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Entretien avec Pierre Siquier, Président de France Générosités

2 février 2024

Ebrima Sall, directeur général de Trust Africa Pierre Siquier, Président de France Générosités
©Yvan Archenault

Depuis 6 ans à la tête de France Générosités, le syndicat professionnel des organisations d’intérêt général, Pierre Siquier achèvera son mandat en mai prochain. Instaurer plus de concertation et de coopération entre tous les acteurs de la générosité a été son fil rouge durant toutes ces années. Echange sur sa vision du secteur et de ses grands enjeux.

Quelles évolutions avez-vous pu percevoir dans le secteur de la générosité en France ces dernières années ?

Depuis le début de mon mandat, le secteur de la générosité s’est plutôt bien porté et a connu une croissance régulière. Il faut tout de même garder à l’esprit que ce développement est largement dû à des événements comme les urgences qui mobilisent énormément les donateurs dans tous les pays européens. Hors urgences, la croissance de la générosité est moindre. Un autre élément déterminant pour le don est la stabilité de l’environnement fiscal et juridique. En France, nous avons connu des évolutions dans ces domaines ces dernières années (IFI, prélèvement à la source, …), ce qui a eu un impact sur les dons.

La plus grande évolution selon moi concerne le profil des donateurs : on constate une baisse significative du nombre de « petits » donateurs (dons inférieurs à 150 euros). Ils représentaient 73 % de la collecte en 2004 ; ils pèsent environ 41,7 % en 2022. Il y a eu ainsi un glissement vers des donateurs plus âgés et disposant de plus hauts revenus. Si l’on se réfère à notre dernier Baromètre de la générosité, l’âge médian se situe à 62 ans.

Le renouvellement du profil des donateurs est un enjeu majeur pour le secteur : il faut réussir à toucher des profils plus jeunes et actifs. Aujourd’hui, ce sont les actifs (35-55 ans) qui donnent le moins proportionnellement à leur poids dans la population. C’est un enjeu d’autant plus important qu’il est de long terme. Rappelons que 67 % des personnes ayant été « éduquées » au don deviennent elles-mêmes donatrices à l’âge adulte, selon l’étude INJEP 2023 sur les Français dans la vie associative . D’où l’importance de l’éducation à la philanthropie des jeunes, que l’on développe notamment avec des initiatives comme l’Ecole de la Philanthropie . Aujourd’hui, elle agit dans une centaine de classes par an. Elle développe l’empathie des jeunes de 8 à 10 ans et les incite à mener des actions solidaires. Déjà près de 20 000 enfants ont ainsi pu être sensibilisés à l’engagement en faveur de l’intérêt général. L’ambition est de développer plus largement ce programme avec l’appui de France Générosités.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du rôle des fondations et associations qui œuvrent pour l’intérêt général ?

Face aux fractures de plus en plus importantes partout dans le monde, le secteur associatif et philanthropique joue vraiment un rôle clé. Les besoins sont considérables : à titre d’exemple, les organisations qui fournissent de l’aide alimentaire ont servi 20 % de repas en plus en 2022 qu’en 2021, et cela continue d’augmenter.

En plus des besoins auxquels elles répondent, les associations sont aussi des acteurs clés pour développer de nouvelles solutions, expérimenter des idées, contribuer à trouver d’autres réponses. Compte tenu de leur grande liberté d’action, de leur non-lucrativité et de leur ancrage dans les territoires, les associations peuvent tester des dispositifs d’accompagnement très innovants, au plus proche des publics. Elles ont également une capacité à agir de façon très rapide et agile. Leurs actions sont ainsi un complément indispensable à celles des pouvoirs publics dans le maintien du contrat social français. Malheureusement, l’importance du secteur de l’intérêt général et sa dimension d’innovation sociale ne sont pas toujours suffisamment reconnues.

Quelles sont les spécificités du secteur associatif et philanthropique par rapport à l’économie sociale et solidaire qui connaît un essor important ?

Avant toutes choses, il faut faire très attention à ne pas confondre utilité sociale et intérêt général. Les associations et fondations sont des organisations non lucratives et désintéressées qui agissent en faveur de l’intérêt général. Les entreprises de l’ESS produisent certes de l’utilité sociale, mais leurs activités restent lucratives selon un modèle capitalistique et actionnarial. Or, l’ADN de l’intérêt général, c’est l’absence de distribution de dividendes et une gestion désintéressée. Même si les SCOP (Sociétés Coopératives de Production) ont un modèle très égalitaire, il y a des redistributions de dividendes, donc on ne se situe plus dans l’intérêt général.

