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Diane Dupré la Tour : « La relation est un besoin humain fondamental »

8 novembre 2024

 

Alors qu’un tiers des Français est en situation de fragilité relationnelle*, Les Petites Cantines offrent à des personnes de tous horizons la possibilité de se rencontrer autour des plaisirs de la table. Diane Dupré la Tour, cofondatrice de l’association, nous raconte les origines de son engagement et les enjeux de son projet.

En quoi consiste le projet des Petites Cantines ?  

Les Petites Cantines, c’est un réseau de restaurants. Cela peut paraître court comme définition, mais cela a le mérite de mettre en valeur la notion la plus importante : restaurer. Restaurer quoi ? Restaurer non seulement à travers des repas en alimentation engagée accessibles à toutes et tous, mais aussi restaurer nos relations.

Pour cela, nous avons conçu un modèle de restaurants à prix libre et participatifs. Visuellement, cela ressemble à de grandes cuisines ouvertes. Il y a de grandes tables en bois avec des chaises dépareillées, des fours, des éviers. Chaque Petite Cantine compte une trentaine de places assises, et offre une dizaine de places en cuisine participative.

On peut venir simplement déjeuner ou dîner, ou décider de venir mettre la main à la pâte. Éplucher les carottes, cuisiner, mettre le couvert, faire la vaisselle, couper le pain… D’autres encore mettent les pieds sous la table parce que parfois, ça fait du bien de prendre soin de soi. C’est un peu comme une prolongation du foyer dans l’espace public. Les repas sont en alimentation engagée : nous cuisinons du local, du circuit-court, des invendus bio du quartier… le tout dans une dynamique d’économie circulaire. Les repas sont proposés à prix libre, ce qui signifie que tout le monde donne quelque chose mais chacun donne ce qu’il veut. C’est le fondement de notre modèle économique.

Chaque Petite Cantine est une association autonome, appartenant à un réseau à but non lucratif. Pour venir y manger, il faut adhérer à l’association, c’est-à-dire à la cantine la plus proche de chez soi, à prix libre. Chaque cantine réunit entre 1000 et 2 000 adhérents actifs, et propose en général entre 5 et 8 services par semaine. Une personne salariée sur place gère le lieu, mais ce n’est pas elle qui fait la cuisine. Elle anime la communauté, pour que chaque convive se sente bien. Aux Petites Cantines, 97% des convives disent qu’ici, ils se sentent accueillis comme ils sont.

petites cantines illus« On peut venir simplement déjeuner ou dîner, ou décider de venir mettre la main à la pâte. » © Justine Nerini

Comment est né votre projet ?

Il y a 10 ans, j’ai vécu un drame personnel et j’ai eu la chance d’être très entourée. Il y a eu un véritable raz-de-marée de solidarité : des voisins et des habitants du quartier m’ont aidée, ils m’ont apporté des plats qu’ils avaient cuisinés et m’ont sortie de la dynamique de repli dans laquelle je me trouvais. À l’issue de cette expérience, j’ai eu besoin et envie de changer de vie pour me tourner vers un projet plus essentiel à mes yeux. C’est comme ça qu’est née l’idée des cantines de quartier.

La première cantine a ouvert en 2016, à Lyon. En 8 ans, le projet s’est développé à la fois à Lyon mais aussi à Paris, Lille, Strasbourg, Annecy, Metz, Mâcon, Grenoble ou encore Bruz, à côté de Rennes. La 14ème Petite Cantine ouvrira ses portes le 16 novembre prochain à Bagnolet. Une quinzaine sont actuellement en recherche d’un local, ou en cours de travaux ou de signature de bail. Nous accompagnons également des activités de restauration au sein de tiers lieux et d’autres projets de repas au service du lien social.

« La raison d’être des Petites Cantines, c’est de construire une société fondée sur la confiance. »

Quel est l’objectif des Petites Cantines ?

À l’origine, il s’agissait d’un projet très empirique : proposer un repas partagé aux habitants d’un quartier. Avec la pratique, nous nous sommes rendu compte à quel point la richesse relationnelle est essentielle. C’est un besoin humain fondamental, au même titre que se nourrir, avoir un toit, un travail, etc. Peut-être même encore davantage. Mais ce n’est pas inné. Il faut apprendre à entrer en relation les uns avec les autres. Et l’ingrédient indispensable à la qualité relationnelle, c’est la confiance : la confiance vis-à-vis des autres, mais aussi des institutions, du collectif… et la confiance en soi.

