Quel chemin pour plus d’égalité en philanthropie ?
Tribune co-signée par Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation de France et Maja Spanu, responsable du pôle recherche et affaires internationales de la Fondation de France. Texte traduit en français et paru dans le magazine Alliance en septembre 2023.
Si l’efficacité des quotas dans les conseils d’administration des entreprises n’est plus à démontrer, les fondations européennes pourraient-elles en bénéficier aussi ?
Faut-il instaurer des quotas temporaires de parité au sein des conseils d’administration des fondations ? Lorsque la rédaction du magazine Alliance nous a interrogées sur le sujet, notre réponse a été la suivante : certes, la question est complexe et se doit d’être décortiquée, mais, en résumé, la réponse est oui. En 2011, la France adopte la loi Copé-Zimmerman imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 250 personnes salariées.
46% c’est la part des conseils d’administration d’entreprise qui sont à parité en France en 2021.
A l’époque, cette loi audacieuse avait divisé l’opinion publique française, y compris chez les défenseurs d’une plus grande parité. D’un côté, elle était vue comme un outil capable de gommer les discriminations et d’ atteindre plus d’égalité, de l’autre, s’est exprimée une crainte de voir les femmes réduites à des « quotas », avec un effet contreproductif majeur : elles ne devraient leur présence dans les conseils d’administration qu’à leur sexe.
Toutefois, comme le rappelle l’étude menée par Hazal Atay (Sciences Po) et Anne Cornilleau (responsable d’études à l’Observatoire de la Philanthropie), la France a significativement amélioré l’équilibre femme/homme dans les conseils d’administration d’entreprise depuis l’entrée en vigueur de la loi (plus de 46% en 2021) et figure à ce titre en tête des classements mondiaux en la matière.
La philanthropie européenne devrait-elle donc s’en inspirer ? Cela ne fait aucun doute. La vocation des quotas est de faire appliquer des normes et des règles qui permettent de faire évoluer les mentalités et les pratiques sociales au sens large. Or, en France, la philanthropie n’est pas assujettie aux quotas. La part des femmes au sein des conseils d’administration, comme le montre l’étude de la Fondation de France, s’établit ainsi à 30%. De plus, les fondations qui s’approchent le plus de la parité relèvent de structures issues d’entreprises ayant transposé les dispositions de la loi de 2011 dans leur gouvernance. À l’inverse, en France comme ailleurs en Europe, les effectifs salariés du secteur philanthropique sont majoritairement féminins, avec une présence masculine d’autant plus forte que le niveau hiérarchique augmente. Les quotas ne sont certes pas une panacée, mais ils représentent sans doute un outil indispensable vers plus d’égalité, tout particulièrement dans les conseils d’administration.
Les quotas ne peuvent pas tout
C’est la raison pour laquelle nous pensons que les quotas devraient être limités dans le temps. Il importe à nos yeux de définir l’équité des genres sur les plans juridique et quantitatif, pour pouvoir atteindre plus d’égalité et de justice sociale (sans injonction de quotas). En d’autres termes, s’ils doivent durer assez longtemps pour faire évoluer les mentalités, les quotas ne doivent pas être considérés comme des mesures pérennes, mais comme des interventions correctives permettant de renforcer la diversité et l’inclusion.
« S’ils doivent durer assez longtemps pour faire évoluer les mentalités, les quotas ne doivent pas être considérés comme des mesures pérennes mais comme des interventions correctives permettant d’obtenir plus de diversité et d’inclusivité. »
Au demeurant, la parité ne se limite pas au seul équilibre femme-homme; cette notion appelle davantage de diversité et d’inclusion au sens large, à savoir diversité d’origines, expressions de genre, orientations sexuelles, situations de handicap, etc. Nous savons qu’il n’est pas toujours possible de recueillir des données pour chacune de ces catégories. Si, en France, les données liées au sexe peuvent être collectées, les statistiques liées à l’assignation d’une origine par exemple y sont interdites. Ces normes variant de pays en pays, ni l’égalité de genre ni la diversité plus largement ne peuvent advenir par la seule mise en place de quotas.
Ces derniers s’adossent en effet à des pratiques plus larges au sein des organisations, pour atteindre un meilleur équilibre. Il convient d’abord de faire évoluer les rapports de force et de veiller à une plus grande distribution des rôles et responsabilités. Il est ensuite essentiel aujourd’hui d’encourager le pluralisme, à savoir l’inclusion de toute personne, indépendamment de ses origines, orientations sexuelles, parcours et expériences de vie. Ces pratiques peuvent prendre de multiples formes : mandats limités dans le temps dans les conseils d’administration, création de processus de candidature ayant pour mission de promouvoir la mixité au sein de ces conseils, octroi des rôles de direction comme la présidence ou la trésorerie à des femmes et des minorités, ou encore l’instauration de formation DEI (Diversité Égalité Inclusion) afin de sensibiliser les membres des conseils d’administration, la direction, les personnels salariés ainsi que les bénévoles. Tout ceci bien sûr sans préjuger des compétences nécessaires à l’accomplissement des missions confiées.
Prendre l’initiative
Pour l’heure, il semble difficile d’imaginer une réglementation de l’Union Européenne qui imposerait des quotas de genre ou bien des quotas liés à la diversité, ne serait-ce que parce que ce domaine relève de la prérogative souveraine des États membres. Néanmoins, notre secteur – et ce aux plans national et européen - possède toutes les capacités pour réfléchir collectivement à des solutions pour un engagement plus fort en faveur de la parité et de la diversité. Par exemple, au-delà des échanges au sein de chaque organisation, il est important de participer aux nombreuses discussions que les réseaux européens comme internationaux animent sur ces sujets et d’encourager nos pairs à en faire de même. Apprendre des autres et échanger sur nos expériences constitue un atout majeur du secteur philanthropique aux niveaux national, européen et international. Pour aller plus loin, il pourrait être intéressant d’envisager en Europe des mesures au sein des réseaux philanthropiques eux-mêmes. Nous pourrions, par exemple, rendre systématique la collecte de données portant sur la composition femme-homme des conseils d’administration (et l’ensemble des composantes de l’organisation) des fondations membres et, le cas échéant, sur les autres critères de diversité. En effet, les données offrent une vision du terrain et l’occasion d’infléchir les pratiques : proposer des mesures n’est possible qu’à condition d’avoir un diagnostic objectif du secteur philanthropique européen.
Et si les réseaux de philanthropie européens décernaient à leurs membres un label européen unique témoignant de bons résultats en matière de parité et de diversité ?
C’est précisément parce que les perspectives d’une réglementation au niveau de l’Union Européenne semblent à ce jour très incertaines que des labels européens uniformisés et des chartes applicables au secteur de la philanthropie peuvent être encouragés. Nous savons, grâce à l’exemple d’autres secteurs, à quel point les labels peuvent être puissants. Ils sont non seulement des éléments déclencheurs d’action collective, mais également des facteurs de légitimation (et, inversement, de délégitimation). Et si les réseaux de philanthropie européens décernaient à leurs membres un label européen unique témoignant de bons résultats en matière de parité et de diversité ?
Certes, nous savons que la mise en place de mesures aussi multi-dimensionnelles prend du temps. Cependant, il est crucial d’entamer un virage pour plus d’égalité et de diversité dans le secteur philanthropique, tant pour sa cohérence que pour sa légitimité, alors qu’il œuvre pour plus de justice sociale et d’inclusion.