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Maja Spanu : « En France, la philanthropie atteint un stade de maturité qui génère de l’engagement »

6 avril 2022

Maja Spanu, responsable de la mission philanthropie et des affaires internationales à la Fondation de FranceMaja Spanu est responsable de la mission philanthropie et des affaires internationales à la Fondation de France. Elle revient sur les principaux enseignements du baromètre de la philanthropie 2022, et livre une analyse sur la croissance des fondations abritées depuis 20 ans.

Quels sont les principaux enseignements du baromètre 2022 ?

Cette nouvelle édition du baromètre met en lumière une vraie mobilisation du secteur philanthropique dans le contexte de crise sanitaire, un engagement rapide et fort qui se poursuit. Cette crise a agi comme un catalyseur pour le secteur, dont la croissance est portée par la création de fondations et de fonds de dotation (+ 6 % en 2021 après + 5 % en 2020). Du côté de la Fondation de France, 46 nouvelles fondations abritées ont été créées en 2021. Les entreprises se sont fortement mobilisées avec des dons en nature, du mécénat de compétences, des dons financiers. Certaines ont décidé de poursuivre leur engagement en créant une fondation. De manière plus globale, la générosité en France demeure très importante.

Quel poids économique la philanthropie représente-t-elle dans notre pays ?

En 2020, les fondations représentent 32 milliards d’euros d’actifs et presque 12 milliards d’euros de dépenses, c’est un poids très important qui équivaut au budget de certains ministères !

Malgré la crise sanitaire, ces dépenses importantes n’ont pas connu de baisse notable en 2020.

Quelle est l’évolution du secteur depuis 20 ans ?

La croissance de la philanthropie sur les 20 dernières années est très forte. Le nombre de fondations a été multiplié par 2,5 – 1 100 fondations étaient actives en 2001, 2 800 en 2021. Le nombre de fondations abritées a triplé, passant de 571 à près de 1600. Les fondations créées par des entreprises sont six fois plus nombreuses qu’il y a 20 ans !

Notons aussi la croissance exponentielle des fonds de dotation, avec la création de près de 2200 structures en activité en 10 ans. Les fondations reconnues d’utilité publique sont en revanche en moindre progression, ce qui s’explique par la procédure de création plus complexe.

Autre indicateur de la montée en puissance du secteur de la philanthropie : les actifs et les dépenses des fondations ont été multipliés par quatre en 20 ans.

Comment expliquer cette évolution ?

En France, nous atteignons un stade de maturité du secteur, qui entraîne des logiques d’émulation. La philanthropie a fait ses preuves, elle donne confiance, génère de l’engagement. Les dispositifs légaux, fiscaux, juridiques des années 2000 ont facilité la mise en place de ce cercle vertueux.

Cette évolution s’explique en partie aussi par le développement de la responsabilité sociétale des entreprises, la création d’une fondation étant une manière de s’engager durablement.

Quel impact la crise Covid a-t-elle eu sur l’activité des fondations ?

L’impact a été inégal : les fondations aux budgets les moins élevés (moins d’un million d’euros de dépenses annuelles) ont été les plus touchées. Soit parce qu’elles n’ont pas pu réaliser de collecte d’urgence, ou bien parce qu’il s’agit de structures opératrices dont l’action a été limitée par les restrictions mises en place pour lutter contre l’épidémie (par exemple les fondations de musée).

Les fondations disposant d’importants budgets (plus de 10 millions d’euros de dépenses annuelles) ont en revanche connu une forte hausse de leurs ressources, et plus encore de leurs dépenses, ce qui traduit leur forte mobilisation pendant la crise Covid.

Ce contexte a aussi eu un effet sur la mission même des fondations. Beaucoup d’entre elles ont revu leur stratégie d’action durant cette période afin de répondre mieux aux enjeux nouveaux ou exacerbés par la crise. Nous en verrons les conséquences dans les mois et les années à venir : quelles causes soutenir en priorité ? Quels leviers d’action choisir ? Toute une réflexion a émergé sur la nécessité de soutiens plus structurels et plus durables aux porteurs de projets, tout en maintenant la capacité d’agir dans l’urgence quand c’est nécessaire.

Qui sont les nouveaux philanthropes ? Quelles sont leur motivation ?

Il y a parmi les nouveaux fondateurs de nombreuses entreprises, des PME notamment : elles ont apporté un fort soutien aux associations mobilisées pour répondre à l’urgence Covid, en lien avec leur stratégie RSE et en cohérence avec l’engagement qu’elles souhaitent renforcer tant en interne vis-à-vis de leurs collaborateurs qu’à l’externe, pour leurs clients.

D’autre part, on voit des fondateurs de plus en plus jeunes, aux profils hybrides, issus du monde de l’entreprise, avec parfois une expérience internationale (qui n’est d’ailleurs en rien incompatible avec la volonté d’agir à l’échelle locale). Le contexte socio-politique actuel, français et européen, marqué par des enjeux structurels majeurs comme le dérèglement climatique, la fragmentation de la société, les inégalités croissantes… suscite leur engagement. Ils n’entendent pas agir en silo mais considèrent au contraire les sujets de façon transversale – tant sur les racines des problèmes que sur leurs conséquences, mais aussi sur les réponses à apporter.

Enfin, un certain nombre de nouvelles fondations résultent d’un dialogue au sein de familles qui veulent s’impliquer pour l’intérêt général, et constituent un projet intergénérationnel.

Les profils de ces fondateurs expliquent le succès du modèle de fondation abritée, qui permet de faire partie d’un réseau, de bénéficier d’un accompagnement et d’une expertise. C’est un cadre d’action qui génère de la confiance.

Quels domaines investissent-ils le plus ?

Le profil de ces nouveaux fondateurs, imprégnés des débats sociétaux, veulent agir pour la justice sociale, sur les questions de parité, de diversité… On retrouve en tête des domaines d’intervention des fondations et fonds de dotation l’action sociale, suivie par la santé et la recherche médicale. L’éducation arrive en troisième position. Les sujets environnementaux connaissent par ailleurs une forte progression. Nous retrouvons ces mêmes tendances parmi les nouvelles fondations abritées à la Fondation de France.

 Selon vous, que traduit cet engouement pour la philanthropie ?

Cet essor traduit la volonté d’avoir un impact positif sur la société, de s’investir pour rendre le monde plus juste et plus durable. Il y a aussi de plus en plus de réflexions sur la capacité de la philanthropie à repenser et à changer les règles du jeu. Cette vision était très présente à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, quand la distinction entre charité et philanthropie s’est opérée. La philanthropie laïque avait vocation à s’attaquer à des enjeux de société et à améliorer durablement le bien-être des populations. On avait perdu cette vision très englobante, avec une forme de néo-libéralisation de la philanthropie pensée pour répondre à des besoins très spécifiques, et tournée vers l’efficacité. Si la notion d’efficacité demeure centrale, on retrouve cette aspiration de la philanthropie à agir à la racine des problèmes, à faire évoluer en profondeur la société, notamment à travers la notion de changement systémique. Nous ne sommes plus dans une cause / une conséquence, la philanthropie entend aujourd’hui embrasser toute la complexité des enjeux sur lesquels elle intervient.

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