de plusieurs salariés et bénévoles. Les produits sont ensuite vendus à l’épicerie L’Alvéole, située sur la bastide de Tournon-d’Agenais, siège social de l’association. Articulé autour de ces 3 lieux, l’écosystème coopératif TERA compte aujourd’hui 450 adhérents.
Par le modèle de développement innovant qu’il propose pour revitaliser ce territoire rural, combinant activités économiques soutenables, création d’une monnaie citoyenne locale, renforcement de la cohésion sociale et gouvernance basée sur la coopération entre tous les acteurs, l’écosystème coopératif TERA est une illustration très concrète de l’approche systémique partagée par tous les « ACDC » pour transformer de manière profonde et durable les structures et les modes de vie.
« Le projet TERA est très expérimental et le programme Inventer Demain de la Fondation de France nous a beaucoup aidés dans sa structuration, explique Frédéric Bosqué. En rejoignant la communauté des Acteurs clés de changement, nous avons compris que nous n’étions pas seuls dans ce type de démarche innovante, nous avons pu la formaliser davantage, et donc la renforcer. Ce programme est très novateur et n’a pas d’équivalent dans le secteur de la philanthropie en France. Il repose sur le dialogue, l’horizontalité, la bienveillance, le faire ensemble. Il donne une vraie légitimité à l’approche systémique qui est souvent mal comprise. »
Crédit photo : Cécile Gayrard