Solidarité Mayotte : 3 questions à Karine Meaux
Karine Meaux, responsable Urgences à la Fondation de France, met son expertise au service de Mayotte après le passage dévastateur du cyclone Chido. Forte d’une expérience dans des crises majeures, comme celles des ouragans Irma et Maria qui ont frappé Saint-Martin et Saint-Barthélemy en 2017 ou des séismes en Turquie et en Syrie en 2023, elle était sur place du 25 décembre au 3 janvier pour évaluer les besoins et coordonner les actions de la Fondation de France avec celles des acteurs locaux.
Quelle est la situation actuelle à Mayotte ?
La situation demeure extrêmement critique. Près d’un tiers des habitations en dur ont perdu leur toit, et les "bangas", ces logements de fortune qui représentent 40 % des habitations, ont été entièrement détruits lors du passage du cyclone. L’accès à l’eau potable y est très limité : les habitants dépendent des rivières et des sources sauvages pour s’hydrater et se laver. Cette situation entraîne de graves conséquences sanitaires. Des maladies pourraient se propager très vite, sur ce territoire encore récemment en proie au choléra, alimentant une inquiétude croissante. La gestion des déchets qui était déjà problématique avant le cyclone est devenue très critique. Pour répondre aux besoins de première nécessité, la Fondation de France soutient activement des associations qui agissent localement depuis plusieurs années telles que Solidarités International, qui anime un collectif d’associations locales fines connaisseuses des populations les plus impactées. Elles distribuent notamment des kits d’hygiène, des filtres de décontamination de l’eau et réparent les systèmes de distribution d’eau de source et d’évacuation des eaux usées. Depuis le 1er janvier, quelques commerces rouvrent, mais les prix des produits restent inaccessibles pour beaucoup. La destruction massive des arbres et plantations, sources de fruits et de légumes, a accentué l’insécurité alimentaire, tandis que la chaleur et l’humidité aggravent les conditions de vie. Malgré ces difficultés, la société civile locale se distingue par son engagement et son dynamisme, jouant un rôle clé dans la mobilisation des ressources et la multiplication des initiatives. Depuis le 25 décembre, je suis sur le terrain pour évaluer les besoins des populations et rencontrer les associations locales, notamment la Régie territoriale de Tsingoni avec laquelle nous collaborons dans le cadre de notre programme « Se préparer et répondre aux crises et aux catastrophes ». J’ai également échangé avec les autorités locales et nationales pour que nous puissions coordonner notre action au mieux, en bonne intelligence et complémentarité.
Quelles priorités la Fondation de France s’est-elle fixée ?
Quelle que soit la cause des opérations d’urgences, plusieurs principes régissent notre action. Tout d’abord, la proximité : en France comme à l’international, la Fondation de France s’appuie sur des organisations qui travaillent au plus proche du terrain pour appréhender au mieux les problématiques et les besoins. La flexibilité est également indispensable dans des contextes d’urgence où il faut savoir s'adapter aux partenaires locaux et fluidifier les démarches. Enfin, l’action dans la durée est également indispensable. Ce sont ces mêmes principes qui avaient guidé notre action suite aux ouragans qui avaient frappé les Antilles en septembre 2017. Les diagnostics en cours permettront d’organiser les prochaines étapes le plus efficacement possible. La priorité aujourd’hui est clairement l’accès à l’eau et l’alimentation. Nous privilégions les solutions qui favorisent la relance de l’économie locale : par exemple, nous soutenons des distributions de bons alimentaires plutôt que des dispositifs d’acheminement de produits extérieurs, afin de soutenir les petits commerçants.
Une autre priorité majeure est l’éducation. La réouverture des écoles est prévue le 20 janvier. Or seulement 20 % des bâtiments scolaires restent utilisables car ils ont été majoritairement endommagés et partiellement transformés en centres d’hébergement provisoires pour accueillir des familles. La Fondation de France explore des solutions temporaires comme les écoles en plein air ou des espaces éco-construits en matériaux recyclés respectant les normes anticycloniques et antisismiques qui pourraient servir d’écoles temporaires. Nous avons aussi commencé à fournir, par le biais de nos partenaires, du nouveau matériel scolaire.
La santé mentale est un autre enjeu crucial. Nous sommes notamment en lien avec l’association Terra Psy, qui est notre partenaire au Maroc et qui effectue actuellement un état des lieux sur les questions de santé mentale dans les écoles, à la demande du rectorat.
« Nous nous engageons à accompagner une reconstruction la plus juste, durable et solidaire possible tout en tenant compte des enjeux à plus court terme pour venir en aide aux populations. »
En matière de reconstruction, il est impératif d’adopter une approche durable et pragmatique tout en impliquant toutes les parties prenantes. Bien que les habitats précaires se reconstruisent déjà spontanément sous l'effet de l'urgence, il est primordial d'accompagner ces initiatives en fournissant des conseils techniques adaptés et en sensibilisant les populations à des normes de construction plus sûres. Nous échangeons actuellement avec les Compagnons Bâtisseurs, avec qui nous avons déjà travaillé dans des situations post-cycloniques à Saint-Martin. Nous envisageons également des projets comme la réhabilitation d’un écoquartier comprenant une quarantaine de maisons et pensé en lien avec les habitants. Le problème du foncier, qui limite les possibilités de relocalisation, doit également être abordé en collaboration avec les autorités locales pour identifier des solutions innovantes et inclusives.
Enfin, la relance agricole est une nécessité absolue car le cyclone a tout dévasté. Cela va prendre du temps, et nous souhaitons soutenir des pratiques plus vertueuses qui étaient déjà en développement avant la catastrophe, comme l’agroforesterie. Nous allons aussi contribuer au rééquipement des petits exploitants.
Quels sont les principaux enjeux et points de vigilance suite à cette catastrophe ?
La coordination entre les différents acteurs – associations, collectivités locales et services de l’État – est essentielle. La Fondation de France soutient et contribue aux réunions intersectorielles pour favoriser un dialogue constructif et penser ensemble les solutions de la reconstruction. Nous veillons également à inclure toutes les communautés vivant à Mayotte, sans discriminations, en accordant une attention particulière aux personnes les plus vulnérables, en particulier les femmes, les enfants et les personnes âgées. Enfin, nous nous engageons à accompagner une reconstruction la plus juste, durable et solidaire possible tout en tenant compte des enjeux à plus court terme pour venir en aide aux populations.
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