La philanthropie du futur : l’anticipation au service du bien commun
L’avenir n’est pas aléatoire. Il s’anticipe, se prépare et se construit dès aujourd’hui. Désireux d’encourager une action philanthropique résolument tournée vers l’avenir, le réseau de fondations européennes Philea a publié en mai dernier La Philanthropie du futur, l’anticipation au service du bien commun. Une réflexion sur le rôle de la philanthropie et sa capacité à agir plus efficacement face aux enjeux de demain.
« En tant que secteur, la philanthropie est particulièrement bien placée pour engager des actions de long terme. Même lorsqu'elle agit dans l'urgence ou face aux crises, elle intègre les enjeux futurs dans ses réflexions et ses actions. Si, comme le disait Albert Einstein, les problèmes d'aujourd'hui ne peuvent être résolus avec les solutions d'hier, nous devons développer de nouvelles façons de penser pour répondre aux défis de demain », explique Delphine Moralis, directrice générale de Philea, en préambule de cet ouvrage.
L’objectif de cette publication est d’explorer comment la philanthropie peut mieux répondre aux défis à venir en développant une culture de la prospective. En collaboration avec le Copenhagen Institute for Futures Studies, Philea propose des méthodes pour développer cette approche prospective dans la pratique philanthropique. Les pistes présentées s’appuient notamment sur une enquête réalisée en 2023 auprès de plus de 200 organisations et représentants du secteur philanthropique, institutionnel, universitaire, de la société civile, d’entreprises, de think tanks et de médias. L’objectif : identifier les principaux moteurs du changement dans plusieurs domaines de l’intérêt général tels que le climat, la démocratie et l’inclusion sociale. Plusieurs experts du secteur expliquent comment la philanthropie doit s’adapter pour avoir davantage d’impact à long terme.
Parmi ces contributions, celle de Michael et Franz Viegener, jeunes fondateurs allemands de la Famtastisch Foundation : « Comment les jeunes générations repensent la philanthropie ». Rappelant que l’objectif de leur fondation est de permettre aux générations futures de mener une vie saine dans un environnement durable, ils exposent les orientations qu’ils souhaitent mettre en œuvre pour y parvenir : une philanthropie basée sur la confiance, qui délaisse les outils de contrôle et instaure des relations plus égalitaires entre les associations et les partenaires financiers.
Plusieurs études de cas sont également présentées. L’une d’elle présente la démarche prospective adoptée par la Fondation Mercator Suisse pour adapter sa stratégie dans un monde où les crises sont interconnectées et évoluent rapidement. Comment ? En réalisant des études d’anticipation pour mieux repérer les signaux faibles et comprendre les tendances sociétales émergentes. Ces données constituent la base des programmes d’expérimentation qui sont ensuite menés au sein du Futures Lab de la Fondation. Les résultats ou principaux enseignements issus des projets expérimentaux sont enfin partagés largement pour que chacun puisse s’en saisir, s’en inspirer ou les affiner.
Quatre grands principes d’intervention sont retenus dans le cadre de cet ouvrage collectif :
- S'attaquer aux causes profondes en développant une approche systémique
L’approche systémique vise à apporter des solutions durables et structurantes à des problématiques de société. Elle implique d’agir à la racine des problèmes et de tendre vers la transformation des pratiques, des structures, des normes ou même des mentalités à l’échelle d’un écosystème. - Favoriser une collaboration basée sur la confiance et la participation des personnes concernées
Pour agir efficacement, il est important d’impliquer les personnes dans la définition et la mise en œuvre des actions qui les concernent. La participation des personnes concernées, y compris au sein des conseils d’administration, contribue à une meilleure compréhension des problèmes, et oriente les décisions qui sont prises et les actions à mettre en œuvre. - Promouvoir la recherche, la culture de l'innovation et l'expérimentation
L'innovation et l'expérimentation sont essentielles pour mener des changements transformatifs. Il s’agit notamment de développer une culture de l’innovation et de l’expérimentation dans les structures, en encourageant l'exploration de nouvelles méthodes et l'apprentissage par l'échec. - Donner la priorité aux actions durables
Pour agir en faveur des générations futures, la philanthropie doit privilégier les actions ayant un impact à long terme plutôt que des résultats immédiats. Cette approche nécessite d’avoir un état d'esprit tourné vers l'avenir et de s’engager dans des financements pluriannuels, indispensables pour développer des solutions innovantes et durables.
ETUDE DE CAS
« Le fauteuil pour l’avenir » : une initiative d’Assifero pour renforcer la place des enfants et des jeunes dans la philanthropie européenne
Les enfants et les jeunes ne peuvent plus être uniquement un « problème à résoudre » pour les organisations philanthropiques : leur voix doit se faire entendre dans tout ce qu’elles font. Pour accélérer ce changement, Assifero, l'Association italienne des fondations et des organismes philanthropiques, invite les structures philanthropiques italiennes et européennes à laisser un fauteuil vide lors des réunions de leur conseil d'administration ou des tables-rondes qu’elles organisent. Par son initiative intitulée « Le fauteuil pour l’avenir », elle entend symboliser l'absence des enfants et des jeunes dans le processus décisionnel et le discours public. Elle vise également à rappeler la responsabilité que nous avons vis-à-vis des générations futures et à inciter les organisations philanthropiques à les inclure dans leurs processus décisionnels.
Nous vivons dans une culture qui privilégie la voix de l’adulte avec l'idée dominante que les enfants et les jeunes manquent d'expérience et ne sont pas aptes à prendre des décisions et à agir de manière responsable. Comment faire en sorte que la philanthropie contribue au changement de perspective, devienne plus inclusive, et se rapproche de ses bénéficiaires, tout en intégrant le dialogue intergénérationnel dans chaque décision ?
Sous l’effet du vieillissement de la population en Europe, les jeunes européens sont de moins en moins nombreux. En Italie par exemple, les jeunes (15-29 ans) ne représentent que 15 % de la population. Selon une étude réalisée en 2023 par Assifero et des étudiants de l'université Bocconi, seules 5 % des organisations philanthropiques italiennes comptent des personnes âgées de moins de 50 ans parmi les membres de leur conseil d'administration. Sur l'ensemble de l'échantillon, 81 % de ces membres ont entre 50 et 65 ans, et 14 % entre 65 et 80 ans. Si 37 des 38 fondations interrogées comptent des jeunes parmi les « bénéficiaires » de leurs actions, peu d’efforts sont déployés pour qu’ils participent à la conception des programmes et à la prise de décision.
Or, impliquer les jeunes générations présente de nombreux avantages. Grâce à leur vécu et à leur imagination, les jeunes sont de véritables experts, capables de contribuer aux solutions, non seulement sur les enjeux propres à leur génération (comme le numérique ou le climat), mais aussi sur les autres grands défis de la société.
Avec l'initiative "Le fauteuil pour l’avenir" Assifero encourage ainsi les acteurs de la philanthropie européenne à impliquer activement des enfants et des jeunes dans leur action : création d'espaces de dialogue dédiés, mise en œuvre des recommandations des jeunes, ...
Lancée en mars 2023, l’initiative compte aujourd’hui 56 signataires, dont des fondations italiennes privées et familiales ainsi que des fondations d'entreprise et communautaires. Les signataires mettent en place des actions concrètes. Par exemple : la Fondation Monza et Brianza a créé une banque de la jeunesse où les jeunes conçoivent et gèrent les appels à projets ; la Fondation Compagnia di San Paolo a quant à elle repensé ses processus décisionnels en créant un Conseil consultatif de la jeunesse.
Traduit et adapté de l’anglais