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Pap Ndiaye : « Le renouveau de la démocratie passe par l’essor de la philanthropie »

30 janvier 2022 | Modifié le 5 décembre 2022

Pap Ndiaye est historien, spécialiste de l’histoire nord-américaine et pionnier des Black Studies en France. Il vient d'être nommé ministre de l'Éducation et de la Jeunesse après avoir été directeur général du Palais de la Porte Dorée, qui abrite le Musée national de l’histoire de l’immigration et l’Aquarium tropical. Il nous donne sa vision de la philanthropie. 

Quel regard portez-vous sur la philanthropie en France ?

La philanthropie en France a été historiquement moins développée que dans des pays comme la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Ceci, en raison de la centralité de l’État, considéré par les Français comme seul garant de l’intérêt général et devant pourvoir au bien commun. En outre, le protestantisme social, si central dans la création des grandes fondations philanthropiques, n’a pas du tout le même poids en France que dans les pays que je viens de citer. Enfin, la critique de la philanthropie reste vive dans la gauche radicale, puisqu’elle est vue comme une manière pour quelques milliardaires de se donner une image favorable à bon compte. Même si les choses changent, la méfiance, à tout le moins la méconnaissance de la philanthropie, persiste en France.

En fin connaisseur des États-Unis, quels parallèles et/ou quelles différences constatez-vous entre la philanthropie française et la philanthropie américaine ?

La philanthropie américaine est un énorme secteur économique et social, très reconnu et ancien. Les grandes fondations, nées au début du 20e siècle (Fondation Carnegie, Fondation Rockefeller) ont beaucoup compté dans l’avancement des sciences sociales, la mise au point des politiques sociales, la recherche médicale et scientifique, et même les luttes politiques comme dans le cas de la Fondation Ford et du mouvement pour les droits civiques. Mais au-delà des milliardaires qui donnent une partie de leur fortune, des millions d’Américains se sont investis dans ce qui est devenu, à partir des années 1950, une philanthropie de masse, comme l’a bien montré Olivier Zunz dans un ouvrage fondateur (La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État). On en est encore loin en France, bien que la philanthropie s’y développe aussi depuis une quinzaine d’années. La multiplication des fondations (2700 aujourd’hui) en témoigne, mais elles n’ont pas la centralité sociale des fondations américaines, au nombre de 76 000, qui distribuent chaque année quelque 47 milliards de dollars.

Selon vous, comment peut-elle agir en complémentarité de l’action publique ?

La Fondation de France mène des réflexions approfondies sur ce sujet, et des parlementaires font de même : le rapport « La philanthropie à la française », remis le 9 juin 2020, contient 35 propositions pour favoriser une « culture du don ». Je ne reviendrai pas sur les propositions qui y sont faites, d’autant que je ne suis pas expert de certaines questions juridiques et fiscales visant à encourager la philanthropie. La philanthropie fait déjà beaucoup, et la crise sanitaire n’a fait que confirmer son importance. Reste à développer cette fameuse « culture du don » qui a des racines profondes dans certains pays, ce qui est moins le cas en France.

Quel rôle la société civile peut-elle jouer dans la lutte contre les discriminations ?

Convenons que la lutte contre les discriminations n’est pas l’affaire que de l’État et de ses institutions, aussi précieuses soient-elles (je pense au Défenseur des Droits). La société civile doit aussi se mobiliser pour les faire reculer. À ce titre, la philanthropie peut soutenir les associations qui travaillent quotidiennement pour soutenir les victimes, pour informer, pour sensibiliser à des questions parfois invisibles. L’accès aux soins, par exemple, peut se décliner en prenant en compte des facteurs discriminatoires exposés de manière évidente lors de la crise sanitaire.

Et sur la question migratoire, comment peut-elle agir ?

Prioritairement en soutenant les associations qui aident les migrants, qu’ils soient en mer ou sur terre. Il s’agit tout simplement de sauver les vies de milliers d’êtres humains. Il est aussi possible de soutenir des institutions comme le Musée national d’histoire de l’immigration, qui a pour objet d’éclairer, avec l’appui des travaux scientifiques, l’histoire migratoire de la France, et de démentir au passage les fausses informations qui pullulent à propos de l’immigration. Nous avons une mission scientifique et civique d’intérêt général, que la philanthropie peut utilement soutenir.

Au sein du Palais de la Porte dorée dont vous étiez jusqu'alors le directeur, l’aquarium tropical est un lieu de sensibilisation à l’environnement et à sa protection. Comment la philanthropie peut-elle agir en faveur de la transition écologique ?

L’aquarium tropical permet de comprendre de manière très directe, visuelle, certains des enjeux cruciaux des milieux aquatiques, dont on sait qu’ils sont très fragilisés par la transition climatique. À ce titre, la philanthropie peut puissamment aider à cette prise de conscience, qui peut s’effectuer de multiples manières, certes, mais qui passe de manière privilégiée par l’expérience visuelle des écosystèmes. Un film ou un livre ne remplacent pas une visite à l’aquarium, comme nos visiteurs, petits et grands, nous le disent tous les jours.

Vous avez récemment contribué à la réflexion sur la refonte des missions sociales qu’opère actuellement la Fondation de France. Quelles sont selon vous les priorités que doit avoir une organisation comme la nôtre ?

Faire mieux connaître la philanthropie est une tâche prioritaire. Son développement ne repose pas que sur la bonne volonté des super-riches, mais aussi sur la mobilisation de millions de citoyens. Il y a même de bonnes raisons de penser que le renouveau de la démocratie en France et ailleurs passe, entre autres, par l’essor de la philanthropie. Il ne s’agit pas de charité, mais de mobilisations collectives, de formes de sociabilités précieuses à l’âge des individualismes, qui ne s’opposent pas du tout à l’action publique. Et puis la philanthropie n’est pas qu’un don ; c’est aussi un investissement pour l’avenir. La Fondation de France doit convaincre que la philanthropie est une part essentielle de la vie démocratique.

Vous-mêmes, quelles sont les grandes causes qui vous mobilisent ?

Tout ce qui relève des injustices et des souffrances, en particulier celles des plus vulnérables, m’interpelle très intimement. Tout ce qui concerne les enfants me touche et me mobilise, parfois de manière si émotionnelle que j’en perds mes moyens de réflexion !

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