Claire Thoury : « Il y a un enjeu démocratique majeur à protéger les associations »
Claire Thoury est présidente du Mouvement associatif qui fédère plus de la moitié des associations françaises, soit plus de 700 000 structures. À la suite de son intervention au Forum National des Associations & Fondations le 13 novembre dernier, elle partage ses réflexions sur la crise de financement que traverse actuellement le secteur associatif.
Le Mouvement associatif, le Réseau national des maisons des associations (RNMA) et Hexopée viennent de publier les résultats de leur deuxième enquête sur la santé financière des associations menée en septembre*. Comment la situation a-t-elle évolué depuis la première étude réalisée en février ?
Au début de l’année, les associations attendaient encore des réponses sur leurs financements, mais nos nouvelles données de septembre confirment une tendance claire : les financements diminuent, et plus encore les subventions publiques. Selon notre enquête, 50 % des associations déclarent avoir vu leurs financements publics diminuer en 2025. Pour une association sur 5, cette baisse a même été supérieure à 20 %.
Les difficultés financières touchent toujours une majorité d’associations employeuses : 70 % d’entre elles déclarent que le montant de leurs fonds propres demeure fragile ou nul. Cette situation a des effets directs sur l’activité et les emplois : près d’une association sur quatre déclare avoir diminué son activité en 2025 et une association sur dix a procédé à des licenciements ou des plans de sauvegarde. Entre le 1ᵉʳ janvier et le 1ᵉʳ octobre, on a enregistré 500 liquidations d’associations, soit deux fois plus qu’en 2022. La situation est plus qu’alarmante.
Quelle est votre analyse de cette situation ?
La crise que rencontre aujourd’hui le secteur associatif est la conséquence de plusieurs facteurs. Déjà, en toile de fond, on note depuis 20 ans une diminution croissante de la subvention au profit de la commande publique. La part des subventions publiques dans les budgets des associations est passée de 34 % en 2005 à 20 % en 2024. Entre fin 2023 et fin 2024, les associations ont perdu 1,7 milliard d'euros de subventions publiques. La commande publique a, elle, connu une évolution quasi inverse. Cette tendance est très problématique car, alors que le principe de la subvention est de soutenir une initiative citoyenne pour l’intérêt général, celui de la commande publique place l’association en position d’exécutante d’une politique publique. De plus, dans le cadre d’une commande, les acteurs associatifs sont mis en concurrence entre eux, ainsi qu’avec d’autres acteurs qui ne jouent pas avec les mêmes armes. Ce n’est pas l’esprit de la loi de 1901.
Depuis plusieurs années aussi, les associations ont dû faire face à une succession de crises : la crise sanitaire en 2020, la baisse des adhésions en 2021-2022 puis la crise inflationniste qui a conduit à une augmentation de leurs charges. Et dans le même temps, les besoins auxquels ces associations répondent ne cessent de croître. Pour toutes ces raisons, ça ne tient plus.
« Ça ne tient plus ! », c’est le slogan que vous avez choisi pour alerter le public et appeler le monde associatif à se mobiliser le 11 octobre dernier face à l’urgence de la situation. Cette mobilisation a-t-elle été entendue ?
Pour la première fois, les associations se sont réunies dans un mouvement d’ampleur : le 11 octobre, plus de 350 actions ont été organisées par des associations dans toute la France pour alerter sur la crise sans précédent qu’elles traversent et créer un sursaut citoyen. Cette journée est la première étape d’un mouvement de long terme pour la défense du tissu associatif. Depuis plus d’un siècle, les associations ont pris une place immense dans la société : 70 000 nouvelles structures sont créées chaque année. Elles sont présentes dans absolument tous les domaines de la vie, que ce soit la santé, l’aide alimentaire, le logement, l’éducation, le sport, la culture… et sur tous les territoires, urbains comme ruraux. Elles jouent un rôle essentiel pour améliorer le quotidien des gens et renforcer la cohésion sociale. Il y a un enjeu démocratique majeur à les protéger.
Pour aider concrètement les associations en difficulté, vous déployez actuellement dans plusieurs régions le dispositif Prev’asso. En quoi consiste-t-il ?
Prev’asso a été initialement lancé en 2021 en région Occitanie. Il s’agit d’un dispositif d’accompagnement gratuit et personnalisé, assuré par des chargés de mission du Mouvement associatif, pour aider les associations employeuses en rupture de trésorerie à sortir de la crise. L’objectif est avant tout de maintenir l’activité et les projets et de sauvegarder le plus d’emplois possible. En Occitanie, Prev’asso a accompagné 119 associations en 2024 et près de 90 % des emplois de ces structures ont été consolidés. Compte tenu de ces résultats très encourageants, nous déployons le dispositif dans 7 nouvelles régions grâce au soutien de la Fondation de France et de plusieurs autres fondations. Notre ambition est désormais de pouvoir proposer cet accompagnement aux associations sur l’ensemble du territoire.
À plus long terme, comment aider les associations à sortir de cette crise ? Faut-il par exemple les accompagner dans l’évolution de leurs modèles économiques ?
On entend beaucoup l’idée que ce serait aux associations de s’adapter en transformant leurs modèles économiques pour qu’elles aient davantage d’indépendance financière. Or les modèles sont déjà très hybrides ! En moyenne, les ressources d’une association employeuse proviennent à 20 % de subventions publiques, à 29 % de la commande publique, et à 5 % de dons privés. Tout le reste, soit près de la moitié, sont des ressources propres, notamment liées aux adhésions et aux activités de l’association.
Le vrai sujet, c’est la place que la nation veut donner au tissu associatif. On ne peut pas laisser un secteur aussi fondamental s’affaiblir de la sorte. Il faut des réponses politiques fortes pour le consolider. Nous menons actuellement des travaux autour de la mise en place d’un nouveau système de financement public des associations que nous présenterons à notre événement « Droit de cité ! » le 30 janvier prochain. Ce nouveau système consiste à garantir un « financement socle » du secteur associatif par la nation, pour lui apporter une stabilité financière, sans remettre en question l’hybridité des modèles économiques.
Au-delà des besoins financiers, les associations ont également besoin de considération. Compte tenu de la puissance citoyenne et humaine qu’elles représentent, il faut qu’elles aient toute leur place dans le débat public et politique.
Quel rôle le secteur philanthropique peut-il jouer ?
Les acteurs de la philanthropie ne peuvent pas remplacer l’action publique. Je le rappelle, les ressources issues des dons et du mécénat ne représentent en moyenne qu’un vingtième du budget des associations. Mais, dans le contexte actuel, leur engagement est essentiel, à la fois pour contribuer à soutenir financièrement les structures mais aussi pour créer un élan collectif qui consolide la place du secteur associatif dans la société. Le fait que notre dispositif Prev’asso soit soutenu par plusieurs fondations est un bon exemple de cette dynamique. Ces dernières années, nous avons d’ailleurs noté une évolution très positive des relations entre fondations et associations. Elles sont désormais beaucoup plus symétriques et fondées sur la confiance. Une confiance mutuelle d’autant plus importante dans la période de crise que nous traversons.
* Enquête réalisée auprès de 4300 associations répondantes en partenariat avec la Fédération nationale des centres sociaux (FCSF) et en lien avec l’Observatoire Régional de la Vie Associative (ORVA) des Hauts-de-France.