Entretien avec Sarah Durieux, co-directrice de la Fondation Multitudes
Sarah Durieux a fondé en 2023 la Fondation européenne Multitudes, qui accompagne les personnes et les initiatives visant à repenser la politique avec un leadership inclusif, représentatif de la réelle diversité de notre société. Elle est également auteure de Changer le monde, Manuel d’activisme pour reprendre le pouvoir (éditions First).
Vous avez lancé la Fondation Multitudes en 2023. Quelle est sa mission ?
Notre volonté est de ré-imaginer la politique pour la rendre plus inclusive, plus humaine et porteuse d’espoir, ceci dans toute l’Europe. Nous avons la conviction que c’est une des meilleures manières pour préserver et renforcer la démocratie. Aujourd’hui, la philanthropie est très présente sur des questions d’accès à l’éducation, à la santé, ou d’inclusion sociale. En revanche, elle ne s’intéresse pas suffisamment à ce qui permet d’accomplir ces missions, à savoir un système démocratique qui fonctionne.
Le sujet doit être, selon vous, débattu en amont d’actions concrètes.
Nous misons sur une approche systémique, qui ne s’attaque pas seulement aux conséquences des problèmes. Si notre système démocratique fonctionnait de façon plus inclusive et plus ouverte, il serait davantage en mesure de répondre aux grands défis de notre société. Aujourd’hui, la démocratie ne fait plus recette. Pour qu’elle fonctionne à nouveau, il faut développer un leadership inclusif et des processus décisionnels qui reflètent la diversité de notre société. La jeunesse fait partie de cette équation. Elle s’engage dans des mouvements citoyens activistes autour du climat ou de l’égalité femme / homme car elle ne voit pas, dans la politique, la possibilité de répondre à ces questions. Or, la confiance dans la politique diminue, quand les défis essentiels ne sont pas adressés et que la représentation n’est pas suffisante. La mission de notre fondation est, notamment, de financer des actions qui permettent aux jeunes de penser à nouveau la politique comme un moyen d’accomplir leurs objectifs, et de s’y réinvestir pour lui permettre de fonctionner mieux. Faire de la politique un moyen d’action. Et faire de la politique un lieu accueillant pour toutes et tous.
Vous agissez pour cela dans le champ politique lui-même ?
Absolument, et nous faisons la distinction entre agir dans le champ politique et agir de manière partisane. Nous finançons par exemple en France le projet “Démocratiser la politique” qui s’intéresse à la représentation sociale dans l’espace politique. En effet, comme pour la parité femme / homme, nous devons penser à la parité sociale pour une démocratie qui fonctionne. On observe une surreprésentation des classes aisées à l’Assemblée nationale par rapport à la population française. Pour que la démocratie fonctionne, il faut une diversité de perspectives et une représentation équilibrée de toutes les classes d’âges et de tous les groupes sociaux. Face à ce constat, le projet “Démocratiser la politique” fait des propositions aux groupes politiques pour les aider à repenser l’organisation de leurs partis et de leur leadership.
« Notre projet ? Redonner aux jeunes le goût de la politique, dans une démocratie plus inclusive et plus ouverte. »
Sarah Durieux, co-directrice de la Fondation Multitudes
Vous développez également des projets concrets dans toute l’Europe. Pouvez-vous nous présenter les plus emblématiques ?
En Italie, nous soutenons par exemple l’association Fantapolitica qui accompagne des personnes de moins de 30 ans souhaitant s’engager dans la vie politique municipale. Elle propose des formations (comment fonctionne un conseil municipal, comment s’exerce un mandat électoral), accompagne sur le terrain les jeunes déjà investis et développe une mise en réseau pour mutualiser les bonnes pratiques.
Notre dimension européenne permet un meilleur partage d’expériences avec un écosystème qui échappe à une structure en silo, pays par pays et expertise par expertise. Les acteurs que nous soutenons dans différents pays européens ont partagé avec nous un même besoin de créer un espace de discussion et nous avons bâti une communauté de pratiques européennes, entre ces personnes qui travaillent sur ces questions, qu’ils soient les membres des organisations que nous soutenons, des chercheurs ou des philanthropes. Au début de l’année, nous avons soutenu une rencontre à Paris entre Démocratiser la politique, Fantapolitica et Brand New Bundestag, une association allemande qui travaille à l’émergence d’une nouvelle génération de leaders, représentatifs de la diversité de la société et que nous soutenons également. Nous finançons 15 projets en Europe à différents stades de développement. Nous proposons notamment des bourses de réflexion pour des individus ou des collectifs naissants, mais aussi pour des organisations plus établies, à l’instar de Brand New Bundestag qui existe depuis 3 ans et connaît un développement important.
Cette volonté de promouvoir le fonctionnement démocratique infuse-t-elle aussi l’organisation de votre fondation ?
La philanthropie fonctionne également mieux si quand elle était est plus ouverte. Les meilleures décisions sont prises quand une diversité de perspectives est entendue. Nous avons mis en place un comité d’identification et de sélection des projets qui réunit des personnes venues de toute l’Europe et représentant différentes expériences de vie (jeunes, femmes, immigrés, personnes LGBT...) mais aussi différentes expertises (politique institutionnelle, activiste, innovation démocratique). Ceci nous donne la diversité de regards et d’expertises essentielle pour choisir les projets que nous soutenons. Notre dernier appel à projet a réuni 250 candidatures. 70 projets ont été éligibles sur des critères définis collectivement.
Vous avez également mis en place des mesures d’impact ?
Nous avons développé un système d’évaluation qui permet d’apprendre et d’adapter. Il ne s’agit pas d’évaluation-sanction. Il s’agit de comprendre ce que les gens ont appris, d’identifier les éventuelles difficultés et de chercher ensemble des solutions. Selon nous, la philanthropie doit agir en accompagnant, pas en se posant comme évaluateur des projets.
Nous partons du principe que tout projet doté d’un bon soutien peut avoir de l’impact et que les personnes sur le terrain sont les mieux à même d’évaluer les actions. Nous encourageons l’autoévaluation pour permettre aux personnes engagées au quotidien de réfléchir ensemble sur leur impact.
Quels sont vos projets ?
Nous souhaitons faire évoluer notre communauté de pratiques en une communauté stratégique, capable elle-même de choisir ses projets et ses actions. Nous prônons une philanthropie communautaire, suffisamment soudée pour définir ce qui lui semble nécessaire, prendre des décisions ensemble, avec une vision commune. Pour cela, il faut se connaître et se faire confiance.