Trois questions à Vivien Rabadan, chercheur doctorant à l’Inserm soutenu par la Fondation de France
Pourquoi dit-on que l’œil est le miroir du corps ?
L’oeil est le prolongement du cerveau. C’est un organe qui mérite une attention particulière car il est sous l'influence de différents systèmes nerveux. Le premier, le système nerveux somatique, intervient dans le contrôle volontaire des mouvements du corps, comme la marche. Le second, le système nerveux autonome, gère les phénomènes physiologiques et vitaux inconscients, comme la respiration. Ces systèmes nerveux jouent un rôle central dans la manière dont nous explorons notre environnement. De plus, l’œil exerce une double fonction. C’est à la fois un récepteur et un effecteur : il réceptionne l’information transmise par notre environnement extérieur, afin de la transformer en messages à destination du cerveau ; et il répond aux stimulations extérieures qu’il reçoit, comme lorsque notre pupille se contracte face à une lumière trop aveuglante. Ainsi, lorsque l’on regarde quelqu’un sourire, l’émotion qui en résulte provoque une dilatation de la pupille. Cela participe à notre communication avec les autres. Pour cette raison, l’œil est un très bon miroir de l’organisme. La dilatation de la pupille et l’orientation des yeux pourraient ainsi constituer des biomarqueurs[1] du fonctionnement du cerveau.
Comment faites-vous le lien entre l’œil et les troubles du neurodéveloppement ?
Des biomarqueurs comme ceux évoqués précédemment sont utilisés pour détecter et mieux comprendre les troubles du neurodéveloppement. On sait aujourd’hui que les personnes qui ont un trouble du spectre de l’autisme regardent différemment le visage de leur interlocuteur, en particulier la zone de ses yeux. Leur pupille est aussi moins dilatée. Selon plusieurs auteurs scientifiques, cela témoignerait d’un engagement empathique moins important.
Afin d’améliorer la vie des patients et faciliter leur intégration dans la société, pouvoir observer ces biomarqueurs dès le plus jeune âge est un enjeu crucial. Chaque année, des enfants naissent avec des différences de développement. Certains ont du mal à regarder les autres dans les yeux, d'autres sont hyperactifs, d'autres encore ont du mal à se coordonner. Par exemple, ils ne parviennent pas à attraper une balle en jouant. Étudier les troubles du neurodéveloppement, c’est donc observer des populations très jeunes. Pour ça, nous utilisons une technique appelée l’eye tracking, consistant à enregistrer les mouvements du regard et la dilatation de la pupille. Grâce à cette méthode, nous cherchons à identifier puis caractériser les différences entre des enfants au développement normal, et ceux ayant des troubles du développement.
Quelles sont les avancées que vos recherches pourraient permettre ?
Après avoir caractérisé les différences de développement des enfants, nous pourrions proposer des accompagnements adaptés selon la fonction perturbée de leur organisme : fonction motrice (coordination), fonctions cognitives ou socialisation. Cela nous permettrait de mieux les accompagner, et nous l’espérons, de faciliter leur inclusion dans la société.
Nous regardons par ailleurs les liens qui peuvent exister entre troubles du développement et troubles ophtalmiques. Selon plusieurs études, les enfants atteints d’un trouble du neurodéveloppement présenteraient plus fréquemment de la myopie, de l’astigmatie ou un strabisme, mais cette corrélation n’a pas été clairement démontrée. Si tel était le cas, cela nous permettrait de préciser les diagnostics et d’adapter la prise en charge.
[1] Un biomarqueur est une caractéristique mesurable avec fiabilité et précision qui peut être utilisée comme indicateur d’un processus biologique normal au sein de l’organisme, d’un processus biologique liée à une maladie, ou de la façon dont le corps réagit à un traitement
TOUS LES ARTICLES #CAUSEDUMOIS/RECHERCHE MÉDICALE
- ► Des traitements plus efficaces pour les enfants atteints de cancer
- Prix de la recherche médicale 2022 : 17 chercheurs récompensés
- Recherche médicale : l’apport indispensable des sciences humaines et sociales
- Un nouvel espoir thérapeutique pour les cancers de la prostate multirésistant
- Anticiper la résistance et les effets secondaires d’une immunothérapie pour traiter le lymphome.