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Vivre ensemble autrement : l’expérimentation « Habitats partagés et solidaires »

15 décembre 2025

Face à la crise du logement, au vieillissement de la population et à l’augmentation du nombre de personnes en situation de vulnérabilité, les habitats partagés et solidaires offrent une réponse innovante pour créer du lien social et favoriser l’autonomie. Lancée par la Fondation de France en 2021, l’expérimentation « Habitats partagés et solidaires » visait à mieux comprendre l’impact de ces initiatives sur les habitants et les territoires. L’évaluation de l’expérimentation, conduite par le cabinet Generacio entre 2023 et 2025, met en lumière la diversité et les apports de ces projets, véritables laboratoires d’un vivre-ensemble plus inclusif.

Qu’il s’agisse de colocations solidaires entre personnes âgées et jeunes, de logements partagés réunissant personnes en situation de handicap et personnes valides, ou encore de maisons conçues pour accueillir des personnes en situation de précarité, les habitats partagés rassemblent des habitants aux profils variés dans un esprit de coopération et d’entraide. En combinant espaces privatifs et espaces communs, ils constituent un levier pour l’autonomie des habitants en proposant des alternatives intermédiaires entre domicile ordinaire et établissement spécialisé. Ils s’inscrivent dans un cadre législatif et institutionnel favorable, avec la reconnaissance de l’habitat inclusif par la loi ELAN  (2018), la création du forfait habitat inclusif et la mise en place de l’aide à la vie partagée. Lancée il y a quatre ans par la Fondation de France, l’expérimentation « Habitats solidaires et partagés » s’inscrit dans une logique d’exploration et d’innovation sociale. Son objectif : expérimenter des formes d’habitat plus en phase avec les enjeux contemporains et accompagner, dans la durée, des associations pionnières qui inventent de nouvelles manières de « faire société ».

L’évaluation de cette expérimentation visait à répondre à une question centrale : dans quelle mesure ces formes d’habitat peuvent-elles constituer un laboratoire pour une société plus inclusive ? Elodie Llobet, Anne-Bérénice Simzac et Aurélie Aulagnon du cabinet Generacio ont exploré deux axes : les effets sur les habitants (gain d’autonomie, participation des habitants à la vie collective, réduction de l’isolement…) et l’impact de ces projets sur leur environnement local (cohésion territoriale, création de liens sociaux…). L’évaluation montre que les habitats partagés et solidaires transforment les parcours de vie individuels en favorisant autonomie, lien social et confiance en soi, tout en renforçant les dynamiques locales. La méthodologie a combiné entretiens individuels, visites de projets et séminaires collectifs réunissant l’ensemble des associations impliquées. Douze initiatives soutenues par la Fondation de France ont été analysées afin de mettre en lumière les conditions de réussite des projets d’habitat partagé et solidaire.

L’ancrage territorial

Les habitats partagés et solidaires s’intègrent dans leur environnement de différentes manières : certaines initiatives répondent à un besoin identifié localement, tandis que d’autres profitent d’opportunités foncières ou immobilières pour se concrétiser. L’association Les Invités au Festin a par exemple d’abord identifié la commune de Baume-les-Dames, dans le Doubs, comme une zone blanche en matière d'accompagnement en santé mentale. Elle a ensuite décidé d’y lancer un projet d’habitat partagé dédié aux personnes en souffrance psychique. La réussite de l’implantation d’un projet d’habitat partagé dépend de multiples facteurs territoriaux qui influent sur la vie quotidienne des habitants : la composition sociale du quartier, l’accès à des services et commerces de proximité (déterminants pour l’autonomie des résidents) et le patrimoine architectural et culturel local. L’acceptation du projet par le voisinage est un enjeu majeur, nécessitant en amont des actions de sensibilisation et de communication. La mise en place d’activités ouvertes à tous (tiers-lieux, épiceries, friperies…) permet de renforcer les liens avec le territoire tout en valorisant les habitants et en diversifiant les ressources. L’architecture et la conception des espaces ainsi que la dimension écologique des projets (constructions durables, pratiques quotidiennes éco-responsables, …) constituent également un levier d’ancrage dans les territoires.

