Les carrioles de l’espoir
Transformer la vente « à la sauvette » en vrai commerce, c’est l’aventure collective des femmes de Salé au Maroc. Avec à la clef, des revenus, un rôle social et une dignité retrouvée. Une initiative qui fait école.
La scène se déroule un soir, en pleine rue, dans ce quartier de Sala Jafida appelé la Nouvelle Salé, près de Rabat. « Il n’est pas bon mon pain ? », lance une vendeuse ambulante, accroupie devant ses galettes empilées à même le trottoir. Hayat Bouffarrachen, fondatrice de l’Organisation marocaine pour l’équité familiale (OMEF), opte pour la franchise : « Sans doute délicieux, mais sûrement pas hygiénique ! Mais si vous voulez, on peut se revoir, imaginer comment mieux commercialiser votre marchandise… Je suis prête à vous aider ! »
Hayat raconte l’épisode, installée dans la grande salle de formation de l’association où trônent une quinzaine d’ordinateurs. L’OMEF, créée en 2002, accompagne des personnes fragilisées : familles poussées par l’exode rural, mères monoparentales ou chefs de famille sans emploi… Grâce au partenariat avec l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), et avec le ministère de l’Emploi, ce sont plus de 2500 personnes qui ont bénéficié du soutien de l’association ces dix dernières années.
Comme ces trente femmes engagées dans le projet des « boulangères ambulantes ». L'un des principes du programme : la fabrication de petites carrioles roulantes. À l’intérieur, les galettes de pain reposent sur deux étagères, respectant ainsi des conditions d’hygiène qui facilitent la vente. Un petit auvent de toile abrite de la pluie. « Je me suis inspirée de la Chine où beaucoup de commerces ambulants utilisent ces carrioles, raconte Hayat. Nous tenions à ce que cela soit esthétique, pour les vendeuses elles-mêmes et aussi pour l’environnement urbain, le quartier. »
"Nous tenions à ce que les commerces ambulants soient esthétiques, pour les vendeuses elles-mêmes et aussi pour l’environnement urbain, le quartier."
Lieu de vente identifié, présentation des produits plus soignée, respect des conditions d’hygiène : les revenus des vendeuses ont progressé.
L’un des principes du programme « Méditerranée, d’une rive à l’autre » est de soutenir les projets expérimentaux, de prendre le risque de l’échec pour mieux évoluer et rebondir. En 2013, à la conception du premier prototype de cette carriole, Hayat a trébuché : manque de conseils techniques avisés, d’appuis financiers locaux insuffisants… « Nous étions prêtes à renoncer. C’est à ce moment, que la Fondation de France a accepté de nous aider. Les autres partenaires ont suivi. »
Dans les rues de Salé, à la demande des autorités municipales, les carrioles se concentrent toutes sur un même trottoir. En observant le manège de ces marchandes et des voitures s’arrêtant pour acheter du pain, la vision globale du projet, ingénieux et simple à la fois, est évidente : inscrire ces femmes dans le paysage socio-économique du quartier de Salé, alors qu’elles en étaient auparavant exclues ou chassées par la police. Ainsi, ces femmes, pour la plupart sans qualification, souvent seules à faire vivre leur famille, sont devenues de nouvelles actrices de la vie locale. Aujourd’hui leur activité génère un revenu quotidien même s’il reste modeste. « Et aussi de la dignité !, dit simplement Fatema, mère de huit enfants. Ma carriole, c’est comme un petit magasin, même si j’espère en avoir un vrai… un jour. »
Consciente de la grande précarité de son public, Hayat a conçu un cycle de formations spécifique adapté aux bénéficiaires du projet : règles d’hygiène, bases de comptabilité, de marketing… Certaines ont compris rapidement comment diversifier leurs produits et proposent désormais des pains traditionnels à l’orge ou encore des pâtisseries ; quelques clients leur commandent même des plats de traiteur qu’elles cuisinent chez elles.
Au-delà des situations individuelles, « ces commerçantes ont vraiment le sentiment d’appartenir à une équipe et développent une solidarité. Elles savent que leur expérience est devenue un modèle dans le pays », souligne Hayat, aujourd’hui vice-présidente de la Chambre des représentants du Maroc à Rabat. De fait, dans le quartier, l’initiative a influencé d’autres commerçants. Les médias, surtout, ont largement relayé l’initiative et valorisé l’innovation qui a inspiré ensuite les municipalités de Rabat, de Casablanca, etc., l’OMEF a pu ainsi trouver d'autres soutiens publics et privés pour ses projets.
Hayat salue chaque vendeuse ambulante… Remontant dans sa voiture, elle exprime néanmoins un regret : « Je ne peux jamais leur acheter de pain, elles refusent que je les paie ! »
Les carrioles de l'espoir en images
Lieu de vente identifié, présentation des produits plus soignée, respect des conditions d’hygiène : les revenus des vendeuses ont progressé.
Le projet en bref
Soutien à l'activité des femmes
Qui ? Organisation marocaine pour l’équité familiale (OMEF)
Pourquoi ?
- amélioration des conditions de travail des femmes vendeuses de pain dans les rues de Salé ;
- augmentation des revenus générés par la vente de pain ;
- inscription de leur activité dans le paysage urbain ;
- valorisation et meilleure estime de soi.
Où ? Salé MAROC
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