C’est un des grands points de divergence que nous avons avec les entreprises de l’ESS : elles considèrent qu’elles servent aussi l’intérêt général et qu’elles devraient donc bénéficier des mêmes avantages que les associations et fondations. Il est important de reconnaître les spécificités de chaque modèle et leur éventuelle complémentarité mais il est aussi fondamental d’être clairs sur les règles du jeu. Le secteur de la générosité et de l’intérêt général représente un îlot de désintéressement indispensable pour la cohésion sociale.

France Générosités porte la proposition d’un statut spécial d’entreprise à gestion désintéressée (EGD) qui permettrait à un organisme sans but lucratif d’être l’actionnaire unique d’une société commerciale au service strict de sa mission sociale. Nous publierons au printemps un dossier spécial sur ce sujet dans JURISSASSO et devrions finaliser l’étude d’impact d’ici fin 2024.

« Le secteur de la générosité et de l’intérêt général représente un îlot de désintéressement indispensable pour la cohésion sociale »

Pierre Siquier

Comment les liens entre les acteurs de l’intérêt général et les pouvoirs publics ont-ils évolué ?

Lorsque j’ai commencé mon mandat il y a 6 ans, les acteurs de l’intérêt général allaient souvent rencontrer les pouvoirs publics chacun de leur côté. Par conséquent, il était complexe de faire avancer concrètement les choses, d’autant plus que nous avons plusieurs interlocuteurs du côté des pouvoirs publics, les sujets qui nous concernent étant toujours interministériels. En quelques années, nous avons renforcé la concertation et la coopération entre tous les acteurs. Nous avons notamment lancé la Conférence de la générosité, en cours de discussion avec les pouvoirs publics, qui devrait initier des travaux interministériels au long court.  Il s’agit de réunir autour de la table toutes les administrations et les organisations du secteur afin de faire un constat partagé des différentes problématiques en cours, de réfléchir collectivement et de co-construire des solutions au travers de groupes de travail mixtes administrations/organisations. Ces travaux devront être l’occasion de traiter des frontières de l’intérêt général, des statuts des FRUP (Fondations Reconnues d’Utilité Publique) et des ARUP (Associations Reconnues d’Utilité Publique), de la gestion désintéressée, des mesures de soutien à la générosité tout au long de la vie et du développement du mécénat territorial. C’est indispensable si l’on veut gagner en efficacité d’action. L’enjeu des années qui viennent est de créer une philanthropie plus impactante où la norme est au service de la transparence.

L’été dernier, le Conseil d’Etat et le ministère de l’Intérieur vous ont sollicité avec le Centre Français des Fonds et Fondations (CFF) et la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes afin de réfléchir à une simplification du statut d’entité reconnue d’utilité publique (RUP). Où en sont ces travaux ?

Suite à cette sollicitation, nous avons décidé de mener une réflexion commune avec le CFF. Nous avons organisé des groupes de travail réunissant des fondations et des associations reconnues d’utilité publique et nous avons donc abouti à une note commune .

Pour une organisation, être reconnue d’utilité publique est un avantage considérable en termes d’image, mais comporte aussi des obligations en termes de transparence et d’utilisation des fonds. C’est un gage de confiance indiscutable pour les donateurs, notamment par rapport aux fonds de dotation qui sont contrôlés de manière moins stricte, même si beaucoup de progrès ont été faits.

Selon nous, une simplification de la reconnaissance d’utilité publique ne doit pas aller dans le sens d’une diminution du contrôle ou de la suppression de critères d’entrée exigeants, mais vers une clarification et une transparence des pratiques, une simplification des démarches et une amélioration des traitements administratifs. Il faut également accorder plus de liberté aux associations et aux fondations dans la rédaction de leurs statuts, car les besoins ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agisse d’une grande fondation ou d’une association de proximité par exemple. Notre conviction est que la rigidité bloque les envies d’agir et décourage les initiatives innovantes. Or, dans un monde en plein bouleversement, nous avons besoin de toutes ces énergies. Les efforts de simplification doivent donc viser à instaurer plus de souplesse et d’agilité sans baisser le niveau de contrôle qui reste fondamental.

Mais au-delà de ce statut, il faut attaquer le sujet globalement, et par exemple tenir compte de la pluralité des statuts dans le secteur de la générosité. Les fonds de dotation, par exemple, ou les fondations d’entreprises ne sont pas reconnus d’utilité publique bien qu’ils agissent dans le champ de l’intérêt général. Il faut donc être très prudent lorsqu’on parle de simplification car chaque type d’acteurs a ses spécificités et son rôle à jouer dans l’écosystème.