Pédagogies de détour, ou comment la philanthropie favorise la réussite scolaire
Chaque année en France, environ 80 000 jeunes quittent le système scolaire sans qualification. Les confinements successifs ont fragilisé un peu plus ceux qui se trouvaient en difficulté et ont creusé les inégalités entre les élèves issus de milieux sociaux différents. Un sujet auquel de nombreuses fondations et associations ont décidé de s’attaquer, avec des approches innovantes pour aider ces jeunes à retrouver le chemin du collège ou du lycée.
Si la réussite scolaire des élèves s’effectue dans le cadre de l’Éducation nationale, de nombreux autres facteurs y participent, à commencer par les apprentissages au sein des familles. Pour faciliter la réussite scolaire des jeunes, de nombreuses initiatives sont soutenues par les acteurs de la philanthropie comme des cours de soutien pour les élèves en difficulté, l’organisation de sorties pour ouvrir les esprits, l’octroi de bourses pour acquérir du matériel, ou encore l’accompagnement des enseignants dans leur pédagogie…
L’un des axes majeurs privilégié par la philanthropie : les pédagogies de détour. Cette approche, complémentaire des pratiques éducatives mises en œuvre par l’Éducation nationale, consiste à proposer aux élèves des activités qui mobilisent créativité et coopération, et permettent de contourner les obstacles cognitifs.
En suscitant la motivation et en facilitant les apprentissages, les pédagogies de détour se révèlent une manière efficace de lutter contre les inégalités sociales et de donner à chaque jeune les mêmes chances de s’insérer dans la société.
Réveiller le goût d’apprendre
Premier enjeu pour favoriser la réussite scolaire : réduire la corrélation entre l’origine socio-économique des élèves et leur performance scolaire. En offrant des outils, des espaces d’ouverture, des expériences, auxquels tous les jeunes n’ont pas le même accès selon leur milieu familial.
C’est dans cette optique que la Fondation de France a lancé en 2010 son programme de lutte contre le décrochage scolaire, en partenariat avec l’Éducation nationale. En 12 ans, elle a ainsi soutenu 650 initiatives et facilité le parcours scolaire de 26 000 collégiens. Des actions comme Graines de penseurs, portées par l’association Tête-à-textes au sein de la cité scolaire François Villon, classée en réseau d’éducation prioritaire et située porte de Vanves à Paris ont fait leurs preuves. L’association organise des ateliers de lecture et des débats, guidée par une conviction : les textes et la lecture ont le pouvoir de transcender les divergences, de lutter contre tous les stéréotypes qui enferment et empêchent la pensée, de vaincre l’autocensure en donnant accès aux outils nécessaires à la citoyenneté et au débat…. Une spécificité du projet : susciter le dialogue entre des élèves d’âges différents (primaire-collège, collège-lycée, lycée-supérieur). « Ici le partenariat avec l’Éducation nationale prend tout son sens, car il est important que ce type d’initiative soit développée au sein même de l’institution scolaire et prioritairement en zone d’éducation prioritaire pour profiter aux élèves qui n’ont pas dans leur entourage familial cette ouverture de pensée », indique Anne Bouvier, responsable du pôle Éducation de la Fondation de France.
La force des mots, c’est aussi le pari de la Fondation Engagement médias pour les jeunes pour favoriser la réussite et l’inclusion des jeunes en situation de fragilité. Avec la Fondation de France, la Fondation Lacoste et la Fondation Cetelem pour l'inclusion par le partage numérique, elle soutient notamment l’initiative Eloquentia, qui utilise l’art oratoire comme une arme efficace pour réduire les inégalités sociales. La méthode mise au point par Stéphane de Freitas, artiste et entrepreneur social, repose sur l’écoute, la bienveillance et le respect. À la clef, une expression libérée, une meilleure maîtrise de son corps et de sa voix et une confiance en soi retrouvée, des atouts pour réussir à l’école mais aussi en-dehors.
Les sciences constituent une autre porte d’entrée pour développer les capacités de raisonnement des élèves et éveiller leur curiosité. Ainsi, la Fondation Bettencourt Schueller accompagne le déploiement des Collèges La Main à la pâte : ce réseau de 150 collèges, situés pour moitié en réseau d’éducation prioritaire, facilitent l’accès aux sciences grâce à des pédagogies reposant sur l’expérimentation et la participation active des élèves. Cette approche favorise le discernement et l’acquisition de connaissances solides et développe les passerelles avec d’autres disciplines, comme l’histoire de l’art, la littérature… Elle s’appuie sur des partenariats avec les laboratoires et les entreprises de la région pour mettre en place des activités scientifiques.
Autre engagement de la Fondation Bettencourt Schueller ainsi que de la Fondation Pierre Bellon et de la Fondation de France : le soutien au programme Savanturiers-École de la recherche (launched by LPI) dont l’une des actions est de proposer des projets d’éducation par la recherche de la maternelle jusqu’au lycée, avec l’appui d’un scientifique, mentor bénévole du projet. Ange Ansour, initiatrice des Savanturiers, explique : « Les Savanturiers sont nés d’une question : comment donner envie à des élèves de s’engager dans des apprentissages rigoureux en développant leur créativité, leur curiosité et leur capacité à questionner ? Il nous a semblé que la recherche représentait un modèle pour l’école, car elle est faite de projets collaboratifs, de capitalisation des savoirs, d’ouverture à l’international… Autant de choses souhaitables pour que les élèves deviennent des citoyens éclairés de la société du XXIe siècle. » Neurosciences, climatologie, astrophysique, urbanisme, sciences humaines et sociales... si le choix de la discipline principale est ouvert, la méthode consiste à adapter la vie de laboratoire à la classe, et les élèves, pleinement acteurs de leurs apprentissages, comprennent comment les savoirs circulent, des laboratoires à l’école.
