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« Le trouble psychique par lequel je me suis d’abord sentie détruite et avilie, est devenu un chemin qui m’a permis de grandir et de me construire »

11 décembre 2019

Philippa Motte, formatrice et consultante spécialisée dans la santé mentale au travail, a accepté de témoigner lors du grand Rendez-Vous Parlons Psy, le 9 décembre 2019 à Paris. Avec son autorisation, nous publions son récit.

 

Parlons Psy le 9 décembre 2019, Paris.

« Bonjour, je m’appelle Philippa.

Je prends la parole aujourd’hui pour vous raconter mon parcours, la façon dont j’ai évolué de personne concernée par la maladie psychique pour devenir accompagnante et formatrice sur les enjeux de santé mentale dans le monde professionnel.

Il y a deux principaux messages que j’aimerais vous faire passer à travers mon témoignage.

  • d’abord qu’il y a certaines pratiques en psychiatrie qui doivent absolument être remises en cause pour évoluer ;
  • je voudrais aussi vous montrer comment le trouble psychique par lequel je me suis d’abord sentie détruite et avilie, est devenu un chemin, certes exigeant, mais qui m’a permis de grandir et de me construire. Vous raconter comment j’ai fait du ravin, un chemin, comment j’ai fait de ma fragilité, une épée.

Quand je suis intervenue la première fois en tant qu’invitée à l’édition Parlons Psy de Nantes, j’ai raconté dans le détail, la réponse qui avait été faite par le monde dans laquelle je vis, au grand bouleversement psychique que j’ai traversée pour la première fois à l’âge de 20 ans. 

Je dis bouleversement psychique volontairement, pour m’éloigner de toute considération psychiatrique. Il s’agit avant tout d’un vécu, d’une expérience humaine qui peut tous nous concerner sous une forme ou une autre. Tout le monde peut, à un moment donné dans sa vie, perdre pied psychologiquement, sentir son mental, sa sensibilité et ses émotions s’égarer dans des sphères inattendues, stupéfiantes, effrayantes et traumatiques. 

La réponse qui a été faite par le monde dans lequel je vis, par le biais de la médecine, peut se résumer en quelques mots : Interpellation brutale, immobilisation, enfermement, contention, injection, diagnostic, médication, économie de mots. Avec pour résultat immédiat de me plonger dans une incompréhension et une souffrance d’une profondeur que je ne souhaite à personne.

Dans un texte que j’ai commencé à écrire il y a quelques années déjà sur ce sujet, j’ai redécouvert un passage qui, je crois, résume avec justesse et honnêteté mon ressenti. Je préfère vous prévenir, ce ressenti peut écorcher les oreilles de certains, mais il est vrai, il ne triche pas, il dit les choses exactement comme elles ont été vécues et senties, 

« Voilà comment, la psychiatrie et moi, nous nous sommes rencontrées et aussitôt fâchées.

Le dialogue a été rompu avant même d’avoir commencé. Après cet épisode, plus rien n’a été véritablement possible. Même si j’ai rencontré de bons médecins, le respect nécessaire à une alliance thérapeutique de qualité a toujours été difficile à mettre en place. Cette première expérience a déterminé mon rapport au soin. 

Alors j’ai tenté de construire ma propre stratégie, en empruntant à la psychiatrie le peu qu’elle pouvait m’apporter. J’ai aussi appris à penser et agir contre elle, à être à la fois raisonnable et rebelle, pour ne pas devenir ce qui m’est apparu malgré moi comme un énième « animal psychiatrique » comme elle les fabrique trop souvent à cause de l’impuissance et des neuroleptiques. 

Et je sais à quel point tout le monde souffre de cette réalité, les soignants comme les patients. 

Pour synthétiser, je dirais que cette prise en charge a rajouté de la souffrance sur la souffrance, du traumatisme sur le traumatisme, de la honte sur de la honte et a généré une profonde auto-stigmatisation. 

Je vais vous dire ce que j’en pense « ça ne marche pas, cette réponse ne marche pas »

Elle engendre quelque chose de singulier, celui devoir faire le chemin de l’acceptation, on peut même parler de nécessité de pardonner à ceux qui étaient censés nous aider et nous soigner. Moi, ce chemin du pardon je l’ai fait. Je suis parvenue à mesurer avec le temps, la difficulté à laquelle sont confrontés ceux qui m’ont infligé ces traitements. Je suis parvenue à me mettre à leur place, à comprendre leurs peurs, leurs incompréhensions, leurs dogmes et leurs croyances, à les respecter et même à les maîtriser. 

Aujourd’hui, cette problématique qui aurait pu me voler ma vie, j’en ai fait mon métier. Je travaille dans les entreprises, les pouvoirs publics, auprès du secteur médico-social sur les enjeux de santé mentale dans les organisations en tant que formatrice et accompagnante. C’est pour ça qu’à présent je connais bien ce secteur de la santé mentale. 

