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Le Parlement des exilés : donner une voix politique à ceux qui n’en ont pas

24 novembre 2025

dounya hallaq 1Dounya Hallaq, co-fondatrice du Parlement des exilésSur 68 millions d’habitants en France, plus de 5 millions* sont étrangers et n’ont pas le droit de vote, ni aucune manière de prendre part au débat démocratique. Pour pallier ce manque de représentation et créer les conditions d’une citoyenneté ouverte et inclusive, l’initiative « Le Parlement des exilés »  a vu le jour en 2024, soutenue par le collectif d’action Droits et discriminations de la Fondation de France. L’objectif : créer un espace dédié à la représentation citoyenne des personnes exilées en France grâce à l’élection de candidats formés et prêts à s’engager pour porter la voix de ceux que l’on n’entend pas. Rencontre avec Dounya Hallaq, co-fondatrice du Parlement des exilés.

Comment est né le Parlement des exilés ?

L’idée est née en 2024, au moment où a été promulguée la Loi Asile et immigration, visant à contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration des personnes étrangères. Ce projet de loi a suscité de nombreux débats dans l’espace public mais paradoxalement la parole des exilés, autrement dit les premiers concernés, n’était jamais prise en compte. Personne n’avait pensé à les écouter, à interroger leur expérience, leur point de vue. Face à ce constat, nous avons voulu agir pour offrir une tribune aux personnes exilées concernées tout en valorisant des compétences souvent méconnues. Et ainsi permettre à chacun de participer à la vie politique du pays.

Notre association, formée d’étudiants, d’artistes ou de citoyens engagés ayant fui leur pays a imaginé le Parlement des exilés, un espace de représentation et de participation citoyenne dédié aux populations exilées où elles pourraient s’exprimer librement et prendre part à l’orientation des politiques publiques. Les représentants sont élus démocratiquement, puis formés au fonctionnement des institutions françaises pour pouvoir porter la voix des exilés auprès des instances politiques. Le lancement officiel a eu lieu le 8 janvier 2024 au Conseil Économique, Social et Environnemental  (CESE) en présence d’experts, d’acteurs associatifs et de représentants de la société civile. Le projet s’articule autour de trois phases : d’abord la campagne et l’élection, puis la formation universitaire d’un an sur le fonctionnement des institutions et ensuite l’exercice du mandat.

Comment se sont passées les premières élections du Parlement des exilés ?

Tout est allé très vite. Après le lancement officiel du projet, nous avons reçu plus de deux cents candidatures de toute la France alors que nous n’avions que très peu communiqué autour de la démarche ! Pour être candidates, les personnes exilées doivent être depuis plus d’un an sur le sol français, justifier d’un engagement associatif et avoir un niveau d’étude suffisant (niveau bac au moins) et surtout la volonté de rester en France et de participer pleinement à la vie citoyenne du pays. Au final, une trentaine de candidats ont été sélectionnés et chacun a pu présenter son programme sur le site du Parlement des exilés durant une campagne express de 6 jours. Les élections ont eu lieu en ligne, en juillet. Près de 5500 électeurs se sont mobilisés ce qui est une vraie réussite pour un scrutin organisé en plein milieu de l’été ! 17 exilés ont été élus , avec le souci d’une parité exemplaire (9 femmes et 8 hommes). Les programmes portaient avant tout sur des thématiques très concrètes : accès au marché de l’emploi, à l’éducation, à la culture et aux cours de français mais aussi défense des droits des femmes et des minorités de genre.

Comment sont ensuite formés les élus ?

Ils suivent une année de cours à l’université sur le fonctionnement des institutions françaises et de l’Etat pour préparer le diplôme « Travaux et Techniques Politiques pour Parlementaires Exilés » , une formation spécifique créée par l’Université Paris-Nanterre .

Nous travaillons aussi avec d’autres partenaires selon leurs spécialités comme par exemple avec l’Institut Jacques Delors  sur la construction européenne, le CELSA  sur la communication, ou encore l’Université de Columbia  pour son approche anglosaxonne. L’idée est d’avoir des cours théoriques sur les droits de l’homme, les différents types de discriminations mais aussi un accompagnement pratique avec des ateliers sur la prise de parole, les techniques de leadership ainsi qu’un stage de fin d’étude.

Tout au long de l’année nous proposons aussi un programme de visites et de rencontres : nous sommes allés à l’Assemblée nationale pour y rencontrer Yaël Braun Privet, à la Cour des comptes, nous avons également pu échanger avec Rachid Temal, député du Val d’Oise, Paolo Artini, représentant du HCR, ou encore l’économiste Gabriel Zucman…

A renseigner
Le Parlement des exilés avec Rachid Temal, député du Val d'Oise (au centre).
© D.R.

En quoi consiste le mandat des parlementaires exilés ?

Nous n’avons pas encore de recul, car les élus suivent pour l’instant leur formation universitaire et leur mandat ne débutera qu’en septembre 2026. Mais il s’agira tout d’abord pour eux de se concerter pour identifier et sélectionner les sujets prioritaires sur lesquels il leur paraît essentiel d’intervenir au nom des exilés, par exemple sur le logement, l’accès aux formations, etc. Ils formeront ensuite des groupes de travail thématiques destinés à réfléchir ensemble, effectuer des recherches approfondies, rencontrer des experts pour pouvoir formuler des recommandations aux décideurs politiques et aux instances concernées. Et ainsi faire le lien entre leurs électeurs et les institutions. Idéalement, nous souhaiterions pouvoir leur offrir un contrat de travail durant leur année de mandat afin qu’ils puissent exercer pleinement et sereinement ce rôle de représentant.

Comment votre initiative est-elle accueillie ?

Nous avons conscience que notre démarche touche un sujet délicat, mais nous avons reçu un très bon accueil, notamment des universités mais aussi des élus et des acteurs publics. Beaucoup reconnaissent le côté innovant de ce projet qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, sauf au niveau local en Allemagne ou à l’échelle de l’Europe via les conseils consultatifs. L’intérêt de notre démarche a aussi été mis en avant dans un rapport  réalisé par l’Institut pour la Démocratie (IDEM) intitulé « Le Parlement des Exilés. Un projet de renouvellement citoyen en temps de crise de la démocratie », qui souligne la nécessité d’impliquer les populations exilées dans les processus décisionnels.

En quoi le Parlement des exilés est-t-il une réponse à la crise de la démocratie ?

Nous contribuons à renforcer les principes démocratiques en comblant l’absence de représentation politique de toute une frange de la société qui est marginalisée et inaudible.

Par ailleurs, le Parlement des exilés permet aussi de changer les regards sur les questions d’immigration et les immigrés eux-mêmes. Nous faisons le pari qu’en donnant la parole à des gens suffisamment formés et intégrés, ils pourront gagner en visibilité et déconstruire les préjugés où ils sont enfermés. Dans une société de plus en plus polarisée, en proie aux replis identitaires et où sont souvent opposés les intérêts des exilés à ceux du reste de la population, notre initiative est l’occasion de montrer que les luttes et les droits des uns peuvent servir les luttes et les droits des autres. Faire entendre ces nouvelles voies est donc une chance pour tous.

(*) Selon l’INSEE