Skip to main content
Vous êtes fondateur
Vous êtes donateur
Vous êtes porteur de projet
Vous êtes fondateur
Vous êtes donateur
Vous êtes porteur de projet

« Les fondations sont peu nombreuses à s’engager dans les zones de guerre »

13 octobre 2024

Boris MartinBoris Martin © D.R.

Face à la multiplication des crises et des conflits dans le monde, Boris Martin, spécialiste de l’action humanitaire et rédacteur en chef de la revue Alternatives Humanitaires, partage son regard d’expert sur la place et le rôle des acteurs de la philanthropie en zones de guerre.

Quelles sont les spécificités de l’intervention en zones de guerre, notamment par rapport aux actions d’urgence suite à des catastrophes naturelles ?

En cas de catastrophe naturelle, c’est généralement un sentiment de fatalité qui domine et suscite une compassion unanime. De ce fait, les secours intérieurs se mobilisent et les secours extérieurs sont généralement les bienvenus. Il arrive néanmoins de plus en plus que les autorités des pays concernés revendiquent leur souveraineté « humanitaire » et refusent l’aide internationale. Malgré tout, l’intervention en situation de catastrophe dite naturelle est moins complexe d’un point de vue politique, logistique, sécuritaire, etc.

En zone de conflit, il y a déjà un enjeu politique : un conflit armé est le signe d’un échec. Intervenir dans un tel contexte est donc extrêmement sensible. Toute action peut être interprétée comme un soutien à l'une ou l'autre partie : si l’on intervient en Ukraine, c’est que l’on est contre la Russie, si l’on intervient à Gaza, c’est que l’on est contre Israël, etc.

Il y a ensuite la question de la sécurité des interventions qui nécessite des protocoles stricts et une évaluation continue des risques. Il faut aussi faire preuve d’une grande flexibilité, car la situation peut changer rapidement et de manière imprévisible. Enfin, l’accès aux populations dans le besoin est souvent restreint ou dangereux. Les besoins sont aussi plus complexes avec des aspects psychosociaux et de reconstruction sociale.

Tout cela nécessite de la part des organisations qui interviennent une expérience forte et des compétences directement en lien avec la situation. C’est le cas des organisations non gouvernementales et des agences des Nations unies. Elles sont soumises aux principes fondamentaux humanitaires et leur légitimité est reconnue par la plupart des États dans le monde. Cela n’empêche malheureusement pas certains États ou groupes armés de les discréditer, de les instrumentaliser, voire d’en faire des cibles. Cette hostilité croissante à leur égard contribue d’ailleurs à renforcer la prudence des fondations désireuses de s’engager : si les ONG elles-mêmes sont déjà visées par des attaques publiques ou physiques, on peut imaginer que l’action de fondations serait critiquée ou suspectée, avec des conséquences potentiellement néfastes pour elles et leurs équipes.

Comment les fondations peuvent-elles envisager leur intervention dans de tels contextes ?

Les fondations sont peu nombreuses à s’engager dans les zones de guerre. Néanmoins, elles peuvent intervenir de manière indirecte de plusieurs manières : tout d’abord, en privilégiant les partenariats avec des organisations locales bien établies et reconnues. Elles peuvent notamment contribuer à renforcer les capacités des partenaires locaux en matière de sécurité et de gestion des risques. Il faut aussi qu’elles adoptent des processus de décision et de financement plus flexibles pour répondre rapidement aux changements de situation, et que les systèmes de suivi et d'évaluation soient adaptés aux contraintes du terrain. Dans tous les cas, il est important qu’elles agissent en respectant les principes humanitaires fondamentaux pour ne pas se mettre en danger ni perturber l’écosystème humanitaire global.

Parmi les fondations qui s’engagent dans les zones de conflits, on peut citer le réseau de fondations lancé par Georges Soros, Open Society Foundations, et la Fondation de France qui agit depuis deux ans en faveur des populations touchées par la guerre en Ukraine. Il y a aussi la Ukraine Solidarity Foundation, créée par la Fondation de Luxembourg pour apporter des soutiens d’urgence aux victimes de la guerre en Ukraine et dans les zones limitrophes, ou encore la Fondation Pierre Fabre qui a contribué à la mise en place d’un centre de prise en charge des victimes de violences sexuelles au Sud-Kivu, en République démocratique du Congo. Le pays est en quasi-guerre permanente depuis des années, avec une instabilité permanente qui donne lieu à de très nombreuses violences sexuelles, dont des viols de masse.

