Littoral & mer : un programme pionnier pour des territoires résilients et solidaires
Depuis de nombreuses années, la Fondation de France s’engage dans la protection des territoires du littoral et des espaces marins face aux défis majeurs auxquels ils sont confrontés : changement climatique, pression démographique, rejets polluants, surexploitation… En 2011, elle a notamment lancé le programme Littoral & mer afin de faire émerger de nouvelles formes d’actions collectives, de renforcer la connaissance partagée, et de mettre en place des solutions concrètes pour répondre à ces défis. En 15 ans, le programme a accompagné 226 projets pour un montant total de 23 millions d’euros. Clôturé en 2024, ses acquis nourrissent aujourd’hui les collectifs d’action de la Fondation de France, en particulier les collectifs « Transition écologique juste » et « Crises et Catastrophes ».
Pensé comme un espace d’expérimentation et de recherche participative avec une forte dimension scientifique, le programme Littoral & mer a, dès son origine, exploré les liens entre développement local, participation citoyenne et résilience écologique. Initialement centré sur les littoraux terrestres, il s’est progressivement élargi aux enjeux de la mer, intégrant, entre autres, la question de la gouvernance des espaces maritimes, des ressources halieutiques et des écosystèmes côtiers.
« Au départ, le programme s’appelait simplement Littoral, avec une grande majorité de projets portés par des scientifiques, explique Yves Henocque, président du comité entre 2017 et 2024. Nous avons rapidement souhaité apporter plus de diversité dans l’identification et le pilotage des projets, de manière à varier nos modes d’action ».
Le tournant a eu lieu en 2018 avec la réalisation d’une évaluation globale du programme confiée à des experts socio-anthropologues. Les enseignements de cette étude ont permis de faire évoluer le programme : les territoires maritimes ont été inclus, une plus grande place a été accordée aux acteurs de terrain et aux collectivités, les critères de sélection des projets ont été élargis et la dynamique de co-construction des projets renforcée.
Les chantiers de plantations menés pendant la saison de pluie 2024-2025 sont désormais terminés. Prochaines étapes : suivis botaniques et poursuite des plantations à partir de novembre 2025. © Romain Borie / Projet Fa’atura te Tahatai
Favoriser les coopérations
À partir de 2018, deux types de soutiens complémentaires ont été mis en place : un accompagnement d’un an destiné à réunir différents acteurs animés par des envies d’agir communes afin de favoriser la coopération et la co-construction de projets, et un accompagnement de plus long terme (trois ans) apporté à des projets structurés.
Autre évolution du programme : le développement de soutiens hors appels à projets à certains acteurs stratégiques, tels que la Plateforme Océan & Climat . Créée en 2014, cette plateforme regroupe aujourd’hui plus de 110 membres (organismes scientifiques, institutions de recherche, associations, fondations…) qui se mobilisent ensemble pour que les enjeux concernant les océans soient davantage pris en compte dans les négociations climatiques internationales. Elle est aujourd’hui la seule plateforme nationale indépendante qui joue un rôle de coordination pour mieux protéger l’océan, en France et à l’international.
Membre du comité d’orientation stratégique du collectif d’action « Crises et Catastrophes », Yves Henocque voit dans la mer une formidable opportunité de renforcer les coopérations : « La philanthropie ne doit pas s’interdire d’agir à l’échelle d’une région, au sens de territoire océanique, si elle souhaite déployer une prévention efficace. Dans l’océan Indien, par exemple, coopérer avec les Comores ou Madagascar aiderait à mieux anticiper et se préparer aux risques de crises et de catastrophes à Mayotte ».
Les élèves du lycée agricole John Doom de Taravao (Tahiti) découvrent l'importance de la végétation indigène du littoral de Tahiti dans le cadre d'une visite scolaire. © Jean-Yves Meyer / Projet Fa’atura te Tahatai.
