L’innovation pédagogique doit être une transformation qui profite à tous
En juin 2017, Jean-Charles Cailliez, vice-président innovation et développement de l’Université Catholique de Lille et professeur de biologie cellulaire et moléculaire était invité comme grand témoin du 8e atelier des fondateurs portant sur l’éducation. Celui-ci avait pour thème : « Les pédagogies innovantes : tendance ou révolution ? ».
Comment en êtes-vous venu à aborder la notion d’innovation en pédagogie ?
Je ne suis pas un chercheur en sciences de l’éducation. Jusqu’en 2012, j’étais un professeur d’université tout à fait « normal » : je dispensais des cours en amphithéâtre et menais des projets de recherche en laboratoire. J’aime toujours cette approche et ce métier. Sans être des frustrés de l’enseignement académique classique, nous avons cependant osé, avec des collègues, innover. Cette dynamique a pris de l’ampleur au sein de notre université.
Créativité et innovation, quelles distinctions apportez-vous à ces notions ?
Par créativité et innovation en pédagogie, nous entendons deux notions distinctes. La créativité en pédagogie consiste à avoir de nouvelles idées. Par exemple, la classe renversée où les étudiants prennent la place du professeur, construisent le cours, les écrivent, les présentent, structurent l’examen, l’organisent, notent les copies... constituent un exemple de créativité. Grâce à la classe renversée, les étudiants sont parties prenantes de la pédagogie et la définissent eux-mêmes, ce qui leur permet d’apprendre plus facilement.
Une idée créative rencontre souvent des objections qui peuvent l’empêcher de se concrétiser en innovation. En effet, l’innovation se manifeste lorsque l’idée trouve un usage, est acceptée, s’appuie éventuellement sur un modèle économique. L’innovation ne requiert pas toujours la créativité. La créativité se transforme en innovation grâce à l’expérimentation et le prototypage.
Qu’entend-on par « Innovation » dans le monde de l’éducation ?
Il existe deux types d’innovations pédagogiques.
D’une part, les innovations de transformation qui consistent à faire la même chose, mais différemment. Certains outils numériques utilisés aujourd’hui dans les lieux d’enseignement rentrent ainsi dans cette logique de transposition plus que d’innovation. L’innovation consisterait plutôt à utiliser le pouvoir du numérique pour réellement marquer une différence dans la manière d’aborder l’éducation.
D’autre part, les autres innovations sont celles de rupture qui correspondent à la création d’un objet totalement nouveau, inexistant, parfois improbable, mais co-construit et transdisciplinaire, tenant compte du public auquel il s’adresse et de ses besoins. Il convient de sortir du sentier habituel qui consiste à penser que les experts connaissent toujours mieux les besoins d’une personne que cette dernière elle-même. Les projets, la réussite de l’élève, l’apprentissage sont désormais au centre des préoccupations.
A quel type d’enseignement, l’innovation peut-elle être appliquée ?
L’innovation est parfois réduite à la rencontre entre les sciences et technologies et les sciences économiques. Or, les deux domaines, certes performants économiquement lorsqu’ils sont rapprochés l’un de l’autre, gagneraient à être accolés à d’autres domaines tels que ceux de l’art, de la culture, du design ou du sport qui peuvent apporter une grande valeur ajoutée à l’enseignement classique.
L’innovation doit être une transformation qui profite à tous, étudiants et professeurs, et ne pas être imposée pour être effective et couronnée de succès. La résistance au changement n’est en réalité pas une contrainte, mais une force qui permet de garder le sens des réalités et de créer un équilibre entre méthodes innovantes et apprentissages classiques. Le défi de l’innovation consiste donc à s’articuler avec l’existant.