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Tribune - L'Afrique et les batailles du « Consommer local »

26 février 2019

Ibrahima Coulibaly préside le Réseau des organisations paysannes et de producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Henri Rouillé d’Orfeuil est chargé du programme Alimentation responsable et durable de l’association RESOLIS. Ces deux experts interviennent à l’occasion du séminaire international organisé à Paris, du 26 au 28 février, par la Fondation de France et le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI) : « Consommer Local : l'avenir de l'alimentation en Afrique de l'Ouest ».

Le défi alimentaire de l’Afrique est au croisement de la plupart des grands défis africains et c’est d’abord aux agriculteurs, aux consommateurs et aux responsables africains de le relever.

Défi économique en effet, car aujourd’hui 20% de l’alimentation est importée, ce qui représente entre 30 et 50 milliards de dollars/an. Selon l’IFPRI, l’addition pourrait s’élever en 2030 à 150 milliards de dollars. Ces chiffres sont alarmants : quelles exportations pourront permettre de payer une telle facture ? Défi social aussi, car les hémorragies paysannes, dont nous constatons déjà l’impact sur les villes et les zones périurbaines et, au-delà, sur les flux migratoires, sont un puissant facteur de déstabilisation nationale et d’insécurité internationale. Défi culturel, car l’alimentation est l’un des fondements de la culture des peuples. La world food est l’une des premières acculturations qui détournent les citoyens du « pays d’en-dedans ». Défi environnemental enfin, car ce sont bien les agriculteurs qui gèrent l’essentiel des ressources naturelles et qui sont les premiers à souffrir d’une dégradation de ces ressources.

C’est d’abord aux paysans, c’est-à-dire les milliers d’agriculteurs, pasteurs, pêcheurs africains et leurs organisations de relever le défi alimentaire du continent. Mais en ont-ils aujourd’hui les moyens ? A vrai dire, dans le contexte actuel, les agriculteurs sont face à des batailles bien difficiles, et même perdues d’avance dans certains cas. Ce n’est pas parce qu’ils seraient incapables de « rentrer dans l’histoire », mais parce qu’ils font face à des obstacles qui se dressent devant eux : un accès inégal aux ressources, des technologies souvent inadaptées à leurs situations économiques et écologiques, des compétitions sur les marchés avec des compétiteurs autrement équipés et encouragés… eux sont peu soutenus et pas protégés comme l’ont été, et le sont toujours, les agriculteurs des pays du Nord du monde. En très grande majorité, ils sont pauvres ; en Afrique comme ailleurs le travail agricole est mal rémunéré, mais ils ne bénéficient d’aucun mécanisme d’aide au revenu ou d’assurance contre les aléas. Il leur est donc difficile d’investir suffisamment et sont limités dans leur innovation. De toutes façons, ils ne présentent aucune garantie, il n’y a presque plus de crédits agricoles publics, il n’y a pas d’intérêt des banques commerciales pour leurs modèles de production, même le micro-crédit avec ces taux élevés obligés n’est guère adapté à la production agricole.

A vrai dire, les agricultures africaines ont besoin d’une triple révolution copernicienne. D’abord, sur le plan technique, il y a besoin d’inverser la logique consistant à « artificialiser » les milieux naturels à grand renfort de produits chimiques et d’énergies non renouvelables pour les adapter à des plantes et à des animaux sélectionnés pour leur très haute productivité. Il faut au contraire que les plantes et les animaux s’adaptent aux milieux et que les systèmes agricoles s’organisent pour bénéficier des services écologiques offerts gratuitement par la nature. Ensuite, il faut inverser le discrédit entretenu contre les produits locaux et faire valoir au contraire leur caractère identitaire. Pour ce faire, il faut, bien sûr, que ces produits soient accessibles, de qualité et correspondent aux besoins de consommateurs, notamment urbains. Enfin, sur le plan politique, il faut que le commerce international serve le développement national et non l’inverse.

C’est cet ensemble de messages que porte le Réseau des organisations paysannes et de producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (ROPPA), qui représente l’ensemble des agriculteurs, éleveurs, pasteurs et pêcheurs d’Afrique de l’Ouest et c’est selon cette orientation qu’il a bâti son prochain Plan stratégique (2019-2023). Ce plan est la feuille de route que se sont donnés ses membres pour assumer leur part de responsabilité dans cette révolution copernicienne. Ce plan s’organise autour de cinq programmes régionaux prioritaires[1]. Pour le reste, le ROPPA appelle les scientifiques à accompagner une nécessaire évolution agroécologique des systèmes de production agricole, les consommateurs à « consommer local » et les autorités publiques à défendre une souveraineté alimentaire. Bref, il appelle chacun à assumer sa part de responsabilité dans cette révolution copernicienne et, ainsi, à contribuer à relever le défi agricole et alimentaire de l’Afrique et avec lui, à répondre aux autres grands défis qui se posent aujourd’hui au continent africain.

Ibrahima Coulibaly, paysan malien et président du Réseau des organisations paysannes et de producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (ROPPA)

Henri Rouillé d’Orfeuil, programme Alimentation responsable et durable de l’association RESOLIS, membre de l’Académie d’agriculture de France

Tribune publiée initialement sur le site du Monde Afrique le 25 février 2019

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[1] Accompagnement et appui de proximité aux exploitation familiales ; Évolution des systèmes de production, promotion de l’agroécologie, adaptation au changement climatique ; Promotion des activités économiques portées par des femmes ou des jeunes au sein, à l’aval ou à côté des exploitations familiales ; organisation des filières et des interprofessions, partage équitable de la valeur au sein des chaines agricoles et alimentaires, consommation locale et nationale des produits des agricultures ouest-africaines.