Petite enfance : la Fondation Ardian engagée pour agir à la racine des inégalités
Créée en 2010, la Fondation Ardian a pour mission de soutenir la mobilité sociale des enfants et des jeunes adultes issus de milieux défavorisés, en France et dans les pays ou Ardian est implanté. Elle soutient dans ce but plus de 50 associations qui interviennent à différentes étapes de la vie, entre la naissance et l’entrée dans l’âge adulte. Depuis 2020, la fondation soutient en particulier des initiatives centrées sur la petite enfance, période clé dans la construction psychologique et sociale des enfants. Une nouvelle orientation que nous expliquent Carole Barnay, présidente de la Fondation Ardian, Ana Coric et Hadia Kebe, Senior Associate.
La Fondation Ardian a été créée en 2010. Quelles étaient ses missions et sa stratégie à l’origine ?
[Hadia KEBE] Nos premières actions avaient pour but de favoriser la mobilité sociale des étudiants issus de milieux défavorisés, notamment en finançant des bourses et en organisant des actions de mentorat assurées par des collaborateurs de l’entreprise. L’objectif était de proposer à ces étudiants un accompagnement complet, au-delà du seul aspect financier. Au fil des années et de nos expériences de terrain, nous avons pris conscience de la construction très précoce des inégalités. Nous avons initié des échanges avec des neuropsychiatres comme Boris Cyrulnik, connu notamment pour ses travaux en lien avec la construction de l’individu. Selon lui, il est indispensable de commencer à agir dès les premières années de vie et d’inscrire l’accompagnement des enfants, adolescents et jeunes adultes dans une logique de continuum, en répondant aux problématiques propres à chaque âge.
Ces avis scientifiques nous ont confortés dans l’idée d’élargir nos actions aux lycées, collèges, écoles primaires et enfin à la petite enfance. Depuis la création de la fondation il y a 15 ans, nous avons toujours considéré l’éducation comme un levier puissant pour favoriser la mobilité sociale et permettre aux enfants que nous accompagnons d’avoir une vie meilleure que leurs parents. Plusieurs dimensions complémentaires sont à prendre en compte : le temps scolaire, le soutien à la parentalité, l’aide matérielle, l’apprentissage et l’acquisition des compétences essentielles lors des premières années de vie…
Dix ans après le lancement de la fondation, vous avez décidé de concentrer la majorité de vos actions sur la petite enfance. Pourquoi ce choix ?
[Ana CORIC] Avec des difficultés perceptibles de plus en plus tôt dans la vie des enfants, il nous semble essentiel d’agir à la racine des inégalités et d’adopter une démarche beaucoup plus préventive, avec des actions centrées sur la tranche d’âge 0-6 ans. Là encore, ce virage stratégique est le fruit d’échanges riches et nombreux avec des experts en neurosciences, des socio-économistes, des psychanalystes, des pédiatres et sage-femmes, des spécialistes en haptonomie… dont les différentes expertises sont venues enrichir notre approche.
[Carole BARNAY] De nombreuses publications scientifiques attestent de l’impact sur le long terme des actions engagées dès la petite enfance, et alertent sur les conséquences d’actions trop tardives. Des études réalisées en Angleterre révèlent que les enfants issus de milieux précaires présentent en moyenne 5 mois de retard d’apprentissage au moment d’entrer en école maternelle par rapport aux enfants vivant dans des milieux aisés. À la fin du lycée, sans action adaptée, ces mêmes élèves vulnérables peuvent afficher un retard d’apprentissage allant jusqu’à 18 mois. Ce n’est qu’un exemple : il y a désormais un consensus scientifique et universitaire sur le fait que les premières années de la vie d’un enfant ont une influence significative sur ses résultats au fil des décennies. Intervenir dès le plus jeune âge peut donc avoir un impact positif majeur sur le développement futur des enfants. Nous restons cependant fidèles à notre conviction des débuts au-delà ce recentrage stratégique sur la petite enfance, la fondation continue d'intervenir de manière cohérente auprès des autres tranches d'âge.
Quels sont vos axes d’action prioritaires et quelles initiatives soutenez-vous ?
