Mark Hunyadi : « Faire un don, c’est faire acte de confiance »
Mark Hunyadi est professeur de philosophie morale, sociale et politique à l’Université catholique de Louvain en Belgique. Auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier s’intitule Faire confiance à la confiance (éditions Erès), il partage avec nous ses réflexions sur la confiance, élément essentiel pour nos sociétés et mis à mal par l'essor des technologies numériques, mais aussi sur le rôle que peut jouer la philanthropie pour la renforcer.
Qu’est-ce que la confiance ?
La confiance est omniprésente et constitue un élément fondamental de notre relation au monde. Contrairement à ce qui est communément admis, la confiance n’est pas assimilable à un calcul : elle est la base implicite de chacune de nos interactions quotidiennes, base qui ne prend que rarement la forme d’un calcul. En effet, si nous nous asseyons sur une chaise, c’est bien parce que nous avons confiance dans sa solidité. Si nous marchons, c’est que nous attendons du sol qu’il ne se dérobe pas sous nos pieds… Chacune de nos actions repose sur une confiance implicite dans la fiabilité des objets, des environnements ou des individus. La confiance est donc un pari sur des attentes de comportement : je m’attends à ce que les êtres et les choses se comportent ou réagissent d’une certaine manière. Faire confiance, c’est faire le pari que ces attentes seront comblées.
Or, nous ne savons jamais avec certitude si nos attentes seront satisfaites. Pourtant nous continuons d'agir comme si elles allaient l’être. Cette confiance qui repose sur une incertitude fondamentale est ce qui caractérise notre condition humaine. Il est faux de penser – comme le font les économistes par exemple – que nous surmontons cette incertitude par le calcul. Car en l'absence de confiance, aucune action n'est possible. Si nous suspendons la confiance, nous suspendons l’action ; or, globalement, nous agissons toujours. Ainsi, la confiance est la condition première de toute action humaine, permettant d’interagir avec le monde malgré l’incertitude, et la plupart du temps sans calcul.
Assiste-t-on à une crise de confiance ?
On parle aujourd’hui de « crise de confiance », mais je ne souscris pas à cette vision. La confiance ne disparaît pas, elle se déplace. Par exemple, dans le cadre des institutions démocratiques, les citoyens peuvent perdre confiance dans les gouvernements ou le processus électoral mais continuer à faire confiance à des individus ou des figures symboliques. Ainsi, la défiance est souvent une réponse à des attentes déçues, mais elle ne peut anéantir la confiance de manière globale.
La confiance est le lien social élémentaire. Les sociétés ne peuvent fonctionner sans un minimum de confiance entre les individus. Même lorsque certains domaines spécifiques (comme la politique ou les institutions) deviennent des « îlots de défiance », la confiance globale demeure : les gens continuent à se brosser les dents ou à boire de l'eau, démontrant une confiance de base envers leur environnement.
Quel impact les nouvelles technologies ont-elles sur notre niveau de confiance ?
Les nouvelles technologies modifient radicalement notre rapport à la confiance. En insérant des intermédiaires techniques (ordinateurs, applications, systèmes automatisés) dans nos interactions, elles introduisent un nouveau type de confiance : celle placée dans la machine. Une fois cette première confiance accordée, le reste de nos interactions se base sur la sécurité et plus sur la confiance. Cette intermédiation technologique provoque une « baisse tendancielle du taux de confiance ». Cela ne veut pas dire qu’on a moins confiance les uns dans les autres, mais qu’on a moins besoin de confiance pour accomplir nos actes au quotidien. Et c’est ce que nous attendons tous du numérique : qu’il réponde à nos attentes, mais sans risque. Or un monde qui ne comporterait plus aucun pari sur une attente fondamentalement incertaine ne serait plus humain.
L’exemple du Bitcoin illustre cette transition : ce système monétaire a été conçu pour éliminer le besoin de confiance humaine (envers les banques centrales, les systèmes financiers, les acteurs du secteur), grâce à des protocoles techniques sécurisés. Cet idéal de « monde sans confiance » n’est pas un monde de défiance, mais un monde automatisé où la confiance est remplacée par l’assurance, la sécurité. Une fois qu’on a accepté le système de cryptage de la monnaie, il n’y a plus à faire confiance, tout est sécurisé. Et de manière générale, nous attendons tous du numérique qu’il soit sans risque.
En quoi l’omniprésence du numérique constitue-t-elle un risque pour la démocratie ?
La montée en puissance des technologies numériques et des réseaux sociaux a fragilisé un des fondements de la démocratie : la disposition à s’entendre. En supprimant les médiateurs traditionnels (institutions, experts), ces outils ont favorisé l'expression individuelle plutôt que la communication et le collectif. Cela nuit à la capacité des citoyens de penser au-delà de leurs intérêts personnels, une nécessité démocratique fondamentale décrite par Rousseau comme la volonté générale, cette capacité à transcender son point de vue égoïste.
Aujourd’hui, cette capacité à transcender l’individuel s’est érodée, exacerbée par le consumérisme et l’individualisme et renforcée par les outils numériques. Cela représente une menace pour la démocratie, car elle déstructure les mécanismes d’interaction sociale et de délibération collective.
Comment est-il possible de restaurer la confiance ?
La confiance ne se décrète pas. Elle se reconstruit par des expériences positives répétées. Chacun peut le faire à son niveau, car tous les actes de confiance que l’on peut faire autour de soi, avec ses enfants, ses voisins, des inconnus…sont autant d’occasion qui permettent de remuscler la confiance.
Au niveau collectif, les responsables, les politiques ont eux le devoir d’honorer les attentes des citoyens en se montrant exemplaires. On parle toujours de la baisse de confiance des citoyens envers les responsables politiques mais il y a l’inverse aussi. La confiance doit être réciproque. Les politiques ou les institutions devraient eux aussi faire davantage confiance aux citoyens. En France, par exemple, le nombre excessif de réglementations administratives traduit une méfiance envers les citoyens, ce qui aggrave leur désaffection pour l’administration.
Or, il y a un effet performatif de la confiance : témoigner de la confiance à quelqu’un, c’est le valoriser, le considérer comme digne de confiance et ça l’encourage à se montrer à la hauteur des attentes qu’on a placées en lui.
En quoi la philanthropie peut-elle contribuer à renforcer la confiance ?
La philanthropie est une illustration concrète de la confiance en action. Faire un don, qu’il s’agisse de temps ou d’argent, suppose un pari sur la capacité des bénéficiaires à utiliser ces ressources de manière appropriée. Ce don de confiance est précieux car il s’oppose à l’individualisme ambiant et réintroduit le sens de la transcendance : la capacité de se soucier d’autrui, au-delà de soi-même.
En valorisant les individus comme des personnes dignes de confiance, la philanthropie contribue à renforcer la confiance collective. Elle fait confiance à la confiance et doit montrer qu’elle a raison de le faire. Chaque initiative philanthropique locale devient ainsi un « îlot de confiance » qui peut infuser et se propager dans la société.
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