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"L'approche globale est la condition pour transformer en profondeur nos systèmes agricoles et alimentaires"

4 juin 2024

Mathilde Douillet est Responsable de l’axe Alimentation durable à la Fondation Daniel et Nina Carasso. Mathilde Douillet est responsable de l’axe Alimentation durable à la Fondation Daniel et Nina Carasso. Elle revient sur les priorités d’action de la fondation qui, depuis 14 ans, a su faire évoluer sa stratégie pour faire face aux enjeux de transition des systèmes agricoles et alimentaires.

Depuis sa création en 2010, la Fondation Daniel et Nina Carasso est engagée en faveur de l’alimentation durable. Comment a-t-elle fait évoluer ses priorités et ses modes d’action ?

Pour la Fondation Daniel et Nina Carasso, l’alimentation est un sujet qui doit être abordé de manière globale car ses impacts écologiques, économiques, sociaux et nutritionnels sont interdépendants. C’est pourquoi nous avons développé une approche systémique de la chaîne de valeur, de la graine au compost, en créant des liens entre tous les acteurs qui ont tendance à travailler séparément sur les enjeux agricoles, environnementaux, de justice sociale ou de santé publique. Cette approche globale est la condition pour transformer en profondeur nos systèmes en faveur d’une agriculture et d’une alimentation équitables, solidaires, résilientes et écologiques.

Nous soutenons des acteurs de terrain mais aussi des experts qui analysent et débattent des voies possibles pour construire un avenir écologique et social. Depuis 2010, nous soutenons des alternatives aux modèles classiques d’aide alimentaire, par exemple avec le réseau VRAC ou les épiceries sociales et solidaires d’UGESS qui agissent en faveur de l’accès pour tous à une alimentation choisie, diversifiée et durable. Ces initiatives se fédèrent, essaiment et se développent. Avec la multiplication des crises (Covid, inflation, climat…), cet enjeu est de plus en plus prégnant.

En plus du soutien que nous apportons au titre du mécénat, nous proposons différents types d’accompagnement extra-financiers, individuels ou collectifs, comme de la formation au fundraising avec nos partenaires de l’Association Française des Fundraisers. Nous proposons aussi des événements pour fédérer des communautés d’acteurs à travers des rencontres, des webinaires thématiques, et encourageons la production et le partage de connaissances afin de nourrir l’ensemble de l’écosystème. Nous soutenons par exemple depuis 2012 la chaire UNESCO Alimentations du monde qui forme les futurs professionnels, anime les débats et alimente les réflexions. Enfin, nous avons fait le choix de mettre en cohérence nos investissements (de la dotation de la Fondation) avec nos missions de mécénat et développons notre soutien à de jeunes acteurs économiques innovants qui construisent l’alimentation durable de demain.

La Fondation Daniel et Nina Carasso agit aux côtés d’une grande diversité d’acteurs : citoyens, paysans, chercheurs, acteurs publics, réseaux professionnels, territoires. Comment ces coopérations sont-elles mises en œuvre et dans quel but ?

Nous soutenons aussi bien des initiatives locales, des acteurs de territoire que des acteurs nationaux, et veillons à les mettre en lien pour favoriser des actions coordonnées. Nous interagissons avec une grande diversité d’acteurs - monde de la recherche, du secteur agricole, associatif et d’entreprenariat social, des collectivités ou institutions publiques, et avons pour objectif de favoriser les démarches collectives. Nous avons réuni ces différents acteurs lors des 4e Rencontres de l’alimentation durable, organisées en 2023 dans le but de fédérer une communauté engagée collectivement dans la transformation des modèles agricoles et alimentaires. Le programme TETRAA, mené avec AgroParisTech dans 9 territoires pilotes, accompagne ainsi des collectifs d’acteurs pour transformer leur système agricole et alimentaire local. La fondation soutient la mise en œuvre de nouvelles pratiques, accompagne le travail de coordination entre toutes les parties prenantes du territoire, favorise le partage de connaissances et contribue au travail d’évaluation de l’impact. 

C’est pour mieux comprendre les conditions de réussite des collaborations entre acteurs scientifiques et opérateurs que nous avons été partenaires du dispositif CO3, dont nous avons partagé les premiers enseignements en décembre 2023. Il s’agit d’un programme expérimental mené avec l’Ademe et plusieurs fondations privées. Son objectif est de documenter et valoriser le potentiel de la recherche participative démultiplié par la mobilisation citoyenne sur le terrain, pour la mettre à l’agenda d’une nouvelle politique publique de la recherche. En 5 ans, 47 projets de « Co-Construction des Connaissances pour la transition écologique et solidaire » ont été soutenus.

