Reconstruire ensemble : un défi collectif
Depuis le mois de juin, la Fondation de France a organisé avec les fondations qu’elle abrite une série d’ateliers thématiques. Des échanges précieux pour penser et agir ensemble. Focus sur les premiers travaux.
Alors que la crise sanitaire n’est pas réglée, la crise économique et sociale s’annonce profonde. Quel bilan tirer des derniers mois ? Au-delà de l’urgence, comment repenser nos stratégies d’intervention et agir efficacement ? Pour engager la réflexion, fin juin et début juillet, la Fondation de France a organisé avec les fondations abritées quatre ateliers, autour des thèmes handicap, environnement, action internationale et culture. Chaque rencontre (en visio-conférence) a réuni une vingtaine de participants, dans un format pensé pour privilégier l’échange, le partage de bonnes pratiques, la créativité. Car il nous faut à la fois capitaliser sur toute l’expérience accumulée par notre communauté philanthropique, élaborer des actions en commun et penser « hors des sentiers battus ».
Un réseau agile
Comment votre fondation a-t-elle réagi à la crise Covid 19 ? C’est autour de ce sujet que la Fondation de France a diffusé un questionnaire à son réseau dès la fin du mois de mai. Cent-vingt fondations ont participé à l’étude. Les trois quarts des répondants ont indiqué avoir adapté leur intervention, soit en réorientant leurs actions vers des projets adaptés au contexte, soit en accélérant les versements aux structures déjà accompagnées. Face à des associations confrontées à des besoins grandissants, le réseau philanthropique a pu débloquer rapidement des soutiens pour permettre aux acteurs de terrain d’agir (recrutement de bénévoles, formation et équipement numérique, matériel sanitaire…). « Elles ont démontré une véritable capacité à répondre, avec un enjeu d’agilité, de simplification des processus de décision, sans renoncer à la qualité de leurs interventions », constate Claire Boulanger, experte solidarités nationales Fondation de France.
Handicap : plus que jamais, le combat pour l’inclusion
Premier atelier : celui du groupe Handicap et inclusion, le 22 juin, dont les participants partagent un même constat : le confinement a renforcé les difficultés vécues par les personnes en situation de handicap. Fermeture des établissements spécialisés, arrêt des soins, troubles du comportement liés au stress, pressions sur les aidants familiaux, disparité d’accès au numérique… Autant de situations qu’il a fallu gérer dans l’urgence, et face auxquelles les fondations impliquées ont répondu présent. Mais demain ? Les débats ont fait apparaître plusieurs enjeux clés. Le déconfinement et l’incertitude peuvent constituer une source de stress, en particulier pour les personnes fragilisées par un handicap psychique, qui ont besoin d’un accompagnement rapproché. Avec la récession économique, la question de l’insertion professionnelle des personnes handicapées risque de se tendre encore. Un sujet qui mobilise particulièrement la Fondation Asperger Avenir comme la Fondation Engie. Enfin, pendant la crise, au nom de la protection des personnes handicapées, une conquête importante comme l’accès à la culture a été mise à mal. « Or la culture constitue un élément fondamental d’accompagnement des patients et résidents, rappelle Elizabeth de la Genardière de la Fondation Artistes à l’hôpital. A l’avenir, nous devons renforcer sa place dans les établissements de santé, par exemple en nous appuyant sur les personnels soignants sensibilisés à la pratique artistique qui souhaitent se doter de compétences dans ce domaine ».
Environnement : au cœur du monde d’après !
La crise Covid-19 a démontré une chose : malgré le risque sanitaire, malgré les craintes pour l’emploi et l’économie… la question environnementale reste une priorité pour nos concitoyens, du fait des menaces que font peser le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Le temps du confinement a même sans doute été un accélérateur de prise de conscience : l’origine animale du virus interroge la cohabitation entre l’homme et la nature. Un constat partagé par les 12 fondations présentes lors de l’atelier Environnement, le 3 juillet. Nature et Découvertes, Lemarchand, IRIS… ces trois fondations ont fait de la préservation des espaces naturels et de la protection des espèces sauvages l’un de leurs axes d’action, qu’elles comptent poursuivre et renforcer.« Il faut permettre une meilleure cohabitation des animaux avec les humains, souligne Pierre Lemarchand. Autre enjeu mis en lumière par la crise : l’alimentation. « Avec le confinement, l’intérêt pour une alimentation saine, respectueuse de l’environnement, et issue de circuits courts, a nettement progressé, note Patricia Jung-Singh de la Fondation Terra Symbiosis. Une tendance porteuse pour tous ceux qui comme nous soutiennent l’agro-écologie ». Au-delà de la diversité de leurs interventions, toutes les fondations s’accordent sur l’importance de l’éducation des enfants… comme des adultes ! C’est pourquoi les Fondations Nature et Découvertes et Terra Symbiosis collaborent déjà au sein du dispositif « Tous dehors », qui recense et valorise les initiatives visant à reconnecter les hommes et la nature, et cela dès le plus jeune âge.
