Vivre et vieillir parmi les autres
Comment vieillir en restant acteur de sa vie ? Comment être pris en charge, protégé, soigné sans être isolé, privé de son libre arbitre, de sa liberté, voire exclu de la société ? Les questions relatives à la problématique du grand âge sont nombreuses. Mobilisées depuis plus de 50 ans sur ce sujet, la Fondation de France et les fondations qu’elle abrite soutiennent des démarches innovantes pour améliorer les conditions de vie des personnes âgées. Avec un fil rouge : le respect des personnes et de leurs droits, le maintien de leur autonomie et l’inclusion sociale.
Aujourd’hui, la hausse de l’espérance de vie et la prévalence accrue de nouvelles pathologies comme la maladie d’Alzheimer font de la longévité et de son accompagnement un enjeu plus crucial que jamais. Selon l’Insee, le nombre des seniors en perte d'autonomie va augmenter de plus de 60 % d’ici 2050, passant de 2,5 millions à 4 millions de personnes. À ces données démographiques s’ajoute le choc provoqué par la crise sanitaire. La pandémie a fortement aggravé l’isolement social des personnes âgées et a montré la nécessité de réinventer des modèles d’hébergements plus adaptés que les lieux actuels de type Ehpad.
Si la Fondation de France s’est fortement mobilisée pour proposer des solutions durant la crise sanitaire, en soutenant par exemple une web-TV produite par des soignants à destination des malades isolés, ou en soutenant des cellules d'aide psychologique au sein d'Ehpad, cet engagement n’est pas nouveau. La place des aînés dans notre société constitue d’ailleurs l’une des premières grandes causes pour laquelle la Fondation de France s’est mobilisée. Dès 1975, elle lance en effet une première campagne, intitulée « Contre la solitude des personnes âgées », parrainée par Simone Veil alors ministre de la Santé. Grâce à cette opération sont mis en place des réseaux d’entraide, de services de transport en zone rurale, de formations des soignants… En 1981, la Fondation de France s’empare de la question de l’hébergement des plus âgés, en soutenant par exemple des établissements d’hébergement temporaire ainsi que la création d’un centre de retraite à domicile dans l’Aveyron. La publication de l’étude « Des lieux de vie jusqu’à la mort » qui développe entre autres l’idée de petites unités de vie capables d’accompagner les personnes âgées jusqu’à leurs derniers jours fera date et marquera le lancement d’une campagne nationale en 1984. La Fondation de France a également œuvré pour la création des clubs du troisième âge, favorisé les ateliers et les animations au sein des établissements d’accueil, encouragé les innovations en matière d’habitat inclusif ou intergénérationnel, sans oublier de prendre soin aussi des aidants…
Concernant la maladie d’Alzheimer, la Fondation de France s’est associée à la Fondation Médéric Alzheimer, dans le but de soutenir la recherche et l’innovation en faveur d’une société plus inclusive et solidaire. En 2018, une vaste enquête intitulée « Maladie d’Alzheimer, pour une société plus inclusive » sur les projets européens les plus inspirants en matière d’inclusion des personnes malades a ainsi été publiée.
Au-delà de la crise, un système d’accueil à repenser
Trouver le juste équilibre entre sécurité d’une part et vie sociale de l’autre est aujourd’hui l'un des grands enjeux à relever. L’un des chantiers majeurs concerne le logement et les modalités d’accueil. « Il est clair que le système actuel est défaillant et a montré ses limites, explique Agathe Gestin, responsable du programme Personnes âgées de la Fondation de France. À trop vouloir protéger, on a fini par isoler. Entre maintien à domicile à tout prix et Ehpad, il existe peu d’alternatives. Il faut donc innover dans de nouvelles formes d’habitat qui favorisent l’autonomie et la participation sociale dans un cadre sécurisant, mais aussi encourager la refonte des établissements collectifs pour inventer l’Ehpad de demain », poursuit-elle.
Afin de faire évoluer les cadres du vivre et du vieillir ensemble, la Fondation de France et la fondation abritée Baboin Jaubert - Générations Solidaires, ont ainsi choisi de soutenir l’association Habitat et Humanisme, qui innove sur tout le territoire en proposant des logements à vocation intergénération-nelle. Déjà présent à Arras, Saint-Étienne ou encore Strasbourg, ce concept réunit dans de petits immeubles (neufs ou rénovés) des résidents de tous âges et conditions sociales (jeunes, personnes âgées, familles monoparentales). Sur place, la mixité et l’inclusion y sont encouragées grâce au partage d’espaces communs, de services dédiés comme une micro-crèche et par la présence d’un animateur social chargé d’organiser la vie collective du lieu.
