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Philanthropie et territoires : des envies d’agir de plus en plus vivaces

22 novembre 2023

Depuis plusieurs années, les dynamiques philanthropiques se renforcent à l’échelle territoriale. Elles sont le fait d’une grande diversité d’acteurs qui, chacun à leur manière, ont décidé de servir leur territoire.

La philanthropie territoriale ouvre de nouvelles perspectives en matière d’innovation sociale et d’engagement. Elle vient répondre à la volonté de chacun, citoyen, entreprise, association, de contribuer activement à un meilleur vivre-ensemble, en apportant au territoire des solutions agiles et pragmatiques, avec un impact qui se mesure plus facilement.

Une échelle d’action pertinente

Le territoire suscite en effet un attachement et un imaginaire partagés dans lesquels chacun peut se projeter. C’est aussi un niveau qui permet plus facilement d’organiser les réseaux et coopérations pertinentes pour développer des projets. « Le territoire est un espace où les relations sont facilitées car on se connaît. Cette prise directe avec la réalité des besoins et les acteurs en présence permet d’agir efficacement et durablement. », confirme Yann Desdouets, délégué général de la Fondation de France Grand Ouest, qui a accompagné en 2022 la création de neuf fondations abritées au sein de sa région.  Parmi elles, la Fondation Notaire et Breton, mobilisée pour les familles précaires en Bretagne dans le bassin de la Loire, ou encore la Fondation Graine d’avenir CGP Expert qui souhaite agir en Bretagne, en Normandie et Pays de la Loire pour soutenir des projets en faveur de la jeunesse. Son engagement s’articule autour de trois axes que sont l’éducation et l’accès à la culture, le soutien aux enfants malades ou hospitalisés et enfin les initiatives portées par les jeunes en faveur du climat.

Agir à l’échelle locale permet d’être agile et de s’adapter facilement : les solutions se testent et s’affinent sur le terrain, les résultats des actions menées étant plus vite et plus facilement tangibles. Le projet Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée, porté par ATD Quart Monde et soutenu par la Fondation de France, a débuté en 2013 avec l’objectif de redynamiser des territoires économiquement sinistrés. Le dispositif, qui embauche des personnes éloignées de l’emploi dans des entreprises de l’économie sociale et solidaire, a été testé au sein de 10 territoires pilotes puis repris par les pouvoirs publics et étendu à 58 territoires.

Provoquer des coopérations fertiles et durables

Réunir des partenaires de tous horizons autour d’un objectif commun pour une action globale et systémique : c’est ce qui fait le caractère inédit de la philanthropie territoriale. C’est surtout ce qui fait sa grande force. Dominique Soyer, président de la Fondation des Lumières qui lutte contre la précarité dans l’ancien bassin minier du Nord de la France, témoigne : « la double dimension partenariale et territoriale est indispensable pour mener des actions efficaces sur les territoires. Il peut s’agir d’alliances entre plusieurs fondations (comme la plateforme Call&Care lancée en 2021 par sept grandes fondations des Hauts‑de‑France pour lutter contre toutes les formes de décrochage) ou de favoriser le rapprochement de plusieurs entreprises pour créer de nouvelles fondations territoriales. »

Coopérer exige des règles de gouvernance précises. C’est ce que souligne Marion Ben Hammo, chargée de Mission à la Fondation de France et responsable du programme Inventer Demain qui accompagne des acteurs – clés du territoire pour les aider à développer et partager leurs solutions innovantes. Elle explique : « En échangeant avec nos différents partenaires, nous avons constaté que malgré la proximité géographique, de nombreux intervenants ont un regard partiel sur les actions et les intérêts des uns et des autres, ce qui peut être un véritable frein. Nous avons la conviction que le partage et le dialogue entre tous les acteurs, aussi différents soient-ils, est source de progrès. C’est notre rôle à la Fondation de France de provoquer la rencontre qui générera des coopérations fertiles et durables. »

Des acteurs divers et multiples

Une concertation d’autant plus importante que le territoire réunit des acteurs divers et multiples : associations, collectifs d’habitants, fondations, entreprises, collectivités locales… Et suscite des envies d’agir très différentes. Au niveau local par exemple, des groupes de citoyens se réunissent parfois au service d’une cause unique comme la protection d’une zone naturelle, d’une œuvre patrimoniale... A l’image de la Fondation pour la Sauvegarde de la Collégiale de Thann portée par des habitants soucieux de préserver la Collégiale Saint-Thiébaut de Thann en Alsace, classée monument historique en 1841, mais très dégradée et menaçant de s’effondrer.