Un des axes d’intervention pour favoriser l’alimentation durable est l’agroécologie. Quels types de projets la Fondation Daniel et Nina Carasso soutient-elle ?

Selon nous, l’agroécologie n’est pas une forme particulière d’agriculture ou un ensemble déterminé de pratiques mais plutôt une vision pouvant transformer et inspirer toutes les formes actuelles de production. En partenariat avec 4 grands réseaux agricoles (Fadear, FNCuma, Réseaux Civam et Trame), nous avons monté un appel à projets dédié pour permettre à des collectifs d’agriculteurs de s’emparer de l’agroécologie en adoptant de nouvelles pratiques agronomiques. Ils sont accompagnés dans leur mise en œuvre, le suivi de leur impact et l’apprentissage collectif par l’Institut Agro Montpellier et le Gerdal (Groupe d’Expérimentation et de Recherche : Développement et Actions Localisées). Dans le Minervois par exemple, l’association Chemin cueillant regroupe une cinquantaine de vigneronnes et vignerons qui expérimentent depuis plusieurs années des pratiques agroécologiques qui ont démontré leur résilience face au réchauffement climatique. Ils transmettent aujourd’hui leurs expériences et accompagnent d’autres vignerons pour faire face à la crise climatique.

Depuis 2015, la Fondation Daniel et Nina Carasso mène une politique d’investissement à impact pour soutenir des entreprises qui contribuent à accélérer la transition écologique. Sur quels critères s’opèrent les choix d’investissements et quels types d’entreprises sont concernées ?

Nous investissons principalement dans des fonds qui soutiennent l’émergence et le développement d’entreprises alternatives, parfois disruptives, en cohérence avec notre vision et nos valeurs mais aussi avec l’urgence d’une transformation qui s’impose face aux défis actuels. Nous parions sur le changement d’échelle de ces acteurs et leur capacité à faire bouger les lignes. Avec l’appui d’experts et sous le pilotage du Comité financier, la fondation identifie des acteurs sur des thématiques orphelines ou encore peu traitées par les grands investisseurs selon 3 thématiques clés : le renforcement des missions sociales de la fondation (Systèmes alimentaires durables et Art citoyen) ; la lutte contre le changement climatique, la préservation des ressources, la biodiversité ; la durabilité des systèmes et la primauté de l’humain. Fixée initialement à 3 % de la dotation en 2016, soit 15 millions d’euros, l’allocation d’investissement à impact de la Fondation a atteint 54,2 millions d’euros en 2023.

Nous avons récemment créé le programme Tiina pour soutenir l'amorçage de projets innovants en faveur de la transition agricole et alimentaire en France. Il propose un prêt à taux réduit, un suivi financier et d’impact sur la plateforme MiiMOSA, ainsi qu’un accompagnement entrepreneurial par Makesense. Quant au Fonds Fondation Daniel et Nina Carasso – Sustainable Found System (FDNC-SFS), il finance des entreprises à impact et les accompagne dans le passage à l’échelle à travers deux formes de financement : des prêts et des prises de participation au capital. Depuis sa création en 2019, 7 millions d’euros ont été investis dans 14 participations en Espagne et en France.  Nous avons construit un cadre d’analyse de l’impact qui s’appuie sur les principes de la Global Alliance for the Future of Food, déclinés en 6 objectifs d’impact et 19 indicateurs.

La Fondation Daniel et Nina Carasso est engagée en France et en Espagne. Y a-t-il des spécificités ou des façons d’agir différentes entre ces deux pays ?

La Fondation a un statut binational franco-espagnol et agit principalement sur ces deux territoires européens, en hommage au parcours de vie de la famille Carasso. Les équipes partagent une vision commune de l’alimentation, tout en prenant en compte les spécificités des contextes locaux. Là où en France nous soutenons les think tanks existants comme l’IDDRI pour leur travail de prospective et d’analyse des politiques publiques, en Espagne la fondation a créé ALIMENTTA et soutient à travers le Daniel Carasso Fellowship de jeunes chercheurs en Espagne. Dans les deux pays, nous réunissons régulièrement la communauté de l’alimentation durable dans sa diversité, et la 2e édition de Uno Con Cinco, événement ouvert à toutes et tous, se tiendra prochainement à Madrid.  Les échanges sont constants entre les deux pays. Ils permettent de nourrir un dialogue constructif entre les cultures, de partager les bonnes pratiques et d’inspirer de nouvelles manières d’agir. Nous sommes ensemble résolument mobilisés à l’échelle européenne et internationale, et partie prenante au sein de différents réseaux internationaux.