Prévenir les crises et renforcer la culture du risque
Face à l’érosion du trait de côte, à l’augmentation des submersions marines et aux catastrophes naturelles récurrentes, le programme a permis de soutenir des initiatives locales d’anticipation et de mémoire du risque, levier essentiel de prévention. Yves Henocque alerte : « La prévention est un enjeu crucial. Il faut sortir d’une posture de réaction et penser des systèmes résilients. Cela passe par la mutualisation des connaissances, la mise en réseau des initiatives locales, et une vraie recomposition territoriale ». L’association CRONOS, par exemple, recueille en Vendée et en Charente-Maritime des témoignages d’habitants sur la tempête Xynthia pour construire une mémoire collective autour de la catastrophe.
Pour Xavier Lafon, membre du comité d’orientation stratégique du collectif d’action « Transition écologique juste », « la mer nous renvoie à notre propre fragilité. Elle interroge nos pratiques d’aménagement et nous pousse à repenser la solidarité à l’échelle des territoires ». Le projet FUGASCIA sur la presqu’île de Gâvres (Morbihan) a par exemple mis en place un suivi participatif du trait de côte associant scientifiques et citoyens, en adéquation avec cette démarche collaborative au sein d’un territoire.
Sur la presqu'île de Gâvres (Morbihan), le projet FUGASCIA vise à impliquer les citoyens dans la gestion du trait de côte, dans la collecte de données et le partage de connaissances, afin de trouver des solutions aux problèmes d'érosion côtière et de submersions marines. © Geo-Ocean / OCLM
Restaurer les écosystèmes et rebâtir les liens humains-nature
Le programme a mis en valeur la richesse des écosystèmes littoraux et marins, à la fois fragiles et sources de solutions. « Développer des solutions fondées sur la nature* permet aux populations de mieux s’adapter aux effets du changement climatique et de renforcer les équilibres écologiques, souligne Xavier Lafon. Restaurer une mangrove, par exemple, c’est à la fois protéger un territoire et soutenir les conditions de vie de ses habitants ». Des projets comme ADAPTO, en Charente-Maritime et en Loire-Atlantique, ont démontré l’efficacité de la gestion souple du trait de côte, une gestion qui s’adapte au rythme des écosystèmes naturels, qui cherche à reconnecter les milieux naturels et à restaurer les zones humides, tout en impliquant les populations dans les prises de décision. Le même type de projet, ADAPTOM, a été développé sur l’ensemble des territoires d’outre-mer.
Echantillonnage de poissons pour déterminer les traits d'histoire de vie de 6 espèces ciblées de poissons récifo-lagonaires, en Polynésie française. © Vetea Liao / Projet RAHUI
Transformer les modes de gouvernance et les pratiques a également été au cœur du programme. En Polynésie, le projet RAHUI s’appuie par exemple sur des savoirs traditionnels pour mettre en place une gestion communautaire de la pêche, en lien avec les institutions locales. Dans un autre registre, les Aires Marines Éducatives (AME) permettent à des écoliers de gérer une parcelle littorale. Une façon innovante de sensibiliser les plus jeunes et de les associer à la protection du vivant.