[Ana CORIC] Notre premier défi, c’est de faire prendre conscience aux parents de l’importance des premières années de la vie, et du rôle déterminant qu’ils ont à jouer pour l’éveil et l’apprentissage de leurs enfants. Des études américaines menées à Harvard et Yale ont par exemple révélé les impacts négatifs du stress sur le développement des zones du cerveau les plus stimulées pendant l’apprentissage des tout petits. La sécurité affective des enfants, dont les parents sont les premiers garants, est donc l’un des principaux enjeux sur lesquels nous souhaitons les sensibiliser, car la psychologie affective est un facteur décisif de la réussite cognitive et académique des enfants.
Pour les familles en situation de vulnérabilité, cela nécessite la mise en œuvre d’actions concrètes et régulières de soutien à la parentalité. Nous travaillons pour cela en lien avec l’association Ensemble pour la petite enfance et les Maisons des 1000 premiers jours. Situées dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, elles proposent un accompagnement à la parentalité et aident les parents à reprendre confiance en eux, au travers d’ateliers adaptés à leurs besoins et à leurs principaux questionnements. Grâce à un suivi sur la durée, ces maisons rassurent les parents en difficulté, et contribuent à recréer un cadre apaisé bénéfique pour le développement de l’enfant et sa famille. L’organisation de rencontres régulières avec des professionnels de la petite enfance et en présence d’autres participants, contribue en outre à réduire l’isolement parental et favorise la création de lien social.
Nous soutenons également des projets de soutien matériel, toujours dans le but de soulager la charge mentale qui pèse plus lourdement sur les familles en situation de précarité. La Fondation Ardian est ainsi partenaire du Programme Malin, qui couvre 95 départements en fournissant aux parents inscrits à la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) des bons de réduction pour du lait infantile et d’autres produits alimentaires pour les bébés. Cet accompagnement est primordial car la nutrition est un sujet de santé qui touche tout le monde, et permet de prévenir, par exemple, des problèmes d’obésité infantile. Il offre également un vrai soulagement à des parents inquiets de ne pas pouvoir subvenir aux besoins primaires de leurs enfants.
Autre exemple d’initiative similaire : aux Etats-Unis, le projet Room to grow propose aux familles en grande précarité des quartiers défavorisés de New-York (East Harlem, South Bronx) un accompagnement prénatal et jusqu’aux 3 ans de l’enfant, avec un suivi médicalisé une fois par trimestre, du soutien matériel (vêtements, jouets, livres…) et la mise en œuvre d’un dispositif d’entraide entre les familles. Cette aide libère les parents et leur permet de se concentrer sur d’autres grands enjeux de la parentalité : 86% des parents participant au programme témoignent d’une amélioration de leur confiance en eux et de leur capacité à répondre aux défis et opportunités liées à leur parentalité.
Comment agissez-vous en faveur des autres tranches d’âge ?
[Ana CORIC] Pour les enfants de 6 à 12 ans, nous accompagnons des projets dans le domaine de l’éducation primaire avec pour objectifs d’améliorer les méthodes d’apprentissage, de former les professionnels à de nouveaux outils, d’apporter un soutien matériel aux écoles et de proposer des activités extrascolaires aux familles. La Fondation Ardian est par exemple engagée aux côtés de l’association Agir pour l’école, qui s’appuie sur les innovations numériques pour promouvoir l’égalité dans l’acquisition des compétences fondamentales à la fin de l’école primaire. Selon une étude du Ministère de l'éducation nationale en 2020, environ 40% des élèves entrant en 6ème dans les établissements d'éducation prioritaire renforcée (REP+) atteignent pas le niveau de fluidité requis en lecture. Grâce à son programme « Lecture », qui touche plus de 5 000 enfants chaque année, l’association a permis de réduire de moitié le nombre d’élèves rencontrant de grandes difficultés dans la maîtrise de la lecture.
Nous avons ensuite un axe d’intervention dédié à l’éducation secondaire à destination des enfants entre 12 et 18 ans. Notre objectif pour cette tranche d’âge est principalement de favoriser l’autonomie des élèves dans leur réussite académique et leur orientation professionnelle, notamment grâce à du mentorat et à des activités extrascolaires. Nous soutenons ainsi l’association ThinkForward en Grande-Bretagne, qui propose un programme de 5 ans aux enfants âgés de 13 à 18 ans vivant dans des milieux défavorisés, afin de réduire leurs retards d’apprentissage par rapport aux autres élèves. En 2021, 82% des jeunes ayant participé au programme FutureMe de ThinkForward étaient en éducation, emploi ou formation un an après leur remise de diplôme, comparé à 67% qui est la moyenne nationale pour des groupes comparables.
