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« Promouvoir une vision globale de la santé mentale : un enjeu politique, social et culturel »

17 décembre 2019

Ce discours a été prononcé par Aude Caria, directrice de Psycom, à l’occasion du Grand Rendez-vous Parlons Psy organisé par la Fondation de France et l’Institut Montaigne, le 9 décembre 2019 à Paris. Il ouvrait la matinée intitulée « Faire de la santé mentale une responsabilité collective. Agir concrètement pour fabriquer une société attentive et sensible aux problématiques de santé mentale et au respect des droits des personnes ».

La thématique de ce matin interpelle la société toute entière afin de « Faire de la santé mentale une responsabilité collective ». Et, comme expliqué en introduction de cette journée, le fil rouge des rencontres Parlons Psy fut : les constats sont faits, il est temps maintenant d’agir. « Agir concrètement pour fabriquer une société attentive et sensible aux problématiques de santé mentale et au respect des droits des personnes ».

Même si nous avons la chance de vivre dans une société de droits qui nous protègent, lorsque l’on rencontre des problèmes de santé mentale, on n’est jamais totalement à l’abri des discriminations, de l’exclusion, voire de la relégation. La citoyenneté semble toujours fragile, sans cesse à préserver, à construire, conquérir, défendre, transmettre.

Durant les 60 dernières années, le combat mené par des personnes psychiatrisées pour la défense de leurs droits n’a cessé de se déployer et de prendre vigueur, dans un contexte où leurs voix étaient au mieux disqualifiées, au pire réduites au silence.

Nous pouvons dire qu’aujourd’hui, nous sommes encore en train de cheminer pour passer de l’asile à la cité, de l’aliéné·e au citoyen, à la citoyenne.

Bien sûr, nous pouvons constater les progrès réalisés, en particulier grâce à l‘engagement des personnes vivant avec des troubles psychiques, de leurs proches, et de leurs alliés parmi les professionnels. De nombreux signaux positifs témoignent d’une évolution lente, mais certaine, d’une augmentation de leur pouvoir d’agir, d’une ouverture de la parole (via le web et les réseaux sociaux, les livres de récit de vie, mais aussi dans de nombreux lieux).

Pourtant des résistances persistent, des violences se répètent :

  • la stigmatisation vis-à-vis des problèmes de santé mentale est systémique, elle infiltre l’ensemble de notre société : elle prend racine dans notre imaginaire collectif, alimenté de mythes associant folie, crime et danger ; elle est à l’œuvre dans les medias, la littérature, le cinéma ; elle opère dans les mots utilisés pour décrire les symptômes et les soins ; ou via certains effets indésirables des médicaments, agissant comme de véritables stigmates ; elle se déploie dans la formation initiale et continue des professionnels, et dans certaines pratiques non respectueuses des droits humains ;
  • en effet, les droits fondamentaux continuent d’être déniés par certaines pratiques psychiatriques, je pense ici à l’isolement et la contention, bien sûr, mais aussi à la non recherche du consentement, au paternalisme, à l’institutionnalisation chronique, ou à la sur-médicamentation.

Le 10 décembre 2019, sera célébrée la journée mondiale des droits humains. A cette occasion se tiendra au Parlement européen un colloque organisé par l’ONG Mental Health Europe, consacré aux « initiatives prometteuses pour prévenir, réduire, voire éliminer la violation des droits humains dans les pratiques de soins psychiatriques ». De l’espoir donc. Souhaitons que cette journée Parlons Psy puisse aussi contribuer à nourrir cet espoir de changement.

Une responsabilité collective

Alors, comment faire de la santé mentale une responsabilité collective ?

Dans un premier temps, je pense qu’il faut nous interroger sur les mots que nous utilisons. Faire un point lexique : Santé mentale ? Ou Psychiatrie ? Parlons Psy ? Ou Parlons Santé mentale ? Faisons de la santé mentale une responsabilité collective ? Ou de la psychiatrie ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous dit : « Il n’y pas de santé, sans santé mentale ».  Pourtant,  lorsque  l’on  parle  de  santé,  on  oublie  souvent  la  santé  mentale.   Et   lorsque   l’on   parle   de   santé   mentale,   on   oublie   souvent   la   santé   mentale…   car on parle de psychiatrie, de troubles psychiatriques, de soins psychiatriques, de handicap psychique. Les termes « santé mentale » et « psychiatrie » renvoient à des sens, des conceptions et des usages variés, en fonction du point de vue de la personne qui parle.

