Recherche en psychiatrie : 3 questions au professeur Philip Gorwood
Philip Gorwood est professeur de psychiatrie à l’Université Paris Cité et chef de service au GHU Paris psychiatrie & neurosciences. Depuis trois ans, il préside le Comité d’experts du programme de recherche sur les maladies psychiatriques de la Fondation de France. Lancé en 2016, ce programme accompagne des projets de recherche qui reposent sur une coopération entre cliniciens et chercheurs, autour de trois objectifs : identifier des biomarqueurs permettant d’établir des diagnostics plus précoces, améliorer la prise en charge des patients en évaluant les pratiques thérapeutiques existantes et développer des traitements plus efficaces.
Pourquoi est-il essentiel de soutenir la recherche en psychiatrie ?
La psychiatrie est souvent perçue comme le parent pauvre de la recherche médicale, et cela se reflète dans les financements qui lui sont alloués. En France, il n’existe pas de budget pérenne, c’est-à-dire un financement stable et continu, spécifiquement dédié à ce domaine. Pourtant, les troubles psychiatriques concerneront une personne sur quatre au cours de sa vie. Ces pathologies, qu’il s’agisse de dépression, d’anxiété, d’addiction ou de maladies graves comme la schizophrénie, ont un impact considérable sur la vie des patients, leurs proches et sur la société dans son ensemble. L’une des particularités de la psychiatrie, c’est qu’elle traite de troubles fonctionnels. Cela signifie que le problème ne se manifeste pas par une lésion ou une blessure visible dans le cerveau, comme on peut en voir après un AVC (accident vasculaire cérébral), mais par des perturbations dans la communication entre les différentes zones du cerveau. Ces caractéristiques rendent ces maladies plus difficiles à étudier et à comprendre.
Une des spécificités de votre approche est de mixer recherche clinique (avec les patients) et recherche fondamentale (en laboratoire). Pourquoi ce choix ?
Pour avancer, il est indispensable de faire collaborer deux mondes : les cliniciens, qui soignent les patients et observent leurs symptômes, et les chercheurs, qui étudient en laboratoire les mécanismes biologiques, chimiques ou génétiques de ces troubles. Cette collaboration entre la médecine et la recherche est indispensable pour développer des solutions concrètes. Prenez par exemple le programme REMANO (rémission dans l’anorexie mentale) développé par l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (IPNP) du GHU Paris psychiatrie & neurosciences : il a permis d’identifier un biomarqueur sanguin capable de prédire les rechutes dans l’anorexie mentale. Cette avancée nous aidera à anticiper des situations critiques pour mieux prendre en charge, de manière personnalisée, les patients. Les neurosciences et la biologie ouvrent des perspectives inédites. À condition d’investir davantage, ces avancées peuvent transformer durablement la prise en charge des patients.
Quels sont les grands défis et priorités pour l’avenir de la psychiatrie ?
Je suis convaincu que la psychiatrie va connaître une révolution dans les dix prochaines années, grâce aux avancées extraordinaires des neurosciences. Nous devons également investir dans la relève. Dès cette année, la Fondation de France ouvre un appel d’offres dédié aux jeunes chercheurs ayant moins de dix ans de carrière après leur thèse. L’objectif est de repérer les talents prometteurs et leur permettre de s’installer durablement dans le champ de la recherche en psychiatrie. Ce soutien est crucial car, en France, les chercheurs débutants manquent souvent de ressources pour lancer des projets ambitieux.
Enfin, il est essentiel de changer le regard que l’on porte sur la psychiatrie. Trop souvent stigmatisée, perçue comme "moins scientifique" ou "moins crédible", cette discipline souffre encore d’un manque de reconnaissance. Pourtant, nos critères diagnostiques sont rigoureux et validés, et les progrès en neurosciences montrent à quel point la psychiatrie est une science précise. Mais cette stigmatisation reste un frein, car elle limite les financements et dissuade parfois les patients de demander de l’aide. En France, les « coming out » – lorsque des personnalités publiques assument avoir vécu un trouble mental – restent rares, contrairement à ce que l’on observe dans des pays comme les États-Unis. Ces témoignages jouent pourtant un rôle essentiel pour humaniser les maladies mentales. En incarnant ces pathologies à travers des visages humains, nous pouvons susciter l’empathie, mobiliser davantage de soutien et, à terme, faire progresser la prise en charge.
#CAUSEDUMOIS\RECHERCHE MEDICALE
POUR EN SAVOIR PLUS
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