Toutes ces initiatives ont aussi comme résultat de souder les équipes éducatives autour d’un projet en créant une dynamique de groupe dans laquelle chacun peut trouver sa place : les jeunes, les professeurs, mais aussi les familles.
Favoriser l’épanouissement par les arts, la culture ou le sport
Pour développer l’envie d’apprendre, les arts, la culture ou le sport peuvent constituer de puissants alliés. C’est le sens de la démarche de la Fondation Daniel & Nina Carasso qui a lancé PEGASE – Programme expérimental de généralisation des arts à l’école – avec l’académie de Versailles. En partenariat avec une institution culturelle, une équipe interdisciplinaire d’enseignants associe un projet artistique à des savoirs fondamentaux. Sandrine Poussier, professeure de latin et de français au lycée Marguerite Yourcenar de Morangis (Essonne), a mis en place avec ses élèves de seconde, première et terminale un projet cinématographique autour du vrai, du faux et du factice. Elle témoigne: « Le dispositif PEGASE permet de donner vie au latin, au français, à tout ce que j’essaie de transmettre à mes élèves durant les cours. L’objectif est qu’ils puissent s’approprier les contenus et les retransmettre avec leur propre vision, à travers nos ateliers et les courts-métrages que nous réalisons. » Au-delà de la réussite scolaire, PEGASE a vocation à développer la sensibilité et la créativité des jeunes. Pour Françoise Pétrovitch, artiste plasticienne et marraine de PEGASE, « l’adolescence est un moment très en tension, avec de grands bouleversements, de grandes révoltes, et en même temps les plus grandes fragilités. Éveiller à l’art passe forcément par la rencontre avec une œuvre, avec une émotion qui est de l’ordre de la beauté. On sublime le réel. »
Si les premiers résultats de cette expérimentation sont très positifs, une recherche-évaluation menée par quatre chercheurs en sciences de l’éducation est en cours afin de nourrir les connaissances sur l’impact de l’éducation artistique et culturelle à l’école, tant sur le climat scolaire que sur la réussite des élèves, et donner des clefs pour généraliser ce type d’approche à l’école.
Le sport peut également se révéler un excellent levier pour remobiliser des élèves. Le collège Jules Michelet de Vénissieux (Rhône) est situé dans une zone particulièrement défavorisée. Le projet « Let's JO ! », soutenu par la Fondation de France, a été lancé en septembre dernier. Il permet aux élèves de nouer des liens avec des athlètes qui ont l’ambition de représenter la France lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, de se confronter à leur réalité, pour in fine s’interroger sur eux-mêmes : échec/réussite, effort/abandon, peur/confiance… Ils pratiqueront aussi de nouvelles disciplines sportives – aviron, escalade, para-badminton –, une nécessité physique et psychique pour nombre de ces jeunes qui ont interrompu toute activité pendant la crise sanitaire. Second volet de ce projet : les former pendant deux ans à la réalisation de vidéos, en apprenant à mener une interview, à manipuler les outils audiovisuels. Ils produiront ainsi des reportages sur la préparation des athlètes pour les JO, et se forgeront par là même un regard critique sur les images, les informations, les sources… L’ensemble de l’équipe pédagogique est mobilisé autour de ce projet qui développe l’autonomie des élèves et leur sens des responsabilités. Rendez-vous est pris en juin 2023 pour dresser un premier bilan.
Se reconnecter à son environnement
Bien grandir passe aussi par le lien à la nature et à l’environnement. Ce lien est non seulement structurant pour le développement des jeunes générations, mais il est essentiel pour susciter les prises de conscience sur la fragilité du monde vivant.
Ainsi, les Fondations Nature & Découvertes, Terra Symbiosis, Léa Nature/Jardin Bio et la Fondation de France se sont unies autour de l’appel à communs Grandir avec la nature pour promouvoir la pédagogie active au contact de la nature. Toutes les initiatives soutenues – école dehors, animations périscolaires en extérieur, végétalisation d’espaces éducatifs, dont les cours d’école… – reposent sur le contact direct et régulier des jeunes avec la nature et sur le développement d’expériences sensorielles et émotionnelles. Pour Patricia Jung-Singh, fondatrice de la Fondation Terra Symbiosis, « le lien régulier à la nature apporte beaucoup de bienfaits pour la santé physique, mentale et pour les capacités cognitives ». La capacité de concentration augmente et les élèves expérimentent une nouvelle manière d’aborder les apprentissages, plus concrète. Par ailleurs, évoluer au grand air permet de lutter contre la sédentarité, l’obésité, la myopie ou encore les dépressions infantiles, plus fréquentes depuis la pandémie. L'objectif est aussi de permettre aux enfants de vivre des expériences concrètes au contact de la nature, et de développer avec l'environnement une relation positive.
Autre façon de sensibiliser les enfants à la préservation de l’environnement soutenue par les fondations SEVE et Jean-Paul Deluche : des ateliers philo dans les écoles sur la thématique de l’homme dans son environnement. Depuis janvier 2022, les deux fondations ont lancé un programme de 10 heures de cours de philosophie dans des écoles de Haute-Vienne, de Corrèze, de Creuse et de Dordogne… Ces ateliers permettent aux enfants de faire appel à leur libre-arbitre et de développer leur esprit critique, d’élaborer une réflexion et d’argumenter, de questionner ce qui pouvait sembler acté. Et sur le plan environnemental, de prendre conscience du monde qui les entoure et de la nécessité de le protéger.