Afin de dissiper un peu la confusion, on peut distinguer plusieurs utilisations de ces deux termes :

1- Deux conceptions bien différentes

D’un côté la psychiatrie (présence de troubles psy + soins), de l’autre la santé mentale (l’absence de troubles psy). La santé mentale se définit alors uniquement comme l’absence de troubles mentaux. Il y a donc d’un côté des personnes en bonne santé mentale et de l’autre les personnes qui ont des troubles psy. Eux / nous. Ce que Descartes définissait comme : les hommes doués de raison / et les fous, ceux qui ont perdu la raison. C’est le sens que l’on retrouve derrière des phrases comme « Une personne sur 4 (ou 5) souffre de troubles psychiques ».

2 - Deux conceptions équivalentes, des synonymes

Cette fois, utiliser le terme santé mentale représente une manière euphémisée de parler de psychiatrie. Parler de santé mentale c’est donc encore parler de psychiatrie. C’est la psychiatrie en plus doux, plus acceptable, en moins stigmatisant. C’est comme utiliser les termes « troubles psychiques » au lieu de ceux de « maladies mentales ».

Mais il y a toujours d’un côté les personnes qui n’ont pas de problèmes de santé mentale (c’est- à-dire de troubles psy) et les personnes qui en ont. Eux / nous.

3 - Deux conceptions liées, en interaction permanente

Dans cette acception, la psychiatrie est un sous-ensemble du vaste champ de la santé mentale. C’est la vision globale promue par l’Organisation mondiale de la santé, qui peut réconcilier les deux concepts. Pour l’illustrer, nous pouvons utiliser deux métaphores pour mieux comprendre en quoi ces conceptions sont liées.

Le continuum unique de la santé mentale

La santé mentale et les troubles mentaux sont les deux extrêmes d’un même continuum. Continuum sur lequel on peut positionner les actions de promotion, de prévention et de soins.

Le double continuum santé mentale / troubles psychiques

Au cours des dernières années, une nouvelle conception de la santé mentale dans sa dimension positive a été proposée. La santé mentale irait au-delà de l’absence de troubles mentaux et serait plus justement définie par le bien-être. Cette définition holistique, globale, est illustrée par le modèle du double continuum. Santé et maladie comme deux continuums distincts mais corrélés et interagissant.

 

Source : Psycom d’après Keyes (2002)

 

Ce modèle comprend 4 positions. Deux d’entre elles sont classiques et faciles à appréhender :

  1. En l’absence de troubles psychiques, on a un sentiment de bien-être.
  2. En présence de troubles psychiques, on a un sentiment de mal-être.

Les deux autres sont moins intuitives, mais tout aussi pertinentes :

  1. On peut également vivre avec des troubles psychiques et avoir un sentiment de bien- être, si l’on bénéficie de soins, d’un accompagnement, d’un soutien social qui permet de retrouver un équilibre. C’est ce que l’on nomme le rétablissement, être rétabli de troubles psychiques, avoir retrouvé une vie satisfaisante, malgré les troubles.
  2. Enfin, on peut aussi ressentir un sentiment de mal-être, sans avoir de troubles psychiques caractérisés.

Nous pouvons, au fil de notre vie, passer par ces 4 positions. Autrement dit, nous avons tous et toutes une santé mentale, y compris les personnes qui rencontrent des troubles psychiques.

Selon cette conception holistique, promue par l’OMS, la santé mentale est donc une composante de la santé de chaque individu. On pourrait la décrire ainsi : tout au long de notre vie, nous sommes à la recherche d’un équilibre entre nos ressources internes ou externes et les obstacles internes ou externes que nous rencontrons.

C’est ce que nous avons illustré avec le clip pédagogique Psycom : le Cosmos mental©.

Ressources et obstacles correspondent à ce que l’on appelle les déterminants de la santé mentaleIls sont de trois types : individuels, sociaux et environnementaux ; et ils interagissent.

Par exemple au niveau individuel : notre niveau d’éducation, notre genre, notre histoire familiale, notre personnalité, notre patrimoine génétique, tout cela influe sur notre santé mentale.

