Quand les ressources naturelles boostent les ressources humaines
Région de Kabylie Algérie
Comment créer une nouvelle dynamique économique? L’Association pour la jeunesse innovatrice et pour l’environnement (l’AJIE), développe ici un programme de formation : valorisation des produits du terroir et du développement durable. Plus de 200 personnes ont pu bénéficier de formations et d’accompagnement pour développer leur micro-activité en apiculture, en gestion des déchets, en compostage… pour un maillage d’activités complémentaires.
Non, la Méditerranée n’est pas toujours bleue. Ici, en Grande Kabylie, à une centaine de kilomètres à l’est d’Alger, elle est terre, collines et montagnes.
La réalité de la région y est aussi riche que complexe. Riche parce que dotée d’un savoir-faire agricole transmis de génération en génération. Riche aussi de ses oliviers, dont l’huile extraite est réputée pour être l’une des meilleures du bassin méditerranéen et représente aujourd’hui 80 % de la production nationale. Complexe parce que le chômage reste élevé et pousse une partie de la population à l’exode rural.
C’est ce potentiel qui a incité l’Association pour la jeunesse innovatrice et pour l’environnement (l’AJIE), créée en 2000 à Tizi Ouzou, à concevoir un programme de formation. Le thème : la valorisation des produits du terroir et du développement durable. Comment (re)mobiliser les habitants autour de leur environnement immédiat ? Créer une nouvelle dynamique économique à partir des ressources naturelles ? Très implantée localement, l’AJIE a su articuler une réflexion sur le respect de l’environnement et la création d’activités génératrices de revenus. Une dynamique gagnante soutenue par la Fondation de France depuis 2011. À ce jour, plus de deux cents personnes ont pu bénéficier de formations en apiculture, en gestion des déchets, en compostage, en commercialisation de produits, etc. Parmi les bénéficiaires de ces formations, nous rencontrons Ourdia, Kamel, Djamila et Farhat, par l’intermédiaire de Hadjira et Doudouche, les deux énergiques coordinatrices de l’AJIE.
Première halte dans le village de Boghni : Ourdia nous reçoit dans sa cuisine impeccablement rangée. Le plan de travail est recouvert de petits fromages frais aux herbes, de lait caillé, de crème de lait… Il y a sept ans, Ourdia était femme au foyer. Par Radio Tizi Ouzou, elle entend parler de l’offre de formation en apiculture proposée par l’AJIE et décide de s’inscrire. La session est complète, mais Ourdia parvient à réunir en un temps record une douzaine de personnes intéressées et dégote une salle de réunion. Épatée par tant de ténacité, l’association décide d’ouvrir une nouvelle formation, orientée vers la transformation et la valorisation des produits laitiers. Grâce à cette formation, Ourdia développe progressivement sa production artisanale de fromages, qu’elle vend désormais à Boghni, son village natal, et dans trois autres localités environnantes. Elle est aujourd’hui sollicitée par un groupe de jeunes des environs pour partager son expérience afin qu’à leur tour ils se lancent… La dynamique est en route.
Kamel nous rejoint sur la terrasse ombragée devant la maison d’Ourdia. Ancien restaurateur, il s’est reconverti dans l’élevage, il y a un an et demi, après avoir suivi un cycle de formations. « J’ai appris à nourrir, à traire les bêtes, à établir les calendriers de naissance… J’ai commencé avec dix chèvres, et j’en ai maintenant vingt. » Cette activité prend forme petit à petit et l’encourage à réfléchir aujourd’hui à une nouvelle idée : faire de sa ferme un lieu pédagogique. Kamel est aussi devenu le principal fournisseur en lait d’Ourdia. Ce développement de synergies entre les projets est au cœur même de la démarche de l’AJIE : tisser des liens entre les porteurs de projet pour permettre à tous de grandir.
Étape suivante, en direction d’Ath Yanni, à la rencontre de Djamila. Joyeusement, elle nous guide sur une pente raide jusqu’à ses « trésors » : au sommet de la colline, devant un petit champ bordé d’une barrière, sept ruches semblent sommeiller. La jeune femme se souvient de la « date de naissance » de sa nouvelle vie : « J’ai eu mes premières ruches le 28 septembre 2012 ! » Fonctionnaire à la mairie locale, elle couvait ce rêve depuis l’enfance. Après plusieurs formations en apiculture dispensées par l’AJIE, elle a aussi bénéficié d’un accompagnement individualisé : « Parfois, la saison n’est pas bonne, et tu es tentée de laisser tomber. À ce moment-là, tu reçois un coup de fil de Doudouche qui demande des nouvelles. Alors tu racontes tes difficultés, et cet échange te redonne du courage. C’est vraiment très important cet accompagnement. »
« Au cœur même de la démarche de l'AJIE : tisser des liens entre des porteurs de projet pour permettre à tous de grandir. »
« Avant, la plupart de ces femmes ne sortaient pas. Aujourd’hui, elles savent rédiger un projet, gérer un budget ! »
Aujourd’hui, au démarrage de chaque nouvelle formation à l’apiculture, l’association convie les stagiaires au rucher de Djamila pour une initiation pratique. « De plus en plus de femmes, surtout mères au foyer, veulent devenir apicultrices, nous explique Doudouche. C’est une activité génératrice de revenus relativement facile à mettre en place. Avant, la plupart des femmes bénéficiaires de nos formations ne sortaient pas. Aujourd’hui, elles savent rédiger un projet, gérer un budget… Des mots qu’elles ne connaissaient même pas avant de nous rejoindre ! Et, quand on a un revenu, on peut aussi décider pour soi. »
Retour à Tizi Ouzou par le superbe barrage de Taksebt. Au siège de l’association, Farhat, chauffeur de taxi, raconte le hasard formidable qui a déclenché sa passion pour les abeilles : « Je conduisais une cliente à une formation de l’AJIE sur l’apiculture et devais la récupérer en fin de journée. Le trajet étant trop long, j’ai préféré l’attendre sur place, et j’ai pu assister à la session. Une révélation ! J’ai demandé à l’AJIE de suivre le cursus et en échange, je leur ai proposé de transporter gratuitement les stagiaires des autres villages. » Aujourd’hui, Farhat dispose de plusieurs ruches et multiplie les échanges avec d’autres apiculteurs du territoire sur ses « chères, chères abeilles… »
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