La raison d’être des Petites Cantines, c’est de construire une société fondée sur la confiance, de proposer des lieux où l’on (ré)apprend ce qui nous nourrit vraiment et qui offrent une expérience positive de l’altérité. Nous essayons de déconstruire cette croyance selon laquelle la différence est une menace pour le groupe. Ce qui compte, ce n’est pas la quantité des liens sociaux, c’est la nature de ces liens. Lorsque nous sommes uniquement avec des gens qui nous ressemblent, notre « moi » est renforcé, mais on peut passer à côté du « je » car c’est lorsque qu’on est confronté à des personnes différentes que l’on se rend compte de notre singularité et de notre place dans le groupe. Cela permet de passer du « moi » au « je ». Et lorsqu’on a un « je » en bonne santé, ça donne un « nous » en bonne santé. Voilà le pourquoi des Petites Cantines.

Quelles sont vos perspectives ?

À moyen terme, notre ambition est de constituer un réseau d’une cinquantaine de cantines de quartier.

En parallèle, je travaille à faire reconnaître la dimension relationnelle du repas. En effet celle-ci n’apparaît pas dans les critères officiels de l’alimentation durable, et ne figure dans aucun parcours de formation au métier de restaurateur. Je suis en train de concevoir, avec un chef, un module spécial de formation aux gérants de restaurants et aux personnes qui managent des équipes dans la restauration. C’est une initiative inédite, cette formation sera une première en France. Elle vise à faire prendre conscience aux restaurateurs qu’ils et elles sont l’un des acteurs clés du lien social en France. Dans ce contexte, nous rejoignons également le mouvement Restaure , aux côtés de structures telles que Yes we camp, Refugee Food, Bondir… Impulsé par l’association Festin  à Marseille, Restaure vise à remettre de la dignité, du plaisir, de la douceur et du lien humain dans les métiers de la restauration autour de quatre grands axes : promouvoir la place des femmes dans ce milieu, s’engager pour un management bienveillant et inclusif et encourager une restauration plus éco-responsable et plus solidaire. La Fondation de France a joué un rôle essentiel dans la construction de cette coalition d’ampleur nationale.

Diane Dupré la Tour, à propos de son livre Comme à la maison paru en 2024 aux Editions Actes Sud

commealamaison basse def« J’ai vécu une expérience d’emprise, qui a été, je crois, à l’origine de mon engagement personnel en tant que cofondatrice des Petites Cantines. C’est l’épreuve la plus difficile que j’ai traversée dans ma vie. Qu’est-ce que l’emprise ? C’est le fait de constater qu’une relation est en train de vous détruire, et de ne pas réussir à décider d’en sortir. Ses fils sont si invisibles et si complexes qu’on se sent comme un insecte pris dans une toile d’araignée. Pour en sortir, il m’a fallu opérer un pivot : celui de la confiance.

La confiance est une notion que tout le monde comprend, mais très difficile à cerner. Elle est souvent réduite à un rapport au risque.  On entend souvent des expressions comme « la confiance, ça se mérite » ou bien « la confiance n’exclut pas le contrôle », ou bien « se montrer digne de confiance ». Comme si la confiance était un pari sur la valeur de l’autre - ou d’un objet, d’une institution, d’un modèle socio-économique. Comme si, au fond, la confiance dépendait de quelque chose d’extérieur à nous-même. J’ai découvert notamment sur le sujet les travaux du philosophe Mark Hunyadi, auteur d’Au début était la confiance.

Je considère que la confiance est un muscle. Je crois que ce muscle, nous l’avons toutes et tous en nous, mais qu’il est parfois atrophié, et demande à être entraîné. La confiance n’est pas un pari sur la valeur de l’autre, mais sur la valeur de la relation qui nous unit. Cela pose mille questions : sur le lien social (tous nos liens se valent-ils ?), sur l’économie (où se situe la création de valeur ?), sur la politique (la démocratie ne suppose-t-elle pas des citoyens ayant appris à se faire confiance ?) etc.  A tel point que je crois que la confiance est l’enjeu majeur des transitions sociétales que nous sommes en train de vivre. Elle est à la fois un levier d’action individuelle (j’ai confiance en moi : je me sens capable), un levier de coopération (je fais confiance aux autres, personne ne réussira cette transition seul) et un levier de désirabilité (j’ai confiance en l’avenir : demain notre société sera plus juste et plus équitable qu’aujourd’hui). Pour libérer ce pouvoir d’agir, il y a un imaginaire à déconstruire autour de la confiance, et un autre à reconstruire. Cela ne passera pas tant par le discours que par l’expérience : la bonne nouvelle c’est que la confiance est une expérience hautement transmissible. Nous en faisons l’expérience tous les jours aux Petites Cantines, comme je le raconte dans ce livre.

Crédit photos : © tekoaphoto

*Source : Etudes Solitudes 2024 de la Fondation de France


POUR ALLER PLUS LOIN 

→ Inventer demain avec Les Petites Cantines