Au niveau social et environnemental : nos ressources financières, nos conditions de travail, de logement, de sécurité, nos relations sociales, notre accès aux soins, notre environnement global, influent sur notre santé mentale.

Nous avons donc tous et toutes une santé mentale, qui varie en fonction de facteurs individuels, sociaux et environnementaux.

C’est en ce sens que la santé mentale est l’affaire de toutes et de tous.

Un enjeu politique, social et culturel

Promouvoir cette conception globale de la santé mentale, c’est faire de la santé mentale une question de société, un enjeu politique.

C’est passer de la dichotomie : « Il y a les personnes qui ont des troubles mentaux qui ont besoin d’aide, de soins et d’accompagnement et celles qui vont bien », à la vision holistique, inclusive : « Nous avons tous et toutes une santé mentale, qui varie tout au long de notre vie ».

Abandonner ce réflexe binaire qui nous divise, c’est cesser de désigner l’autre qui a des troubles psychiques par sa différence, cesser de stigmatiser son écart à la norme. C’est de fait agir à la racine même des mécanismes de stigmatisation qui entrainent les discriminations. C’est agir concrètement pour une société plus respectueuse et attentive.

Promouvoir cette vision globale de la santé mentale, c’est faire de la santé mentale une responsabilité collective, un enjeu social.

Car les déterminants de la santé mentale (comme ceux de la santé) sont certes individuels, mais aussi sociaux et environnementaux. C’est pourquoi la santé mentale ne peut pas être seulement l’affaire de la psychiatrie, l’affaire des soins à la personne. C’est vraiment l’affaire de toutes et de tous.

Et, en conséquence, nous pouvons tous et toutes, à notre niveau, de notre point de vue, selon nos compétences, notre rôle, nos responsabilités, notre posture, contribuer à notre propre santé mentale et à celle des autres. Chacun, chacune peut faire sa part, apporter une partie de la solution.

Comme élu·e : en tant que responsable du bien-être de ses administré·es, en agissant via les politiques de logement, de droits, d’inclusion sociale, de protection de l’enfance...

Comme voisin, voisine, collègue de travail, ami·e : en portant attention aux signes de mal être de nos proches, en apportant écoute, aide et soutien.

Comme journaliste : en choisissant avec soins nos mots, en traitant les questions de santé mentale au quotidien, pas seulement lors de faits divers ou de crises, sans recherche du sensationnalisme.

Comme personne vivant avec des troubles psychiques : en utilisant notre expérience pour aider d’autres personnes à recouvrer et maintenir leur santé mentale, en prenant la parole.

Comme responsable des ressources humaines : via la vigilance sur la qualité de vie au travail, la prévention des risques psycho-sociaux, l’attention portée aux conditions de management.

Comme professionnel·le du soin et du social : en misant sur le rétablissement qui aide à retrouver une santé mentale satisfaisante malgré les troubles.

Comme aidant, aidante : en contribuant à la santé mentale de nos proches, sans oublier la nôtre.

Enfin, promouvoir cette vision globale de la santé mentale, c’est développer une  véritable culture de la santé mentale.

C’est intégrer la santé mentale comme une composante de la santé, dès le plus jeune âge, dans tous les cursus d’éducation et de formation, à tous les niveaux des soins, de l’accompagnement social et des droits. C’est ouvrir la parole, en tout lieu, sur le mal-être et les troubles psychiques.

C’est reconnaître les savoirs d’expérience, défendre la citoyenneté, lever le tabou à la force des mots, déconstruire les stéréotypes, dévoiler les ressources, développer le rétablissement et l’auto-support, valoriser l’entraide et la pair-aidance, soutenir les initiatives innovantes, partager les bonnes idées source d’inspiration.

En bref, c’est rendre la santé mentale populaire.

Finalement, promouvoir une vision globale de la santé mentale, c’est mettre en lumière ce qui nous rassemble, ce qui fonde et soude notre humanité, plutôt que ce qui pointe et exacerbe nos différences.<>

Conformément à l’article L 4113-13 du Code de la Santé publique, je déclare n’avoir aucun lien d’intérêts avec une entreprise fabriquant ou commercialisant des produits de santé.

Depuis plus de 15 ans, l’organisme public Psycom propose des outils, des formations et du conseil, afin de promouvoir une vision globale de la santé mentale, d’informer pour aider à se repérer et de comprendre la stigmatisation pour mieux la combattre.