La philanthropie face aux défis environnementaux : quels enjeux et perspectives pour une transition juste ?
Partout dans le monde, les sociétés font face aux dérèglements climatiques et à leurs graves conséquences sur la planète et les populations. L’interconnexion entre crise climatique, dégradations environnementales et inégalités socio-économiques est de plus en plus évidente. Alors qu'il est urgent d’agir pour éviter des impacts encore plus catastrophiques, la philanthropie a un rôle clé à jouer pour accompagner une transition écologique juste et solidaire.
Ces enjeux sont au cœur de la nouvelle étude menée par l’Observatoire Philanthropie & Société de la Fondation de France, en collaboration avec Anne Monier, chercheuse à la Chaire Philanthropie de l’ESSEC. Une présentation des principaux enseignements de cette étude a eu lieu le 5 novembre à l’Académie du Climat à Paris, en présence de personnalités expertes du sujet.
« Nous vivons aujourd’hui dans un monde en profonde mutation, confronté à des dérèglements climatiques majeurs mais aussi à de multiples crises économiques, sociales, démocratiques, géopolitiques. Dans ce contexte, il est primordial d’aborder la question de la transition écologique sous un prisme global, qui tient compte de l’imbrication de tous les enjeux. Nous devons pour cela unir nos forces et agir collectivement aux côtés de tous les acteurs qui sont prêts à s’engager au niveau international, national et local », a déclaré en introduction Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation de France.
Philanthropie et défis environnementaux, où en est-on ?
Si les années 1970-80 ont marqué un tournant dans la prise en compte des enjeux environnementaux dans le monde, c’est surtout lors de la COP21 en 2015 et après la pandémie de Covid-19 que le secteur philanthropique en France s’est emparé de ces enjeux, comme l’atteste la création de la Coalition française des fondations pour le Climat (CffC) en 2020.
Néanmoins, les actions et financements restent insuffisants face à l’urgence et à l’ampleur des défis. Selon la dernière édition du rapport du réseau européen Philea « Environmental Funding by European Foundations », les dépenses estimées des fondations et fonds de dotation (FDD) en France dédiées à la cause environnementale représenteraient 474 millions d’euros, soit 3 % de l’ensemble des dépenses du secteur. Au niveau mondial et européen, la tendance est la même : selon les données de l’étude, les financements consacrés aux enjeux environnementaux représenteraient 2 % des financements philanthropiques globaux et 5 % des financements européens.
On observe toutefois une prise en compte croissante des questions environnementales par la philanthropie : en France, 25 % des structures du secteur créées depuis 2019 disent consacrer au moins une partie de leur activité à l’environnement, contre 14 % des fondations et FDD créés avant 2009 qui affirment agir sur l’environnement (source : Enquête nationale de la Fondation de France sur les fondations et fonds de dotation 2001-2022).
Par ailleurs, de plus en plus d’acteurs prennent conscience de la complexité des enjeux environnementaux et de l’importance d’une transition juste, intégrant la dimension de justice sociale. Une imbrication qui nécessite pour les fondations d’adopter une approche plus transversale, de long terme et fondée sur la coopération et l’action de proximité. Comme l’a indiqué Edouard Morena, chercheur à l’Institut de l'université de Londres à Paris, lors de la table-ronde organisée dans le cadre de la restitution de l’étude : « L’urgence de la transition environnementale ne doit pas être un prétexte pour ne pas se questionner et se remettre en question. Avancer vers une transition juste, c’est avant tout repenser nos manières de fonctionner pour être plus en phase avec les réalités ».
Vers une philanthropie de transition juste
Que serait une philanthropie de transition juste ? Comment peut-elle être mise en œuvre ? Quelles transformations structurelles nécessite-t-elle pour le secteur ? Après un état des lieux des enjeux et défis rencontrées par les fondations et les FDD qui agissent sur les questions environnementales, l’étude apporte un éclairage sur la notion de philanthropie de transition juste. Cette dernière se caractérise par son approche systémique, qui tient compte de l’interconnexion des crises climatiques, socio-économiques, démocratiques, géopolitiques. Elle adopte une approche de long terme fondée sur la confiance, en instaurant des relations horizontales avec les structures soutenues, et en développant des collaborations avec les autres parties prenantes de la société (pouvoirs publics, entreprises, ONG, citoyens, …). Stéphanie Clément-Grancourt, directrice générale de la Fondation pour La Nature et l’Homme, a notamment rappelé l’enjeu démocratique qu’il existe sur les sujets environnementaux : « C’est un élément très important pour nous de ne pas laisser les citoyens de côté sur des sujets qui se technicisent énormément. »
Selon Edouard Morena, la philanthropie de transition juste est également « une philanthropie engagée qui aligne ses discours et ses pratiques ». Si le secteur philanthropique français revendique largement une relative « neutralité » et une posture « apolitique », un nombre croissant d’acteurs se questionne sur l’engagement nécessaire de la philanthropie face aux enjeux environnementaux. Interrogée dans le cadre de l’étude, Agnès Golfier, co-directrice en charge des opérations de la Fondation Danielle Mitterrand, souligne en ce sens : « Nous sommes dans un moment de refermeture des espaces démocratiques sur les questions environnementales. En tant que fondation, nous pouvons encore avoir une certaine liberté à dire des choses et pousser des sujets. Cela fait vraiment partie de nos réflexions de se dire que nous participons au renouvellement démocratique. La crise environnementale va s’approfondir, donc peut-être que nous avons aussi un rôle à jouer pour être lanceur d’alerte et même un petit peu militant au regard de l’urgence ».
L’étude se termine sur quelques propositions en faveur d’une philanthropie de transition juste. Si le secteur souhaite agir sur ces enjeux et contribuer à construire une société plus juste et durable, il semble important que celui-ci se remette en question, prenne des risques, fasse preuve d’innovation, en tenant compte des savoirs et des expériences provenant du terrain et des populations directement concernées.
POUR ALLER PLUS LOIN
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