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«Le numérique peut enfin devenir un outil d’inclusion massif »

11 octobre 2024

Frédéric Bardeau © D.R.

Frédéric Bardeau est co-fondateur et président de l'École Simplon. Créée en 2013, elle forme gratuitement aux métiers du numérique des jeunes déscolarisés ou sans diplôme ainsi que des personnes éloignées de l’emploi. En un peu plus de dix ans, l’école a formé près de 30 000 élèves, en France et partout dans le monde

Vous avez co-fondé il y a plus de dix ans l’École Simplon. Quelle était votre ambition de départ ?

Plusieurs raisons nous ont conduits à créer l’École Simplon. Tout d’abord, le manque cruel de diversité dans le milieu du numérique, que j’ai pu constater depuis le début de ma carrière. Ensuite, le fait que France Travail regorge de personnes pleines de qualités et très talentueuses mais sans emploi alors que, dans le même temps, les métiers du numérique sont en tension et beaucoup d’entreprises cherchent à recruter. Alors je me suis dit qu’il fallait proposer une formation aux métiers du numérique qui soit hyper inclusive, gratuite et adaptée aux personnes éloignées de l’emploi, qu’elles soient sans diplôme, en reconversion, en situation de handicap ou réfugiées. L’autre ambition était aussi de couvrir tous les territoires : pas seulement les agglomérations mais aussi les zones rurales, l’outre-mer, etc.

Pourquoi avoir choisi le statut d’entreprise sociale et solidaire ?

Notre modèle fondé sur la gratuité et l’inclusion de tous les publics est atypique sur le marché très concurrentiel de la formation. Nous ne pouvons donc pas le mettre en œuvre dans un cadre classique de compétition et de rentabilité. C’est pourquoi Simplon est une entreprise sociale qui s’appuie sur un fonds de dotation et une association pour lever des fonds. Seul le secteur de l’intérêt général et les outils de financement associés rendent possible la prise en charge de la totalité des coûts de formation des publics éloignés de l’emploi. La philanthropie nous permet d’accompagner les personnes les plus à la marge alors que le secteur privé, qui vise la rentabilité, préfère se concentrer sur les gens aux profils plus classiques. Elle nous permet aussi d’expérimenter des solutions innovantes en créant des ponts entre les différents acteurs publics, privés, associatifs.

Les projets qui ont fait leurs preuves peuvent d’ailleurs être repris ensuite par la puissance publique. Cela a été le cas pour le dispositif public : la « Grande École du Numérique ». Le projet a été développé par l’État en lien avec des acteurs pionniers comme Simplon et cela a permis de subventionner massivement des écoles gratuites et inclusives pour favoriser la diversité dans les métiers du numérique.

Les actions de plaidoyer menées par les acteurs de la philanthropie peuvent aussi inspirer le secteur privé. À notre niveau, par exemple, nous avons contribué à ce que certains organismes de formation traditionnels s’ouvrent davantage à des publics différents, qu’ils soient plus sensibles à la parité et à la mixité sociale au sein de leurs effectifs.

Quelles sont les spécificités de l’école par rapport à des formations classiques ?

Il y a d’abord sa gratuité. Simplon propose non seulement une formation gratuite, mais aussi des bourses pour aider les personnes à financer leur logement, les transports, afin qu’ils puissent se former dans de bonnes conditions. Ensuite, son hyper inclusivité. Dans notre école, la moitié de nos apprenants ont un niveau bac ou inférieur ; 4 sur 10 sont des femmes (ce qui est très rare dans le secteur du numérique) ; 12 % sont en situation de handicap et environ 7 % sont des personnes réfugiées. Pour réussir le pari de nous adresser au plus grand nombre, nous travaillons en partenariat avec les comités de lutte contre le décrochage scolaire, les missions locales, France Travail, ou encore les associations qui œuvrent pour l’insertion sociale des réfugiés, des personnes en situation de handicap, et le monde de l’éducation populaire.

La sélection des candidats ne se fait pas sur la base du CV et des diplômes, mais sur des critères plus globaux qui tiennent compte du parcours de vie. Les gens ne passent pas d’examens, ni de tests, on cherche plutôt à repérer les habiletés de chacun à travers des mises en situation pour voir si ce que l’on souhaite leur apprendre va leur convenir… Il y a beaucoup de bienveillance et l’on passe beaucoup de temps à convaincre les personnes qu’elles sont capables de faire.

Enfin, notre modèle pédagogique est particulier dans le secteur du numérique : l’école forme à des compétences qui permettent d’exercer un métier, comme développeur web, technicien support ou ingénieur data... pas à des technologies, comme c’est souvent le cas ailleurs. Les formations s’organisent autour de projets concrets à réaliser et des mises en situation quasi-réelles. L’objectif étant de rendre la frontière entre la formation et l’emploi la plus fine possible. Nos formateurs sont des développeurs professionnels qui ont une réelle connaissance de l’entreprise. Ils transmettent non seulement des compétences métiers mais aussi des compétences transversales, comme faire de la veille, continuer à se former, etc.

Comment réussissez-vous le pari de l’inclusivité qui sous-entend d’accompagner des personnes aux profils très différents ?

Grâce au soutien des fondations, nous disposons de moyens pour l’innovation et la Recherche et Développement. Nous pouvons ainsi expérimenter des accompagnements spécifiques, adaptés à certains publics. Par exemple, nous avons mis en place des périodes de préqualification de 6 à 8 semaines pour préparer et renforcer les apprenants les plus fragiles avant qu’ils n’intègrent leur formation. Le dispositif s’adresse à des publics ciblés : personnes réfugiées, femmes, seniors ou personnes en situation de handicap et permet de réduire les écarts de niveau. Cet accompagnement préparatoire est une de nos spécificités. C’est ce qui explique, entre autres, que nous pouvons accueillir des profils très hétérogènes et les former de manière inclusive. Ce genre de dispositifs n’est pas pris en charge par le fonds d’aide à la formation professionnelle, et ne pourrait donc pas exister sans le concours de la philanthropie.

Le développement galopant des nouvelles technologies (et notamment l’intelligence artificielle) fait planer le risque d’une fracture numérique au sein de la société. Quel peut être le rôle des acteurs de l’intérêt général face à cette problématique ?

L’arrivée des intelligences artificielles génératives ne doit pas être considérée comme une menace, mais plutôt comme une opportunité car elle est porteuse de solutions pour résorber la fracture numérique. En effet, pour la première fois dans l’histoire du secteur, cette nouvelle technologie offre une interface homme-machine très accessible : elle est en langage naturel, multilingue et multimodale, ce qui en fait un outil adapté par exemple aux personnes en situation de handicap. Pour se servir de l’IA, on n’a pas besoin d’être geek ou de s’y connaître en codage…. C’est pourquoi je pense qu’on est à un tournant essentiel où le numérique peut enfin devenir un outil d’inclusion massif. Voilà un objectif auquel peuvent contribuer les acteurs philanthropiques. 

À Simplon, nous formons des développeurs en IA depuis 2018. Depuis l’arrivée de Chat GPT fin 2022, nous proposons des formations grand public sur les compétences fondamentales du numérique qui incluent le recours à l’IA. Elles s’adressent à tous les profils, y compris à ceux qui n’ont jamais travaillé dans le numérique. Au-delà des compétences métier acquises, ces formations ont aussi l’ambition d’aider les citoyens à se servir de l’IA de manière efficace et autonome dans leurs projets et leur quotidien.

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