La participation des habitants

La vie collective au sein des habitats partagés et solidaires repose sur un équilibre délicat entre mixité, autonomie et participation. Accueillir des habitants aux profils variés constitue une richesse, mais exige un accompagnement attentif pour rendre la vie commune sereine et répondre aux besoins de chacun. À Toulouse, par exemple, le Village de François accueille des habitants aux parcours très divers : personnes en situation de vulnérabilité (ayant connu la prostitution, la rue, la prison…), familles et jeunes actifs. Pour permettre le vivre-ensemble, des règles de vie précises ont été co-construites avec l’ensemble des résidents. Elles sont ainsi acceptées et respectées par tous.

Il est important que l’intégration des futurs résidents commence en amont, grâce à des temps d’échanges collectifs réguliers (repas, activités, réunions…), des logements de transition ou des « périodes d’essai » pour se familiariser progressivement avec le fonctionnement collectif et créer des repères communs. L’élaboration d’un document de « Projet de Vie Sociale et Partagée » permet de fixer des règles communes en associant tous les habitants à leur élaboration. La participation des habitants, variable selon les projets, constitue un levier majeur de réussite, tout comme la juste implication des familles et proches, essentielle pour apporter un soutien sans empiéter sur l’autonomie des résidents.

L’autonomie au centre

Les habitats partagés permettent à certains habitants de maintenir leur autonomie, et à d’autres de la renforcer progressivement. Pour les personnes âgées, ils contribuent à préserver les capacités existantes et à sécuriser le quotidien. Pour les personnes en situation de handicap ou de précarité, ils favorisent le développement de nouvelles compétences et soutiennent l’acquisition d’une autonomie progressive. À Toulouse par exemple, dans l’écoquartier Guillaumet, l’association L’Esperluette a lancé Envol’Toit, un projet d'habitat inclusif et solidaire à destination des personnes en situation de handicap. L’aide-soignante de Pierre, un des résidents, explique que l’habitat facilite ses déplacements, multiplie ses interactions sociales et favorise l’entraide entre habitants.  La vie collective est centrale dans ce processus en stimulant l’entraide, la coopération et la confiance en soi, tout en offrant un cadre stable et sécurisant pour se projeter dans l’avenir. Mettre en place, par exemple, des dispositifs de « pair-aidance » au sein d’habitats partagés renforce l’autonomie tout en créant de nouveaux liens sociaux. L’adaptation de l’habitat, pensée dès la conception et souvent co-construit avec les futurs résidents, est également essentielle pour créer un environnement fonctionnel, même si les contraintes techniques ou réglementaires peuvent limiter certaines initiatives. Certains projets anticipent l’évolution des besoins des habitants, en prévoyant des espaces modulables ou des partenariats avec d’autres structures. L’objectif : accompagner les transitions et garantir la continuité des parcours résidentiels sur le long terme.

L’enjeu d’un modèle économique viable

La viabilité économique constitue un défi majeur. La mise en œuvre des projets d’habitats partagés et solidaires nécessite en effet des ressources importantes et s’inscrit dans le temps long : la durée moyenne entre la conception et l’accueil des premiers habitants est de trois à quatre ans. Les associations doivent naviguer entre complexité du marché immobilier, contraintes réglementaires et incertitudes sur les financements publics… Une fois ouverts, ces habitats conservent un modèle économique fragile et sensible aux évolutions des politiques publiques. Les partenariats, notamment avec les collectivités territoriales, et la diversification des activités économiques générant des revenus complémentaires, apparaissent comme des leviers essentiels de pérennisation des projets.

Photo : La Maison des Cultures de Thomery. © Léa Lacheteau