« Ce qui est intéressant, c’est d’associer connaissances, implication citoyenne et transformation des usages, explique Xavier Lafon. Le projet « Bac à marées » , en Charente-Maritime, en est un bon exemple : en ramassant les déchets sur la plage, on produit des données, on sensibilise, et on fait le lien entre pollution et responsabilités. »
Installation d'un bac à marées sur une plage de Charente-Maritime, afin de collecter les déchets et réduire l'impact de la pollution plastique sur le littoral. © SCIC TEO / Projet Bac à Marées
Les territoires insulaires, laboratoires d’avenir
Les îles, qu’elles soient métropolitaines ou ultra-marines, ont occupé une place centrale dans le programme, notamment parce que les effets du dérèglement climatique s’y combinent avec des contraintes sociales et économiques fortes. « Les îles sont des territoires très particuliers, avec une forte vulnérabilité mais aussi un grand potentiel d’innovation, souligne Yves Henocque. Il faut les considérer comme des systèmes océaniques régionaux interconnectés ». OdySéîles et Synerg’îles sont deux exemples de projets emblématiques soutenus par la Fondation de France, qui sont maintenant étendus à plusieurs îles d’outre-mer. Création d’outils de suivi environnemental et frises chronologiques, réalisation d’une cartographie participative, coopération inter-îles… : ces projets ont renforcé les liens sociaux et territoriaux, tout en intégrant ces îles dans une dynamique de transition écologique.Du programme aux collectifs d’action
Le programme Littoral & mer a permis de décloisonner les savoirs, de croiser les pratiques, et de faire de la mer un espace de solidarité et d’innovation. Un héritage qui se retrouve dans les collectifs d’action de la Fondation de France.
Selon Yves Henocque, le programme Littoral & mer a été précurseur dans la mise en œuvre de l’action collective : « Notre comité était composé de scientifiques, d’acteurs institutionnels, d’anciens administrateurs de collectivités, de représentants d’associations… Cette diversité a permis d’aborder les projets de manière très transversale. Cette philosophie est aujourd’hui au cœur des collectifs d’action. »
Pour Xavier Lafon, « le programme a constitué une base très riche pour le collectif d’action Transition écologique juste, où des acteurs divers se rassemblent autour de thématiques, comme la gestion des communs ou les solutions fondées sur la nature. La reprise de projets comme le programme BioLit porté par l’association Planète Mer , ou l’accompagnement de nouveaux projets sur les prud’homies** (comme PELA-Méd), se sont faits très naturellement et contribuent à la pérennité de nos actions. »
Le programme de sciences participatives Biolit, porté par le Laboratoire Planète Mer du Museum National d'Histoire Naturelle, soutient l'action collective des citoyens, scientifiques et professionnels des espaces maritimes, pour contribuer ensemble à retrouver un équilibre durable entre la vie marine et les activités humaines. © Audrey Lepetit / Planète Mer
Le collectif d’action Crises et Catastrophes n’est pas en reste avec le soutien d’un projet comme "Sea’ties", mené par la Plateforme Océan-Climat (POC), qui a récemment abouti au lancement d’une Coalition mondiale des villes et régions côtières face aux conséquences de l’élévation du niveau de la mer.
Les enseignements du programme ont en outre une résonance particulière en cette Année de la mer décrétée par le gouvernement français, et avec la tenue de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) , coorganisée à Nice en juin 2025. A cette occasion, la Fondation de France s’est associée à l’Appel des Fonds et Fondations pour l’Océan, signé à ce jour par plus de 65 fondations. Cet appel a été présenté sous forme de table ronde au sein de l’espace grand public « La Baleine » à Nice. Plusieurs associations soutenues par la Fondation de France étaient présentes : Surfrider , Les Petits Débrouillards, Le Labo des Histoires , Smilo , Le Cluster Expéditions..., toutes engagées pour rappeler que la préservation de la mer et du littoral doit aujourd’hui devenir une cause universelle, et que la philanthropie doit en être résolument partie prenante.
*Les solutions fondées sur la nature reposent sur la reconstruction d’un rapport différent à la nature, qui soit moins anthropocentré. C’est une invitation à nouer de nouvelles relations avec la nature, à ne pas la considérer seulement comme une puissance contre laquelle lutter, ou un patrimoine méritant protection, mais aussi comme une alliée, une partenaire dont on peut tirer parti sans qu’elle soit totalement contrôlable ni prévisible.
**Les prud’homies sont des communautés de pêcheurs dans une circonscription administrative délimitée par décret d'Etat. Elles sont garantes du respect des techniques de pêche et de la répartition équitable des ressources marines perçues comme un bien commun au sein de leur territoire.
#CAUSEDUMOIS\MER ET LITTORAL
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