Santé mentale : innover pour mieux accompagner
Ébranlé par la crise sanitaire et déjà fragilisé par le manque de moyens, le secteur de la santé mentale est en pleine mutation. Déstigmatisation de la maladie, inclusion sociale des personnes concernées, nouveaux types d’accompagnement… autant d’avancées positives que soutiennent les acteurs de la philanthropie.
Dépression, schizophrénie, bipolarité, état anxieux ou problème d’addiction… En France, une personne sur quatre a été, est ou sera concernée au cours de sa vie par des troubles psychiques. Face à cette situation alarmante que la crise sanitaire et les confinements ont aggravée, la santé mentale est devenue plus que jamais un enjeu majeur de santé publique. Après avoir été longtemps considérée comme le parent pauvre de la médecine, elle est aujourd’hui au centre des préoccupations des pouvoirs publiques qui inauguraient en septembre dernier les premières Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.
Depuis 15 ans, la Fondation de France a fait de la santé mentale un axe prioritaire de son action. Elle agit notamment pour favoriser l’accès aux soins et l’inclusion des personnes vivant avec une maladie psychique, développer le dépistage chez les jeunes et soutenir la recherche. Cette mobilisation est aussi partagée par de nombreuses fondations abritées, parmi lesquelles les fondations Sisley d’Ornano, Chantelix, Vincent-Verry, Geneviève Allier ou plus récemment la Fondation Béa.
Un domaine en pleine transformation
Cet engagement massif et durable a été bénéfique. De moins en moins taboues, mieux connues, acceptées et prises en charge, la perception des maladies psychiques est en pleine évolution. Grâce au développement des neurosciences, à la reconnaissance du handicap psychique par les politiques publiques, mais aussi à la montée en puissance d’associations de patients et d’aidants, de groupes d’entraide mutuelle, le quotidien des personnes concernées est en voie d’amélioration.
les ateliers Parlons Psy, une vaste consultation nationale sur la question de la santé mentale. Ce cycle d’ateliers participatifs, qui a réuni près de 1 300 participants de tous horizons (patients, soignants, professionnels médico-sociaux, associations, élus…), a permis de faire émerger les expérimentations les plus innovantes dans l’accompagnement des personnes malades. Des recommandations ont été émises. Parmi elles, le développement du repérage précoce, le recours aux patients-experts ou l’implication des patients dans la prise de décision, qui ont été repris lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.
Aux avant-postes de cette mue salutaire, les acteurs de la philanthropie ont activement participé à ces avancées. En 2018, la Fondation de France, en partenariat avec l’Institut Montaigne a ainsi initiéAgir sur tous les fronts
En 2004, la Fondation de France lançait le programme Maladies psychiques. Son action se décline autour de trois axes : favoriser l’accès aux soins en formant les acteurs de première ligne, permettre l’insertion dans la vie sociale des personnes souffrant de maladies psychiques, et agir pour protéger la santé mentale des jeunes afin de mieux repérer et diagnostiquer les souffrances psychiques dès leur apparition. Près de 490 projets ont déjà été menés pour 9 millions d’euros. À cela s’ajoute depuis 2016 un programme de recherche sur les maladies psychiatriques, pour lequel 4,8 millions d’euros ont été engagés en quatre ans. « Nous considérons que la santé mentale concerne la société dans son ensemble et qu’il convient d’agir de manière holistique et transverse, explique le Dr Nathalie Sénécal, responsable du pôle Santé et recherche de la Fondation de France. C’est pour cette raison qu’au-delà de ce programme, la santé mentale est prise en compte dans tous les autres domaines d’intervention de la Fondation, tels que l’éducation, le décrochage scolaire, la protection de l’enfance, l’habitat (à travers notamment une expérimentation sur l’habitat partagé solidaire), le grand âge avec une réflexion sur les personnes vieillissantes vivant avec des troubles psychiques, ou encore le volet psychotraumatisme de nos programmes d’urgence et d’aide aux exilés. »
Changer de regard
Déstigmatiser la santé mentale pour qu’elle ne soit plus synonyme d’exclusion sociale ou de peur est la priorité de plusieurs fondations abritées. Pour favoriser l’accès au soin des jeunes en souffrance, la Fondation Sisley d’Ornano a par exemple contribué à la création de la plateforme web Elios, un dispositif innovant de prévention du suicide et d’orientation thérapeutique. La Fondation Geneviève Allier soutient depuis 2014 des projets artistiques autour de la danse, de la poésie, des arts du cirque ou du chant lyrique, qui permettent à des personnes atteintes de handicaps mentaux d’exprimer leur talent et leur sensibilité, pour tenter de changer les représentations sur la maladie. Le programme Premiers secours en santé mentale (PSSM), soutenu par la Fondation de France et la Fondation Chantelix propose à tout un chacun de se for-mer pour mieux connaître et repérer les situations de souffrance psychique ou de crise des personnes fragiles et ainsi pouvoir les aider. Plus de 12 000 secouristes en santé mentale ont d’ores et déjà bénéficié de cette formation qui fait de la question de la santé mentale une responsabilité collective.
