« Chacun doit avoir conscience qu’il peut agir ! »
Interview de Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit animal, éthique et sciences et de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer.
Louis Schweitzer
Après une carrière de haut fonctionnaire puis de capitaine d’industrie à la tête de Renault, Louis Schweitzer se consacre désormais à ses engagements philanthropiques, en particulier en faveur de la cause animale. Il nous livre ici son point de vue sur le sujet
L’intérêt général a été présent tout au long de votre carrière. Vous avez été président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). Vous êtes également engagé en faveur du bien-être animal en tant que président de la Fondation Droit animal, éthique et sciences et depuis peu, de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer. D’où vous vient cet engagement ?
La notion d’intérêt général est présente dans ma vie depuis que je suis enfant. Mon engagement s’est concrétisé lorsque des opportunités ont fait écho à mes convictions. Quand Jacques Chirac m’a proposé de prendre la présidence de la Halde, j’ai saisi cette occasion de transformer ma conviction en engagement actif en faveur de la question de l’égalité. Cette expérience passionnante m’a permis de poursuivre ce que j’avais entrepris en tant que chef d’entreprise, en combattant les discriminations.
Quant à la cause animale, c’est un engagement qui remonte à l’enfance, une conviction familiale forte.
Quelle vision avez-vous de la philanthropie et quel rôle doit-elle jouer au sein de notre société ?
Quand on a eu de la chance dans la vie, il y a un retour à assurer. Ce retour peut se faire par des contributions financières mais aussi par du temps. En France, la philanthropie est moins développée que dans les pays anglo-saxons. Non pas que les Français soient moins généreux mais parce que l’État prend davantage en charge la solidarité que dans d’autres pays. Mais ce modèle a des limites. Par exemple, une association comme Amnesty International doit par définition être indépendante de tout intérêt étatique.
Et d’autre part, chacun d’entre nous a des sensibilités et des convictions spécifiques. Il est donc naturel de vouloir les transformer en action. J’estime que chacun doit avoir conscience qu’il peut agir ! C’est un moyen d’enrichissement personnel et un facteur de progrès du monde. Une façon de resocialiser les gens.
De plus, être engagé bénévolement permet de maintenir du lien social, de ne pas se replier sur soi, de rencontrer des personnes inspirantes, bref de se renouveler. Un cercle vertueux qui se développe en France. Je préside Initiative France, réseau des créateurs et repreneurs d’entreprises. Dans cette association, il y a 16 000 bénévoles qui se sentent utiles et engagés, ce qui est tout à fait gratifiant.
Comment pensez-vous l’articulation entre les responsabilités et les prérogatives de l’État, et celles du secteur philanthropique ?
La doctrine américaine veut que la philanthropie se substitue à l’État. Ce n’est pas ma conviction. La philanthropie doit être envisagée comme un complément à l’action publique. Et son rôle est variable selon les domaines. Par exemple, je pense que l’enseignement et l’éducation doivent rester des prérogatives de l’État. En revanche, dans le domaine culturel, la philanthropie est un gage de liberté, celle des artistes et de la création, et il est important qu’il y ait différentes sources de financement.
De manière plus générale, la philanthropie permet d’être plus audacieux, plus innovant et d’explorer des voies d’action qui pourraient être négligées en raison de processus administratifs trop lourds ou de systèmes de pensée dominants. La philanthropie se développe fortement depuis une dizaine d’années – et la Fondation de France y a largement contribué –, elle permet cette complémentarité public-privé. C’est important qu’il y ait des équilibres heureux.
On sent aujourd’hui dans la société une prise de conscience, un souci grandissant du bien-être animal. Comment expliquez-vous cette évolution et cette prise de conscience ?
Les Grecs se préoccupaient déjà du bien-être animal. Rousseau, Bentham, Gandhi se sont aussi emparés de la question. Mais c’est la science qui a permis récemment de mieux comprendre la réalité de la sensibilité animale. Il y a un siècle, on condamnait la maltraitance mais on n’évaluait pas la capacité au bonheur des animaux. On n’avait pas conscience de la proximité entre l’Homme et l’animal. C’est un progrès éthique. Or l’État est peu actif dans ce domaine, donc la philanthropie a un rôle particulier à jouer. Mon intention, en tant que président de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, est notamment d’améliorer, en lien avec la Fondation Droit animal, éthique et science, la connaissance du monde animal et les liens entre les animaux et les hommes.
Retrouvez tous les points de vue