4 questions à Laurence de Nervaux
« La philanthropie, de l’individuel au collectif »
Comment expliquez-vous le fort développement des réseaux philanthropiques ?
La croissance du secteur philanthropique a généré un besoin de structuration, ce qui explique la multiplication des réseaux philanthropiques ces dix dernières années. Sources de socialisation, de professionnalisation et de montée en compétences, de nombreuses organisations ont vu le jour au niveau local, national et international. Mais aujourd’hui, l’objectif initial de structurer le secteur a été en grande partie atteint. Les réseaux sont donc confrontés à une sorte de crise identitaire. Certains de leurs membres déplorent leur dimension élitiste et parisiano-centrée. D'autres mettent en cause leur valeur ajoutée, et déclarent préférer les échanges en petit comité visant des coopérations restreintes, plutôt que les grands rassemblements.
Or, dans un contexte de plus en plus complexe, le rôle de plaidoyer et de porte-parole que jouent les réseaux reste primordial. De plus, la fréquentation des réseaux permet aux membres de développer une culture commune dans un climat de confiance, qui constitue précisément le socle de coopérations solides et fructueuses. La clé de la redynamisation des réseaux est sans doute une réappropriation par les membres, et le passage d’une logique de consommation à une logique de contribution, où chacun y gagne.
Quels sont aujourd’hui les déterminants de l’action collective en philanthropie ?
Les bénéfices escomptés de l’action collective sont nombreux (enrichissement de l'expertise, mutualisation de ressources, démultiplication de l'impact), mais cela ne va pas de soi : l’identité du fondateur et de la fondation déterminent en grande partie la propension à l’engagement collectif. Par exemple, les nouvelles générations de fondations nées dans les années 2000, les « fondations millennials », sont souvent imprégnées d’une culture de l’inclusion, et sont plus enclines à rejoindre ou à développer des initiatives collectives. Par ailleurs, dans un contexte de plus en plus globalisé, l’ampleur de certaines thématiques appelle plus systématiquement des approches collectives : les causes comme l’environnement, le développement international, la lutte contre la radicalisation ou la question migratoire ne peuvent être traitées efficacement que si elles sont prises en charge collectivement.
Mais que ce soit pour du co-financement ou de la co-construction de projets, s’engager dans le collectif demande du temps, et les résultats ne sont pas visibles à court terme. Ce « trade-off » en termes d’efficacité est difficile à accepter pour certaines fondations dont les ressources humaines et économiques sont limitées. Les enjeux d’images voire d’ego sont parfois aussi un frein aux dynamiques collectives : la crainte de voir son identité dissoute dans une collaboration limite l’engagement concret. Cela conduit parfois à des coopérations peu nombreuses mais approfondies et durables avec des partenaires sélectionnés avec précaution.
Comment caractériser l’évolution des relations entre les fondations et leurs bénéficiaires, et que dire du phénomène de co-construction ?
Les relations traditionnelles entre bailleurs et récipiendaires d’une aide financière tendent à se renouveler profondément : la logique verticale et unilatérale fait place peu à peu à une logique de partenariat, d’échange – la co-construction – motivée par la prise de conscience que c’est en connaissant en profondeur les besoins et les attentes de ses bénéficiaires qu’un financeur peut être le plus efficace possible, et donc optimiser sa propre action.
Si le terme est souvent galvaudé ou utilisé de manière abusive, une véritable co-construction est proactive : il ne suffit pas de constater a posteriori qu’un projet rassemble divers acteurs, il faut y travailler dès la conception. Dans ce nouveau modèle, la fondation peut même devenir l’initiateur et l’artisan de rapprochements entre ses propres bénéficiaires. Mais cette forte implication de la fondation présente des limites : celle de l’illusion d’une relation égalitaire, qui resterait en fait déséquilibrée par la dimension financière, mais aussi le risque d’une philanthropie trop intrusive, menaçant l’autonomie des associations.
Quelle est la nature des relations entre les fondations et le secteur public ?
Traditionnellement, l’État est garant de l’intérêt général en France, mais il n’est pas pour autant un partenaire naturel pour les acteurs philanthropiques. Les fondations manifestent en général une certaine distance vis-à-vis de la sphère publique, et leur soif d’autonomie rend parfois les philanthropes réticents à diluer leur action dans celle de l’État. Si les fondations les plus importantes ont des facilités à se faire connaître et reconnaître comme des partenaires légitimes, pour les petites fondations, majoritaires en France, trouver un interlocuteur public réceptif semble souvent compliqué. En revanche, sur les thématiques où les pouvoirs publics ont un rôle central, telles que l’éducation ou le monde carcéral, les liens entre les acteurs philanthropiques et la sphère publique sont plus systématiques.
Étude - la philanthropie, de l'individuel au collectif
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