Trois questions à... Marion Ben Hammo, responsable programmes et fondations emploi, économie sociale et solidaire
Le chômage est un problème massif, qui mine la société française depuis les années 70… En quoi la philanthropie, avec ses moyens limités, peut-elle y répondre ?
La Fondation de France s’engage sur le sujet pratiquement depuis sa création. En effet, née en 1969, elle a mesuré l’impact sur l’emploi des différentes crises depuis le premier choc pétrolier. Cette implication s’est constamment adaptée aux mutations à l’œuvre sur le marché du travail, aux différentes formes de privation d’emploi : chômage, sous-emploi, travailleurs pauvres. Au fil de cette expérience, une conviction s’est forgée et s’est vérifiée : la société civile a toute sa place dans la lutte contre le chômage. Complémentaire de la puissance publique, le monde associatif apporte sa réactivité, sa créativité, sa capacité à innover et expérimenter. Les solutions qui se révèlent efficaces peuvent ensuite être reprises, accompagnées par l’Etat et déployées à grande échelle. C’est par exemple le processus suivi par l’expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée », dont nous avons soutenu l’émergence avec cinq bassins d’emploi… et dont le modèle est désormais retenu dans le plan pauvreté, annoncé par le président de la république.
Pour assumer ce rôle de « laboratoire de l’expérimentation sociale », la philanthropie privée est indispensable.
Expérimentation, innovation…Quelles ont été les autres constantes de l’action de la Fondation de France ?
Je citerai d’abord la volonté de décloisonner. La question de l’emploi est traversée par de nombreux clivages . Entre les exclus et les « inclus » bien sûr. Mais aussi entre le monde de l’insertion et celui des entreprises, entre les travailleurs sociaux et le privé, etc. Dans nos appels à projets et dans le choix des initiatives soutenues, nous tentons de dépasser ces frontières, nous favorisons des coopérations originales… qui permettent de faire évoluer les regards, et les préjugés, des uns sur les autres.
En second lieu : une attention particulière portée aux transitions professionnelles, qui sont des moments de vulnérabilité dans les parcours de vie. Nous privilégions les projets qui identifient et accompagnent ces points de bascule, pour éviter que les personnes fragiles s’installent durablement dans un « décrochage » difficilement réversible.
Quels sont les axes forts du programme aujourd’hui ?
Le nouvel appel à projet conçu en 2017 vise à prendre en compte l’impact du numérique sur le marché du travail. Comment faire face à la transformation des métiers et des compétences, voire à la disparition de pans entiers de l’activité ? Il s’agit de trouver des solutions pour que chacun puisse vivre dignement de son travail, dans un environnement en mutation accélérée. L’un de nos axes de travail porte par exemple sur le développement des nouveaux espaces de travail (coworking, fablab, coopératives d’emploi, etc). Ces lieux qui permettent aux travailleurs indépendants ou salariés isolés de sortir de leur solitude et de bénéficier d’un collectif… sont encore réservés aux personnes qualifiées, et profitent peu à celles et ceux qui restent durablement en marge de l’emploi. Il s’agit donc de donner à ces espaces les moyens d’accueillir ces publics plus fragiles, avec des tarifs et un accompagnement adapté. Autre piste suivie dans ce champs : le soutien aux démarches d’économie collaborative respectueuses des travailleurs comme des clients. C’est le modèle de l’association Lulu dans ma rue, qui propose un service de conciergerie solidaire, mettant en relation des personnes ayant besoin d’un revenu et des habitants à la recherche de services. Ou encore le soutien aux projets de formation au numérique, dans la perspective d’une activité professionnelle, pour les personnes éloignées de l’emploi.
Au final, face aux évolutions très rapides des organisations et du contenu du travail, nous restons réactifs, à l’écoute des meilleures expérimentations.
Mais nous voulons aussi penser le futur du travail, avec une réflexion prospective et une activité de veille, grâce à notre comité Emploi, composé de personnalités fortes d’expérience, de regards et de parcours très divers.