Mais souvent, à l’échelle des territoires, les approches multi-causes sont privilégiées. Notamment quand il s’agit de mécénat d’entreprises. A l’exemple de la Fondation de Marseille qui réunit plusieurs entrepreneurs autour des problématiques prioritaires du territoire (emploi, logement et éducation) afin de lutter contre la pauvreté.

Les entreprises de proximité s’engagent de plus en plus dans des actions de mécénat. Comme tient à le rappeler Yann Queinnec, délégué général de l’ADMICAL : « Contrairement aux idées reçues, le mécénat d’entreprise n’est pas l’exclusivité des grands groupes, c’est même tout le contraire : 95 % des entreprises mécènes sont des petites ou moyennes entreprises du territoire et les trois quarts d’entre elles choisissent d’agir au niveau local. Cette tendance s’explique à la fois par un besoin croissant de concrétiser leur ancrage territorial, de satisfaire la demande de plus en plus prégnante des collaborateurs et enfin d’articuler la démarche de mécénat avec la notion de RSE. Ces trois facteurs ont un ressort commun : la proximité. »

Certaines entreprises d’envergure nationale choisissent aussi de territorialiser leur action. Christophe Salmon, délégué général de la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale confirme le terreau fertile que constitue l’échelon local : « Nous favorisons l’essaimage d’initiatives innovantes qui prouvent leur efficacité localement avant d’être portées au niveau national. Notre soutien au projet de Coliving de l’association Fratries est très représentatif de cela. Après le lancement d’une première maison à Nantes, où cohabitent jeunes handicapés et jeunes actifs, la fondation soutient la duplication du modèle partout en France. »

Autre spécificité pour les entreprises : le mécénat collectif. Pour Yann Queinnec, « la dimension collective a de plus en plus d’importance. Une pme toute seule sur son territoire et qui dispose d’une poche de 2000, 5000 ou 10 000 euros c’est bien, mais ça ne va pas changer la donne, le fait de se mettre en groupe permet tout de suite d’avoir davantage de moyen et donc un impact renforcé. »

L’ADMICAL a d’ailleurs développé depuis un an un programme d’incubation dédié, en partenariat avec la Fondation de France. Perle Lagier, en charge de ce dispositif explique : « Nous avons la conviction que le mécénat de demain sera de plus en plus collectif et de proximité. Avec le programme d’incubation nous accompagnons un groupe d’acteurs qui souhaitent s’unir et s’engager au service de l’intérêt général sur leur territoire à structurer leur projet de mécénat pendant un an, à affiner leur démarche, à articuler leur gouvernance… »

En région Auvergne-Rhône-Alpes, ces dynamiques collectives sont déjà à l’œuvre. Exemple avec l’Entreprise des Possibles à Lyon qui regroupe 163 entreprises engagées auprès d’associations pour lutter contre le sans abrisme et la grande précarité. Ce modèle lyonnais fait des émules et se développe à présent dans d’autres grandes villes en France. En juin dernier, était lancé le réseau SESAME à Grenoble, un autre collectif d’entreprises mobilisées aux côtés des associations du territoire grenoblois pour agir en faveur des personnes vulnérables.

Témoin et actrice privilégiée du dynamisme de sa région, Delphine Allarousse, déléguée générale de la Fondation de France Centre-Est, l’affirme : « Le mécénat de demain se doit d’être collectif :  les bonnes solutions s’inventent en proximité sur les territoires et à plusieurs, avec des acteurs de tous horizons ! »

Cette volonté d’engagement des entreprises dépasse d’ailleurs le cadre du mécénat. La Responsabilité Territoriale des Entreprises incarne ce changement de paradigme. Maryline Filippi, professeure à Bordeaux Sciences-Agro et chercheuse associée à l’INRAE Paris Saclay, autrice du livre La responsabilité territoriale des entreprises, explique : « Alors que le mécénat des entreprises s’est longtemps structuré autour des parties prenantes internes (salariés) ou directement externes (clients, fournisseurs), la Responsabilité Territoriales des Entreprises les ouvre à tous les acteurs du territoire : collectivités, associations, institutions. La RTE s’inscrit dans un basculement d’une logique individuelle à une logique collective. »