Action internationale : répondre à la crise, développer des solutions structurelles
Face à une crise sans frontières, la communauté philanthropique s’est naturellement mobilisée pour soutenir les réseaux de solidarité dans de nombreux pays. Les fondations engagées de longue date sur l’action internationale étaient bien placées pour répondre aux besoins locaux. Une vingtaine d’entre elles ont pu échanger lors de l’atelier du 7 juillet. Dans un premier temps, elles ont donné la priorité aux actions d’urgence, quitte à reconfigurer leurs stratégies d’intervention. « Une partie de nos fonds vont à l’éducation et aux soins des détenus au Bénin. Nous avons pu très rapidement les réorienter pour financer l’achat de masques et de matériel sanitaire », explique par exemple Odon Vallet, de la Fondation Vallet. Autre exemple : la Fondation Schneider qui a pu soutenir 70 projets dans 65 pays, en mobilisant son réseau de représentants de l’entreprise dans le monde !
Pour nombre de ces fondations, c’est l’urgence alimentaire qui est apparue comme la plus criante. De la Fondation Phénix - qui accompagne des associations au Brésil - à la Fondation Frères des Hommes - présente dans les pays du sud -, elles sont nombreuses à avoir soutenu les démarches de distribution alimentaire, pour faire face aux pénuries. Autre urgence : la survie même des associations, dont ces fondations ont souvent dû prendre en charge une partie des frais de fonctionnement.
Mais au-delà ? Ces acteurs de la philanthropie souhaitent unanimement agir à long terme. Principalement autour de deux axes. D’une part l’éducation et la formation, comme la Fondation Mexxa qui finance et suit la formation de jeunes filles au Mexique, ou la Fondation Odon Vallet, qui permet à des milliers de jeunes vietnamiens et béninois de poursuivre leurs études grâce aux bourses, et qui a créé le premier réseau de bibliothèques francophones en Afrique. D’autre part l’autonomie alimentaire, sujet majeur pour des structures comme les Fondation S’AIDDES et François d’Assise, qui encouragent le développement de circuits de production et de consommation locaux en Afrique.
Culture : un ciment indispensable
Dans un contexte déjà difficile de baisse des subventions, la crise Covid-19 est venue percuter un monde artistique et culturel fragilisé. L’art et la culture sont des expériences souvent collectives, et tout le champ du spectacle vivant a vu brutalement ses projets annulés. Ce contexte mobilise les fondations agissant dans le champ culturel, qui partageaient leurs retours d’expérience lors de l’atelier du 9 juillet. Certaines ont pu répondre aux appels à l’aide du secteur, comme la Fondation Cléo Thiberge-Edrom, engagée dans le domaine de la danse contemporaine. « Nous avons débloqué un fonds d’urgence pour soutenir de jeunes danseurs du conservatoire, dont la situation était très critique. Mais aussi contribué à la ré-invention du secteur, notamment en finançant la création d’un spectacle baptisé 8m2, une chorégraphie totalement covid-compatible ! ». De même la Fondation Daniel et Nina Carasso, dont l’un des axes d’intervention est l’art citoyen, a-t-elle mobilisé en urgence ses fonds pour soutenir des associations comme les Ateliers des artistes en exil. D’autres structures se centrent davantage sur la diffusion des pratiques artistiques dans les milieus éloignés de la culture. Comme la Fondation Source des sources, qui accompagne 12 000 enfants et famille, et a réussi à basculer une partie des animations en activités à distance.
Pour la suite, en l’absence de vaccins, la reprise s’annonce lente et compliquée. « Nous sommes acteurs du monde de la culture. Nous devons nous interroger sur nos modes d’intervention, peut-être aller au-delà du simple financement pour envisager aussi des accompagnements méthodologiques. Car la culture sera un ciment indispensable pour affronter la crise qui vient », soulignait Pascale Rousseau-Dewambrechies, présidente du Comité Bordeaux Atlantique, qui co-animait l’atelier.
Des solutions à co-construire
La profondeur de la crise impose une réflexion collective, la mise en commun de ressources et d’expériences, et des actions fortes. Ce constat a traversé l’ensemble des ateliers organisés par la Fondation de France au début de l’été. Au-delà du « tour de table » des fondations qui ont pu découvrir leurs engagements respectifs, les fondateurs présents ont exprimé le souhait de poursuivre le dialogue et d’envisager des initiatives collectives : plusieurs groupes Team sont en cours de constitution, pour rassembler ceux qui partagent les mêmes thématiques.