Comment l'action des fondations s'articule-t-elle avec celle des organisations humanitaires ?

Fondations et acteurs humanitaires traditionnels agissent de manière complémentaire. Les fondations peuvent apporter un soutien financier plus flexible et à plus long terme que les soutiens institutionnels classiques. En ce sens, elles répondent à l’attente des ONG d’obtenir davantage de financements dans des contextes de plus en plus exigeants et sous-financés. Les fondations peuvent aussi se concentrer sur des domaines complémentaires comme le renforcement des capacités locales ou le soutien à l'innovation. Elles peuvent aussi jouer un rôle d’intermédiation entre différents acteurs comme les ONG et les autorités locales.

Quelles sont les spécificités de l’intervention en Ukraine ?

Il faut d’abord rappeler que l’Ukraine n’est pas un État « défaillant ». Avant la guerre, il bénéficiait d’un système de soins organisé, d’une société civile forte avec des associations qui s’étaient souvent constituées dès 2014. C’est un pays en guerre où le système de santé et social « tient le coup ». Dès lors, les fondations comme les ONG internationales interviennent souvent en soutien à des structures existantes.

Ensuite, c’est un conflit armé international, entre deux États, et non une guerre civile. Je le précise car cela permet à des fondations d’intervenir plus facilement en soutien : elles ne se retrouvent pas au milieu de forces hostiles à l’intérieur même du pays, avec des alliances qui se font et se défont d’un jour à l’autre. Mais cela signifie aussi que, du fait de l’élan patriotique, c’est toute une société qui est tournée vers un ennemi commun, la Russie. Cela demande aux fondations étrangères qui interviennent d’une manière ou d’une autre de bien choisir leurs partenaires et de savoir imposer leurs conditions. Par exemple en exigeant un traitement équitable des populations, quelles que soient les « préférences » réelles ou supposées de ces dernières, pro-russes ou pro-ukrainiennes.

Quel rôle peuvent avoir les fondations après la guerre, au moment de la reconstruction ?

C’est sûrement la phase durant laquelle on attend le plus des fondations, sans doute avec celle qui précède les guerres : les fondations à l’image de celle de Georges Soros travaillent beaucoup pour contribuer à structurer des sociétés civiles ou même des institutions publiques afin d’éviter que ces pays ne basculent dans des conflits. Lorsque, malheureusement, la menace se réalise, et en dehors de ce qui peut être fait « pendant la guerre », on constate généralement une implication accrue des fondations durant la phase de reconstruction : les risques sécuritaires sont réduits et l'accent peut être mis sur le développement à long terme (éducation, santé, gouvernance, relance économique).

Les fondations jouent aussi souvent un rôle de catalyseur, en attirant d'autres financements et en promouvant des approches innovantes, que ce soit en termes de technologies ou de processus de concertation démocratique par exemple. Enfin, elles peuvent se concentrer sur des aspects négligés par les grands programmes de reconstruction, comme le patrimoine culturel ou le soutien psychosocial. La reconstruction est souvent un « angle mort » des programmes d’aide : les États concernés sont très affaiblis, les ONG ne sont pas compétentes en la matière, les coûts sont faramineux. Il est donc bienvenu d’avoir des fondations en appui, dès lors que ces dernières interviennent dans un véritable esprit de philanthropie et dans le respect de codes éthiques que, de plus en plus, les ONG ont élaboré pour encadrer leurs rapports avec des acteurs privés.

 

Boris Martin est rédacteur en chef de la revue Alternatives Humanitaires. Après des études de droit et d’anthropologie juridique, il s’est engagé dans la recherche universitaire, l’écriture et l’action humanitaire. Il a publié plusieurs ouvrages consacrés à l’action humanitaire dont L’Adieu à l’humanitaire ? Les ONG au défi de l’offensive néolibérale, Éditions Charles Léopold Mayer, 2015.

Le 18 octobre prochain, il publiera un récit « personnel, social et littéraire », J’étais du Bataillon des enfants perdus, aux éditions Le bord de l’eau.

Toutes les paroles d'expert


POUR ALLER PLUS LOIN

→ Solidarité Ukraine