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Où s’arrête la liberté des philanthropes ?

Points de vue 15 Fév.2016

par Noomi Weinryb, chercheuse suédoise

De prime abord, la réponse peut sembler évidente : lorsqu’on fait acte de générosité, on est libre de l’exprimer à sa guise… Ou, dit autrement, chacun est libre de faire « ce qu’il veut avec son argent ». Mais en matière de philanthropie, il en va autrement, en raison notamment des avantages fiscaux dont bénéficient les philanthropes. De ce fait, ils doivent rendre des comptes sur la façon dont ils utilisent leur argent au bénéfice de l’intérêt général. Les exemples actuels de méga-philanthropes américains nous questionnent également : les philanthropes sont-ils vraiment libres ? Quelles sont leurs responsabilités ? Dans quelle mesure et comment sont-ils « redevables » ?  C’est précisément le sujet de la thèse de la chercheuse suédoise Noomi Weinryb : Free to Conform: A Comparative Study of Philanthropists’ Accountability (Uppsala University, Suède, 2015), sur laquelle cet entretien est fondé.

Pourquoi est-ce important de se poser la question de la redevabilité quand on s’intéresse à la philanthropie ?

En fait, on s’aperçoit que le niveau de richesse peut conditionner le niveau de liberté. Ceux que j’appelle les “independently wealthy philanthropists”, c’est-à-dire ceux qui ont suffisamment de fortune pour ne pas être dépendants dans leur projet philanthropique de la collecte ou d’autres types de financements, sont souvent très libres. Ils sont en mesure d’agir comme ils l’entendent, tant qu’ils sont dans le respect de la loi. Et de ce fait,  ils s’affranchissent plus facilement de toute forme de redevabilité en comparaison d’autres financeurs.

Dans un système de plus en plus ouvert où l’influence des réseaux concurrence celle des institutions politiques traditionnelles, les philanthropes portent des ambitions au plan politique. De fait, des dons très importants peuvent avoir un impact sur l’orientation des politiques publiques. Par ailleurs, ces philanthropes imposent souvent de manière asymétrique à leurs bénéficiaires de rendre des comptes en matière de performance, notamment dans les courants de la venture philanthropy et du philanthrocapitalisme. Libres d’un côté, tout en demandant des comptes de l’autre. Dans ce contexte, il m’a semblé utile d’étudier la question de la redevabilité des philanthropes eux-mêmes. Du point de vue de la recherche, il n’y avait jusque là aucune étude comparative approfondie sur cette question, mais seulement quelques éléments qui signalaient un défaut de redevabilité, qui serait lié à l’indépendance que procure la richesse. 

Comment avez-vous étudié la redevabilité des philanthropes ?

La redevabilité est définie comme “une relation entre un acteur et un public, dans laquelle l’acteur a l’obligation d’expliquer et de justifier sa conduite, le public peut poser des questions et émettre des jugements, et l’acteur doit en assumer les conséquences” (Bovens, 2007). J’ai voulu identifier ce pour quoi les philanthropes sont redevables et de quelle manière, et aussi savoir si leur richesse avait une influence sur les acteurs envers lesquels ils sont redevables. J’examine pour cela les relations et les mécanismes de redevabilité, et la façon dont les philanthropes se justifient à travers une étude de cas bien spécifique sur le financement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Dans ma thèse, je compare la redevabilité effective des philanthropes avec celle d’autres financeurs (agences publiques, entreprises, organisations caritatives collectrices). Je réalise également une comparaison internationale entre trois sociétés ouvertes – la Californie libérale, la Suède social-démocrate, et la Corée du Sud étatiste. J’étudie les dimensions légale, financière, hiérarchique, professionnelle, politique et sociale de leur redevabilité, ainsi que la redevabilité vis-à-vis des pairs.  L’étude comprend 101 entretiens dans 51 organisations, et d’autres données exploitées dans des bases.

Quelles sont les principales conclusions de votre étude ?

L’étude montre que la redevabilité des philanthropes varie beaucoup selon les sociétés dans laquelle ils déploient leurs financements. En Californie, les philanthropes se comportent comme des acteurs libres, tandis qu’en Suède ils incarnent une autorité morale en tant que financeurs de la science. En Corée du Sud, il n’y a pas de frontière claire entre la responsabilité des philanthropes et celle des entreprises. Mon étude pointe donc les limites contextuelles de la redevabilité des philanthropes. En endossant leur rôle d’une façon conforme aux normes locales, les philanthropes contraignent leur liberté mais pour mieux la retrouver. D’une certaine façon, ils reconnaissent leur redevabilité en se conformant « librement » aux normes, et c’est en s’y conformant qu’ils préservent leur liberté.

Vos recherches débouchent-elles sur des recommandations pratiques pour le secteur de la philanthropie ou pour la sphère politique ?

Je voudrais souligner que si les philanthropes sont en général moins redevables que d’autres financeurs, ils n’utilisent pas leur liberté pour agir de façon différente des autres, mais agissent en fait comme les autres acteurs dans leur société.  Cette conclusion a des implications importantes pour les acteurs politiques qui espèrent favoriser l’innovation en rendant la législation plus favorable à la philanthropie : mes recherches indiquent au contraire qu’il n’y a pas de relation directe claire entre la philanthropie et des modes de financements innovants.

La compréhension de ce qu’est un philanthrope est liée à un contexte sociétal, et le changement de mentalité et de perception est sans doute un prérequis pour permettre aux philanthropes d'utiliser leur liberté pour agir de nouvelles façons. Ainsi ce n’est pas tant le nombre et le volume des dons qui est en jeu, mais plutôt la place et le rôle des différents acteurs. Cela implique un changement cognitif profond. Changer le rôle des philanthropes dans la société, et par exemple dans le cas de la Suède revoir le fonctionnement de l’Etat-Providence, pourrait avoir des conséquences bien plus importantes que d’obtenir davantage de financements pour l’innovation.

Nous devons aussi réfléchir à ce qui est scientifiquement bon et souhaitable. Bien que ma thèse soit basée sur un sujet qui est très contesté sur le plan scientifique (la recherche sur les cellules souches embryonnaires), elle montre bien que le niveau de valorisation des sciences est lui-même variable. La quête du progrès scientifique n’est donc pas identique et uniforme au plan international, elle varie en fonction des contextes locaux. De même, dans le domaine des sciences, l’organisation des financements et les schémas de prise de décision sont aussi soumis à des contingences locales.

Pour aller plus loin, j’aimerais poursuivre mon travail sur la redevabilité des philanthropes en étudiant la tension entre la légitimité démocratique en amont et en aval, et l’intention des philanthropes d’influencer les politiques publiques. D’un côté, leur richesse peut leur permettre d’acheter des éléments qui leur confèrent légitimité et capacité d’influence politique. D’un autre côté, leur richesse et le faible degré de redevabilité qui lui est attaché diminuent leur légitimité démocratique, et potentiellement leur influence politique. Je prévois d’étudier de façon empirique la façon dont les philanthropes cherchent à influer sur les politiques publiques afin de mesurer cette tension.

Noomi Weinryb a présenté son travail au séminaire Lunch & Learn de la Chaire philanthropie de l’ESSEC en décembre 2015.

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