Et après avoir dénoncé les manquements de ce système, je voudrais à présent souligner les initiatives et les avancées que j’ai observées et qui me donnent des raisons d’espérer. Le simple fait que nous soyons réunis ici est la preuve de ces évolutions. Tout ce qui est présenté aujourd’hui. Le travail de l’association Clubhouse France, ce concept de rétablissement qui est l’objet de cette rencontre et qui ne doit surtout pas devenir un concept de plus.

Je pense au club des entendeurs de voix, je pense au travail des équipes mobiles du nord de la France sur lesquelles j’ai récemment lu un article qui m’a beaucoup impressionné tant leur approche fait sens. 

Je pense au travail que font toutes les femmes et les hommes que je rencontre dans mon travail (assistantes sociales, infirmières, chargées d’insertion, chargées de mission handicap, RH, médecins, psychologues, quelques psychiatres trop rares à ma connaissance) je pense à leur regard sur leurs métiers, à toutes les actions qu’ils mettent en œuvre souvent très peu valorisées, auprès de ceux qui souffrent et qui ont besoin d’être aidé. 

Je pense enfin à l’avancée timide, mais réelle de la pair-aidance. Je me considère d’une certaine manière comme l’un d’entre eux, même si je n’ai pas suivi le cursus universitaire qui nous est destiné. La parole des pairs-aidants est une parole décisive qu’il est indispensable d’écouter et de respecter. 

La mienne, je la veux libre, audacieuse, insolente, et constructive. Faire sans la parole des pairs-aidants ce serait comme se contenter, pour parler d’un pays en guerre, des propos des journalistes et des observateurs sans écouter la voix des autochtones de ce pays. Comprenez bien que ce que les soignants, les accompagnants et les aidant tâchent de combattre et de faire reculer, nous nous l’avons traversé, et nous avons fait l’effort de le transmuter pour en faire un savoir qui doit être respecté et pris en considération. Qui doit être accueilli comme quelque chose d’infiniment précieux. Ecoutez-nous. La part qu’il manque pour véritablement soigner ceux qui en ont besoin avec dignité, il est possible que ce soit nous qui allons la construire avec vous.

Malgré tout ce qu’il m’a fallu de force et d’énergie pour faire cette traversée, j’ai foi en notre capacité à opérer les mutations nécessaires. Parce que l’épreuve de la souffrance psychique est aussi une initiation, une occasion unique de se remettre en question, de gagner en profondeur et en humanité. Et je crois que ce monde a besoin d’hommes et de femmes capables de faire face à leur fragilité psychique et de revenir parmi les autres enrichis par cette épreuve.

Pour ma part, aujourd’hui, j’ai une vie bien au-delà de ce que j’aurais pu espérer avant que tout cela ne m’arrive. 

Je suis la maman de deux garçons, je fais un métier qui a du sens pour moi, je vais bientôt publier mon premier roman et chaque jour j’ai l’impression d’apprendre et de comprendre un peu mieux ce qu’est l’amour qui est au fond la seule chose qui m’intéresse véritablement et qui vaille. 

L’important pour moi, ce n’est pas la maladie ou l’absence de maladie, le handicap ou l’absence de handicap, ce n’est pas d’être guérie, ni même rétablie, l’important c’est d’être suffisamment connectée à mes ressources pour apprivoiser mes fragilités et construire une vie qui me ressemble.

Tout le monde n’a pas les mêmes ressources, mais tout le monde a des ressources et au lieu de traquer les symptômes, nous devons traquer les ressources et les mettre en lumière comme des fils d’or qu’il faut tirer pour permettre à chacun de renaître à lui-même. 

Pour achever mon propos, je voudrais vous lire le passage d’une intervention prononcé par la romancière et essayiste Christiane Singer lors d’un colloque à Lausanne en mai 2000 intitulé « Schizophrénie = folie ? » :

« Il est urgent de changer notre regard sur ceux que nous appelons malades, et urgent qu’eux aussi changent le regard sur eux-mêmes. Il existe un niveau de l’être qui reste intact. Il existe un lieu en chacun où nous sommes non seulement guéris mais rendus déjà à nous-mêmes. La maladie est un accident, un malheur, une épreuve qui n’atteint pas le noyau. C’est à ce noyau intact que je m’adresse en vous parlant non pas parce que vous serez un jour guéris, mais parce que dans mes yeux vous l’êtes déjà. Non pas parce que l’espoir me porte que vous serez un jour à nouveau entiers mais parce que la certitude est en moi que déjà vous l’êtes. »

Christiane Singer

Je voudrais que tous les gens qui sont dans cette situation se souviennent que quoiqu’il leur soit arrivé dans leur vie, une part d’eux-mêmes demeure intacte. Accompagner les personnes qui souffrent d’un trouble psychique dans la reconquête de cette part d’eux-mêmes qui est intacte, pourrait être une très belle définition du rétablissement. 

Je vous remercie de m’avoir écoutée. »

Philippa


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