Notre dernier axe d’intervention concerne les jeunes adultes, à partir de 18 ans et jusqu’à l’entrée dans la vie active. Nos actions visent à faciliter leurs choix d’orientation et leur intégration professionnelle et à soutenir les étudiants dans le financement de leurs études supérieures. Aux Etats-Unis, Year Up travaille à niveler le terrain des opportunités pour les jeunes adultes âgés de 18 à 26 ans à travers des programmes de formation professionnelle et des stages.
La Fondation Ardian a également développé une véritable stratégie de recherche. Comment se traduit-elle ?
[Hadia KEBE] Le point central de cette stratégie est la création en 2020 de la chaire « Politiques éducatives et mobilité sociale » (PEMS), en partenariat avec Paris School of Economics (PSE) et la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale. Son but est de mieux financer les recherches scientifiques dans le domaine de l’éducation et de soutenir des jeunes chercheurs de PSE. Le partenariat avec la DEPP est extrêmement riche pour ces chercheurs : l’organisme réalise en effet depuis 30 ans des études quantitatives sur l’intégralité des élèves de l’école maternelle jusqu’au lycée. Ces analyses permettent de comprendre les disparités entre les élèves selon des critères d’âge, de sexe, d’origine géographique…, et constituent un précieux vivier de données pour établir des conclusions scientifiques.
Nous sommes très soucieux de l’impact des recherches menées par cette chaire sur les politiques publiques et la vie sociale. C’est pourquoi nous nous assurons que les travaux réalisés bénéficient d’une bonne visibilité. Cela confère une réelle légitimité à la chaire, dont les recommandations ont déjà été appliquées dans certaines réformes impulsées par le Ministère de l’éducation. Par exemple, le dédoublement des classes dans les zones d’éducation prioritaires en France, est le fruit des recherches menées par Julien Grenet, directeur de recherche au CNRS et co-responsable de la chaire, qui a démontré l’impact positif durable des classes de 15 élèves sur les apprentissages.
Quelles sont les spécificités de vos actions à l’international ?
[Hadia KEBE] Nous appliquons la même ligne directrice en France que dans les différents pays où la Fondation Ardian intervient : soutenir l’investissement des collaborateurs de l’entreprise qui sont prêts à s’engager pour porter un projet, et développer un esprit philanthropique. Nous soutenons ainsi des actions en Europe (Suisse, Espagne, Luxembourg, Italie, Allemagne), en Amérique du Sud (Chili), aux Etats-Unis, et en Asie (Singapour, Chine). La présence de bureaux de l’entreprise Ardian dans ces pays facilite le déploiement de nos actions sur le terrain.
[Carole BARNAY] Nous souhaitons également élargir notre stratégie de recherche à l’international. Un projet de seconde chaire, porté par la Fondation Ardian en lien avec le MIT de Boston, est en cours de développement. L’objectif est de mettre en relation des chercheurs français et américains pour réaliser des études destinées à faire progresser les politiques éducatives de manière transfrontalière, en s’appuyant sur les données mises à disposition par la DEPP. Cette chaire prolonge les travaux publiés par la chaire PEMS, en mettant l’accent sur l’insertion professionnelle des jeunes dans des marchés du travail en constante évolution.
La Fondation Ardian est abritée à la Fondation de France depuis sa création. Quelles perspectives communes avez-vous ?
[Ana CORIC] Nous sommes ravis d’être impliqués dans la nouvelle stratégie portée par la Fondation de France en lien avec la petite enfance. Malgré des avancées au cours des dernières années, la petite enfance reste un secteur qui manque de financements et de soutiens en France : absence de service public dédié, pas assez d’investissements publics et privés… Il y a encore du travail et c’est pourquoi nous souhaitons apporter notre expertise pour aider à identifier et soutenir plus de projets à fort impact. Nous échangeons régulièrement avec le Collectif d’action Nouvelles Générations récemment constitué par la Fondation de France, nous participons ensemble à des comités de projets avec des experts et des acteurs engagés sur le terrain… Tout ceci contribue à la création d’un véritable écosystème philanthropique qui agit pour apporter des réponses à ces sujets cruciaux pour la société de demain.
Crédit photo : © Fondation Ardian
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