Une colocation à l’esprit familial dans les Yvelines
Autre projet exemplaire, sélectionné par la Fondation de France et soutenu par la fondation abritée Mouravieff-Apostol : celui de la Maison des sages aux Loges-en-Josas (Yvelines). Cette alternative à la maison de retraite repose sur l’habitat partagé. Une grande maison de 350 m2 avec jardin située au cœur du village et entièrement rénovée accueille huit colocataires, tous atteints de la maladie d’Alzheimer. Chaque habitant dispose de sa chambre et de sa salle de bains personnelle et partage le reste de la maison avec les autres. Au quotidien, un encadrement permanent est assuré par des auxiliaires de vie ainsi qu’une coordinatrice de vie sociale. Une étudiante y est également logée à prix modéré contre participation à certains temps de la maisonnée. Préparation des repas, petites tâches ménagères, activités de loisirs… tout est fait pour favoriser les échanges. Et chacun garde son médecin traitant et reçoit sa famille ainsi que ses proches comme il le souhaite. Pour Alexandre Schmitt, co-fondateur de la Maison des sages, qui espère ouvrir une autre résidence de ce type d’ici 2022, toujours dans les Yvelines, ce modèle est le plus adapté aux personnes en perte d’autonomie : « Les malades d’Alzheimer n’ont souvent d’autre choix que de quitter leur domicile pour rejoindre un Ehpad. Or ce genre d’accueil standard, à l’atmosphère très médico-sociale ne convient pas à leurs troubles qui nécessitent un accompagnement personnalisé, de taille humaine et avec des repères. Notre modèle mise sur la conti-nuité de la dimension sociale de soi et les résultats sont encourageants. On constate un véritable esprit de famille avec des liens d’amitié et d’entraide… Tout ça agit positive-ment sur le psychisme et le moral des personnes, elles ont davantage envie de participer aux activités, ce qui les aide à maintenir leurs capacités cognitives. »
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REPORTAGE | PERSONNES AGÉES
Une maison où vieillir ensemble
Décloisonner et créer des ponts entre les générations
« Cesser d’exclure ou de cataloguer les anciens pour recréer de la cohésion ne se fera pas naturellement, c’est un travail de longue haleine qui passe par un regard nouveau sur l’avancée en âge », souligne Agathe Gestin.
Pour favoriser l’inclusion sociale des personnes âgées, la Fondation de France et la fondation abritée JM.Bruneau sont engagées depuis 1991 dans des initiatives visant à recréer des liens entre les générations. Outre l’habitat partagé et le soutien à des associations comme Un toit parmi les âges, elles apportent leur soutien à des initia-tives visant à mettre en relation jeunes et personnes âgées. Par exemple autour d’ateliers dédiés aux nouvelles technologies avec l’association Aciah. Ou encore par des marches urbaines partagées quotidiennement entre bénévoles de tous âges et résidents d’Ehpad d’un quartier de Villeurbane grâce à l’association Arpavie.
Faire ensemble, c'est aussi la démarche choisie par la compagnie Palamente, qui a réuni 27 femmes seniors et 28 collégiens de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) autour de la création d’un documentaire audiovisuel ayant pour thème la représentation du genre. Partant de cette problématique très actuelle, femmes âgées et jeunes ont eu l’occasion d’interroger leurs préjugés sur les sexes et de confronter leur vision du masculin et du féminin, à 50 ou 70 ans d’écart ! Le documentaire a été réalisé collectivement et diffusé dans les cinémas d’Île-de-France et lors de festivals de films documentaires. Si l’intergénérationnalité est aujourd’hui un levier d’action de plus en plus répandu, sa réussite requiert toutefois une certaine expertise. C’est le constat que dresse par expérience Agathe Gestin : « Le dialogue intergénérationnel ne se décrète pas, il se construit dans le temps. Il ne suffit pas de réunir des publics d’âge éloignés pour que le lien opère, insiste-t-elle. Il faut établir un point de rencontre égalitaire où chacun se sente considéré pour la personne qu’il est, et non pour ce qu’il est censé incarner. Et quand cela est réussi, finalement il n’est plus question d’âge, seulement d’individu contribuant à un échange. »
Prendre en compte la diversité de la vieillesse
Redonner aux anciens une place de citoyen à part entière est essentiel. La mise à l’écart, la relégation due au grand âge ne peut avoir que des effets délétères sur la société, sa cohésion, sa capacité à vivre ensemble et à faire preuve de solidarité. Selon Marion Villez, sociologue et membre du comité d’experts au sein du programme Personnes âgées de la Fondation de France : « Il y a dans notre pays une vision négative et caricaturale de la vieillesse. Elle est déconsidérée socialement et perçue comme statique. Or la vieillesse n’est pas unique mais plurielle, et elle n’est pas figée mais est un processus complexe. Ces représentations forcées ont engendré un cloisonnement de la population, avec une catégorisation homogénéisante de publics âgés pourtant très différents. Cette diversité de situations nécessite des réponses multiples, évolutives, pensées à l’échelle d’un territoire. » S’adresser aux seniors en s’attachant à leur spécificité et à leur ancrage territorial mérite évidemment une connaissance fine des réalités de terrain. La Fondation Crédit Agricole Finistère a par exemple soutenu un projet de documentaire artistique, réalisé par la compagnie de danse K’Elles, auprès de malades d’Alzheimer de Quimperlé, sur le thème du corps et du vieillissement. À Paris, dans les quartiers populaires de Belleville et de la Goutte d’Or, deux cafés sociaux créés par l’association Ayyem Zamen ont vu le jour grâce au soutien de la Fondation de France. Ces lieux de répit et de convivialité ont été pensés avec et pour une communauté précise : les anciens immigrés principalement issus du Maghreb, qu’on appelle aussi les Chibanis. Par cette initiative, ces populations souvent précaires et sans soutien familial jouissent enfin d’un espace dédié et ouvert sur leur quartier. « La longévité n’est pas un problème, elle offre l’opportunité de construire une société plus inclusive pour tous, conclut Marion Villez. Car ce que l’on met en place dans la cité pour faciliter la vie des personnes âgées se révèle bien souvent bénéfique pour d’autres. »
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