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M’zab, la chèvrerie de Ghardaïa

13 décembre 2018

Mounir est poli, il interrompt volontiers son travail pour saluer, « Bonjour, ça va ? Ça va… », mais il ne faudrait pas que ces présentations durent trop longtemps… En cette fin de matinée caniculaire, il lui reste encore beaucoup d’herbe à couper pour nourrir les chèvres.« Le travail, Mounir aime tellement cela qu’il faut presque l’extirper de force de notre champ, à la fin de la journée ! », commente Salah, psychologue du centre psychopédagogique de Salah Bazine.

Inauguré en octobre 2007 par l’Association d'aide aux handicapés mentaux de Ghardaïa (AAHMG), le centre Salah Bazine comprend aujourd’hui cinq unités pédagogiques et de formation : un accueil pour enfants et adolescents, une unité d’apprentissage professionnel, un centre de vie et le Centre d’aide par le travail (CAT) qui développe le projet de la chèvrerie soutenu par la Fondation de France.

Mounir a 21 ans, il est atteint de trisomie 21. Il y a encore cinq ans, il restait à la maison, inactif et isolé, tout comme Daoud, Jabir, Mansour ou encore Bakir… Aujourd’hui, ils sont sept jeunes adultes handicapés qui s’activent dans la chèvrerie. Ils y cultivent, récoltent le foin, nourrissent les bêtes, les traient… La production de lait est écoulée en partie dans le centre pour les repas des enfants, le reste est vendu à l’état brut ou transformé sur place en beurre.
Si la prise en charge du handicap s’est améliorée en Algérie, la société civile a vite compris qu’elle avait un rôle à jouer pour appuyer l'action des établissements publics. Ces derniers ne peuvent, en effet, répondre à toutes les demandes, et notamment sur les territoires isolés au sud du pays. Créée en 1993 par un groupe de bienfaiteurs et de parents, l’AAHMG a d’abord assuré l’accueil de jeunes handicapés mentaux en proposant des activités pédagogiques dans un petit appartement. Quinze ans plus tard, l’association accueille plus de cent demi-pensionnaires. « Notre priorité est que les enfants deviennent progressivement autonomes, explique Salah, spécialisé en thérapie familiale. À leur arrivée, la plupart ne savent pas se laver, s’habiller ni lacer leurs chaussures seuls. Ici, on les stimule pour se prendre en charge en impliquant toujours les parents. »

Cependant, au fil des années, la question du devenir de ces jeunes s’est posée aux familles, au-delà du soin – « Quand nos enfants vieilliront, qui veillera sur eux après nous ? » – incitant l’association à intégrer aussi une réflexion sur l’insertion sociale des personnes accueillies au centre. Comment ? L’innovation s’inspire souvent de la tradition : la chèvre mozabite est un animal emblématique de la vallée du Mzab. Pour réaliser son Centre d’aide par le travail, l’association a donc misé, en 2014, sur la création d’une unité de fourrage vert, sur la mise en place d’un élevage de chèvres et bientôt d’une fromagerie et a progressivement intégré une dizaine de jeunes travailleurs handicapés.

« Si la Fondation de France a choisi de soutenir ce projet, c'est parce qu'il contribue à faire changer le regard sur le handicap, à valoriser le potentiel et la capacité d’agir des personnes. »

Derrière l’enclos où se bouscule une vingtaine de chèvres, sur le terrain de broussailles vertes, Mounir, serpe à la main et geste sûr, coupe les herbes à ras puis les entasse en bottes. Plus tard, Jabir, qui, à son arrivée au centre, était souvent pris par de violentes crises d’épilepsie, chargera consciencieusement la brouette pour la conduire auprès des chèvres. Auprès des animaux, tous ces jeunes se sont découvert des compétences insoupçonnées. Deux d’entre eux ont même obtenu aujourd’hui un emploi à l’extérieur du centre. Les pouvoirs publics locaux reconnaissent l’intérêt du projet : visites officielles, dont celle du Wali, financement d’un terrain de foot, accord de principe pour de futurs projets du centre…

Si la Fondation de France a choisi d’accompagner la mise en place de cette chèvrerie, c’est qu’elle correspondait à sa volonté de soutenir des initiatives allant plus loin qu’une prise en charge médicale de la santé mentale. Des projets qui mettent l’accent sur la capacité à agir, à être reconnu pour ce que l’on réalise. Avec un double enjeu : former et accompagner ces jeunes, mais aussi en appeler à la tolérance de la société, de façon très concrète. Comment, en effet, mieux changer le regard sur le handicap qu’en valorisant, sans condescendance, le potentiel d’action de ces personnes handicapées ?

Dans la salle de réunion du centre, les familles venues témoigner ce matin sont nombreuses.Les mères sont voilées selon la tradition locale : tissu blanc recouvrant la totalité du visage et ne laissant apparaître qu’un œil. Les pères sont droits et silencieux. Plats de dattes, de fromage frais et biscuits… les jeunes servent eux-mêmes à table. Ces parents auraient-ils imaginé que leurs enfants puissent acquérir une telle autonomie ? Unanimement, et en silence, tous secouent la tête de droite à gauche… Un père intervient : « Le centre a des méthodes qui développent les capacités de nos enfants. Nous, on n’a ni la compétence ni le temps. Avant, ma fille Zineb restait toujours seule, assise dans le salon. Maintenant, elle participe aux tâches de la maison, aide sa maman. » Il ajoute : « Ce qu’elle fait au centre donne de la valeur à sa vie. » Le père de Jabir, lui, dit le soulagement qu'il a ressenti le jour où son fils a pris l’autobus seul pour la première fois ; le frère de Mounir raconte sa fierté quand, le matin, il voit son cadet trépigner pour aller travailler… Autant de « petites » victoires du quotidien… immenses et miraculeuses.

Le projet en bref

Création d’activité pour des jeunes en situation de handicap

Qui ? Association d’aide aux handicapés mentaux de Ghardaïa (AAHMG)

Pourquoi ?

  • encourager l’autonomie des personnes handicapées et leur capacité d’agir ;
  • favoriser leur insertion sociale et professionnelle ;
  • soulager les aidants parentaux ;
  • faire changer les regards sur le handicap.

Où ? Ghardaïa ALGÉRIE