Encourager les pratiques de rétablissement
Parce que les voies du rétablissement sont multiples, le concept novateur de rétablissement s’appuie sur une approche globale. « C’est un déplacement de focus, explique Bernard Pachoud, président du comité Maladies psychiques. Plutôt que de se concentrer sur la maladie et son évolution, cette approche privilégie la personne et la restauration d’une vie qu’elle juge satisfaisante, grâce notamment aux liens sociaux et au réengagement dans l’activité (de préférence professionnelle). Ce rétablissement suppose un change-ment de regard de la société mais aussi de l’individu sur lui-même pour ne plus se considérer d’abord comme malade, mais comme "une personne", libre d’orienter sa vie selon ses priorités et ses valeurs. » Convaincue de l’intérêt de cette approche, la Fondation de France a soutenu de 2018 à 2021 l’Observatoire du rétablissement en partenariat avec le Centre Ressources de réhabilitation psychosociale de Lyon, afin d’évaluer les dispositifs les plus pertinents en la matière. Et en novembre dernier étaient lancés à Lyon les premiers Ateliers du rétablissement, en partenariat avec la fédération Santé Mentale France. Cette rencontre, soutenue par la délégation ministérielle, a réuni près de 400 acteurs du secteur, avec pour objectif de diffuser et promouvoir les meilleures initiatives favorisant le rétablissement. À cette occasion, plusieurs projets coups de cœur ont d’ailleurs été distingués comme la « Verry Appli », une application mobile de coaching développée par l’association Messidor (soutenue par la Fondation Vincent-Verry abritée à la Fondation de France) qui aide les personnes en situation de handicap psychique à retrouver confiance et autonomie grâce à la réalisation de défis personnalisés. Autre projet salué, celui de l’association ZEST (Zone d’expression contre la stigmatisation) qui, grâce à son dispositif Livres Vivants, lutte contre les préjugés en permettant à des personnes concernées de partager dans l’espace public le témoignage intime de leur existence.
De nouveaux acteurs qui encouragent l’autonomie
Sur le terrain, accompagner la réhabilitation psycho-sociale de personnes atteintes de troubles psychiques implique de développer des structures relais pour que ces personnes reprennent pied dans une vie presque ordinaire et en toute bienveillance. C’est ce que rend possible la montée en puissance d’associations d’usagers, fondées sur le partage d’expérience et la pair-aidance (soutien apporté par des personnes souffrant ou ayant souffert d’une même maladie) tels que les Groupes d’entraide mutuelle (GEM). L’émergence de ces GEM a été soutenue par la Fondation de France et la Fondation Chantelix. Ils sont aujourd’hui près de 600. Leur but : permettre aux adultes souffrant de handicaps psychiques ou cognitifs de se responsabiliser et de s’entraider pour organiser collectivement des activités de loisirs ou de culture et ainsi renouer des liens sociaux entre eux et avec les autres.
Autres acteurs majeurs participant à l’inclusion sociale et professionnelle des personnes : les Clubhouse. Importé des États-Unis, ce modèle qui favorise l’« empowerment » des plus fragiles a pu lui aussi compter sur le soutien de la Fondation de France ainsi que celui de la fondation abritée Sisley d’Ornano. Dix ans après leur création en France, les Clubhouse rassemblent aujourd’hui près de 900 membres et comptent cinq antennes dans l’Hexagone. « Dès le début notre démarche a été tournée vers le rétablissement par le travail, qu’il s’agisse d’une activité au sein du club où tout est autogéré ou d’un emploi en entreprise, explique Céline Drilhon, responsable du Pôle connaissance du Clubhouse de Paris. Avoir un travail, quand on est atteint de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de dépression sévère est essentiel, ça permet de retrouver confiance et estime de soi, de gagner en autonomie et de se reconstruire une identité sociale. Grâce aux partenariats que nous avons noués avec des entreprises, un tiers de nos membres a pu accéder à une activité professionnelle. Mais il n’y pas de modèle standard, ici chaque personne est actrice de son rétablissement et décide seule de ce qui est bon pour elle. La possibilité d’être accompagné par un pair aidant est aussi un plus qui crée de la confiance et de l’émulation. » Nouveaux acteurs, nouvelles pratiques, changement de regard sur la maladie et ses représentations : « le champ de la psychiatrie est à l’aube d’une nouvelle ère », a affirmé Nicolas Franck, psychiatre au Centre hospitalier du Vinatier de Lyon, en conclusion des Ateliers du rétablissement. En effet, si la crise sanitaire a eu pour effet de révéler les grandes fragilités du système, elle aura aussi été l’occasion d’une prise de conscience sur l’enjeu collectif que représente la santé mentale. Tous concernés, tous impliqués.
Des rencontres inspirantes
Comment repenser et adapter l’accueil au sein des unités psychiatriques en fonction des patients, de leur état et des soins requis ? C’est autour de ce thème que se sont tenues les 7e Rencontres soignantes en psychiatrie le 21 octobre dernier. Organisée à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris par le mensuel Santé Mentale, en partenariat avec la Fondation de France, cette journée a permis aux professionnels d’échanger sur leurs pratiques.
À cette occasion, trois initiatives particulièrement intéressantes ont été récompensées par le Prix des équipes soignantes en psychiatrie 2021 : transformation de la cour sécurisée de l’unité Maladies difficiles Henri Colin à Villejuif en jardin thérapeutique, « A… Venir ! » un programme en faveur de la réinsertion professionnelle de jeunes souffrant de psychose (centre hospitalier La Chartreuse en Bourgogne) et « Les héros du vélo », la création d’une équipe de cyclistes réunissant des personnes concernées par des troubles psychiatriques sévères de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Lyon.
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