Jérôme Fourquet : « L’engagement des jeunes a changé de forme. »
Pour quelles causes les jeunes sont-ils prêts à s’engager et comment ? A l’occasion de la publication de l’étude sur l’engagement des jeunes menées par l’IFOP pour la Fondation de France, Jérôme Fourquet, directeur du pôle « opinion et stratégies d'entreprise » de l'IFOP, revient sur les grands enseignements de cette enquête.
Pour quelles causes les jeunes sont-ils prêts à se mobiliser aujourd’hui ?
Les deux grandes sources d’inquiétude exprimées par les jeunes entre 18 et 25 ans sont la peur de la fin du mois, autrement dit le pouvoir d’achat, et la peur de la fin du monde, liée au changement climatique et à ses conséquences. Il faut rappeler que l’enquête a été réalisée début septembre, c’est-à-dire après un été marqué par la canicule et de grands incendies et à un moment où on a commencé à ressentir très fortement la hausse du coût de certains produits. Mais de façon très marquée, c’est pour l’environnement que les 18-25 ans sont prêts à s’engager. 9 jeunes sur 10 s’avouent inquiets à l’égard du dérèglement climatique et 38 % même très inquiets. Pour cette génération qu’on appelle parfois la génération climat, le changement climatique est vécu comme une urgence : c’est une réalité ici et maintenant. Et plus on monte en diplôme, plus le niveau d’inquiétude est élevé. Les jeunes ont le sentiment que ce sujet est jugé trop secondaire par les décideurs et que l’inaction et l’immobilisme continuent de prédominer : la machine est grippée, les mauvaises habitudes ont été prises. Or, pour eux le péril est bien perçu comme imminent, ils le voient arriver à leur fenêtre.
9 jeunes sur 10 s’avouent inquiets à l’égard du dérèglement climatique.
Comment les jeunes envisagent-ils de s’engager ?
L’engagement des jeunes a changé de forme. Nous n’aurions pas du tout eu les mêmes résultats il y a ne serait-ce que dix ans. Ils comptent d’abord sur eux-mêmes. L’action individuelle prend le pas sur la mobilisation collective et structurée, même si celle-ci peut exister de manière ponctuelle comme avec des opérations de désobéissance civile ou d’actions coup de poing. Les jeunes s’engagent avant tout en tant que consommateurs, usagers ou citoyens. Beaucoup moins en rejoignant des organisations militantes ou associatives traditionnelles. Pour cette génération qui a grandi dans l’hyperconsommation, l’engagement le plus efficace passe par le changement des habitudes de consommation (83 %). Cela signifie consommer autrement, de manière plus responsable, par exemple en boycottant certaines marques ou en privilégiant les produits bio, de seconde main ou vendus en vrac. Le répertoire d’actions a changé : j’agis à mon échelle, et notamment en changeant la façon dont j’utilise ma carte bleue.
Mais à noter toutefois qu’il y a toujours quelques contradictions dans les comportements de cette génération climat travaillée malgré tout par l’hyperconsommation. Juste un exemple : ils pratiquent certes les plateformes de revente de vêtements de seconde main, mais 70 % de l’argent ainsi collecté repart en achat neuf…
Pour cette génération, l’engagement le plus efficace passe par le changement des habitudes de consommation.
A souligner aussi le fort besoin de cohérence entre engagement individuel et activité professionnelle. Le monde professionnel est devenu de plus en plus poreux aux pratiques d’engagement citoyen. Ainsi 68 % des jeunes interrogés déclarent être prêts à ne pas travailler pour une entreprise qui ne respecterait pas leurs valeurs. Aujourd’hui, on ne laisse plus ses préoccupations au vestiaire. Ce résultat témoigne aussi d’un nouveau rapport de force entre futurs salariés et entreprises. Dans un marché de l’emploi moins tendu (pour les jeunes salariés), on constate clairement que le chômage a cessé d’être une préoccupation majeure. Les jeunes se permettent alors d’être plus exigeants vis-à-vis de leurs futurs employeurs. Ils sont même 91 % à exiger que les entreprises soient exemplaires dans leurs pratiques.
81 % des jeunes estiment que leur génération a le pouvoir d’agir.
Entre individualisme et altruisme, l’engagement collectif a-t-il encore un sens pour les jeunes aujourd’hui ?
Le désir d’engagement et la sensibilité altruiste n’ont pas disparu des valeurs des jeunes. Néanmoins la volonté de s’impliquer pour changer les choses tend à emprunter des répertoires d’action différents, plus individuels et autonomes. Pour les jeunes Français interrogés, s’engager c’est avant tout avoir un comportement civique et solidaire (65 %, dont 35 % en première citation). L’environnement et la biodiversité sont très clairement les thèmes qui mobilisent le plus les jeunes de 18 à 25 ans, et pour agir, ils privilégient un engagement au quotidien, dans leur mode de consommation ou dans le cadre professionnel. En dépit d’un fort climat d’inquiétude, 81 % estiment que leur génération a le pouvoir d’agir et 76 % que les ONG ou les associations peuvent réellement changer les choses. Le défi pour le monde associatif sera de proposer de nouvelles formes d’action qui soient en phase avec cette appétence de s’engager autrement, de manière plus globale et moins cloisonnée.