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L'intérêt général, un bien commun et un projet à partager

16 février 2019

Entretien avec Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture et de la Communication, initiateur de la loi de 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations qui a permis l’expansion de la philanthropie des entreprises comme des particuliers.

Quelle vision avez-vous du rôle de la philanthropie et de sa contribution à l’intérêt général ?

Je sais qu’au cœur même de la tradition historique française est incrustée l’idée très forte que l’État, principalement et, accessoirement, les autres collectivités publiques, sont les seuls comptables et les garants de l’intérêt général. Je suis cependant persuadé que l’évolution des sociétés démocratiques faisant et, plus particulièrement, l’évolution de la nôtre, il y a lieu d’affirmer que cet intérêt général est également de la responsabilité des citoyens et des organisations dont ils font partie, notamment les associations ou les entreprises. L’intérêt général doit, plus que jamais, être considéré comme un bien commun et comme un projet à partager. C’est l’objet même de la philanthropie que d’exprimer cet engagement.

Quels sont les fondamentaux de la loi de 2003 à préserver absolument ?

Ce qu’il faut préserver, c’est un état d’esprit. C’est que l’État considère la philanthropie comme une activité à encourager et à développer et non comme un gisement de rentabilisation fiscale qu’il faudrait considérer avec suspicion. À travers les réductions d’impôt que la loi de 2003 aménage en faveur des particuliers et des entreprises qui s’engagent dans des actes philanthropiques, il y a une véritable reconnaissance par l’État de la capacité des citoyens à affecter directement, selon l’idée qu’ils se font des priorités de la société, d’une part de l’impôt qu’ils doivent en y ajoutant un véritable impôt volontaire, celui de la part de leur don qui n’est pas couvert par la réduction d’impôt.

En quoi l’action « privée » d’intérêt général vous semble-t-elle utile, voire nécessaire, en complémentarité de celle de l’État ?

Il faut effectivement parler de complémentarité. La philanthropie ne doit pas être considérée comme un soin palliatif se substituant à ceux d’un État défaillant. L’objectif de la loi du 1er août 2003, ce n’est pas que des concours privés se substituent à l’engagement public mais qu’ils s’y ajoutent. Cette action privée vise donc à mobiliser encore plus de moyens en faveur de l’intérêt général et cela dans tous les domaines de son expression. La loi de 2003 n’est en effet pas une loi sur le mécénat culturel seulement mais une loi sur le mécénat en général, quel que soit l’objet auquel il se consacre.  

Que répondez-vous à ceux qui craignent que l’on privatise l’intérêt général à travers le développement de la philanthropie ?

Je répondrais qu’ils se trompent. La philanthropie contribue à la promotion de l’intérêt général. Au-delà des dons en numéraire, elle bénéficie de l’immense gisement de générosité qu’implique l’engagement volontaire et souvent bénévole de milliers de personnes, au sein des associations et des fondations. A-t-on jamais tenté de valoriser le coût de cette mobilisation et mesuré à quel point, bien que privée, elle participe au mieux-être de notre société.

Quelle différence faites-vous entre l’engagement des entreprises à travers leur politique de RSE et celle de leur mécénat ?

Les politiques de RSE visent à permettre à l’entreprise, à ses dirigeants et à ses salariés de réaliser leur mission dans des conditions sociales et environnementales optimales alors que la philanthropie – c’est l’un des grands acquis de la loi de 2003 – permet à l’entreprise de sortir de son cadre et de ses objectifs pour se porter sur des actions utiles à la société mais possiblement très éloignées de l’objet social qu’elle s’est fixée. Ces deux attitudes sont complémentaires et, pour ma part, je me réjouis que le projet de loi Pacte renforce la RSE.

Y a-t-il des causes pour lesquelles la philanthropie vous semple plus légitime ou efficace ? Dans ce cas, ne risque-t-on pas de créer une société à deux vitesses ?

Le propre de la philanthropie, c’est qu’elle ne se décrète pas. Elle procède d’un libre choix et d’une prise de responsabilité autonome de la part de ceux qui s’y engagent. On ne peut donc lui imposer certains objectifs qui doivent caractériser l’action publique comme la constance, la pérennité ou l’équité de ses interventions. C’est une raison de plus pour affirmer que si le développement d’initiatives privées est souhaitable, l’enracinement de l’action publique reste nécessaire.

Quels sont les grands enjeux du mécénat pour les années à venir ?

Le principal enjeu, c’est que tous les particuliers et toutes les entreprises prennent mieux conscience des enjeux du mécénat et de l’intérêt pour chacun de s’y engager. Beaucoup d’entreprises et nombre de particuliers restent encore en dehors de ce type d’engagement. Il faut les y conduire et peut-être même, un jour, imaginer que l’État crée un crédit d’impôt, même modeste, pour tous les citoyens qui ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu de façon à leur permettre de devenir à leur tour des citoyens « actifs » capables affectant une part de ce qui leur est ainsi prêté par la collectivité à des causes dans lesquelles ils se reconnaissent. C’est sans doute un peu utopique mais l’utopie est un combustible dont les sociétés ont besoin pour avancer plus vite.

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