En 2022, 11 millions de personnes se sentent seules. La Fondation de France publie la 12e édition de l’étude Solitudes
Intitulée « Regards sur les fragilités relationnelles », l’étude Solitudes 2022 de la Fondation de France a été menée en collaboration avec une équipe de recherche (Cerlis et Audencia) et le Crédoc. Cette édition s’enrichit d’un volet qualitatif, explorant les chemins d’entrée en solitude et les voies permettant d’en sortir. Même si l’isolement a reculé en un an, le sentiment de solitude reste élevé : il touche 11 millions de personnes en France, soit 20 % de la population de plus de 15 ans.
L'isolement relationnel objectif 1 est revenu à son niveau d’avant la pandémie
- Aujourd’hui, 11 % des plus de 15 ans se trouvent en situation d’isolement relationnel, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucun ou très peu de contacts physiques avec d’autres personnes ; un niveau qui correspond à celui d’avant la crise sanitaire.
- Cette proportion a diminué de 13 points depuis Une diminution qui peut s’expliquer par un effet de rattrapage à court terme, pour « compenser » les restrictions de ces deux dernières années.
- Une constante : la proportion de personnes isolées varie considérablement en fonction de leur situation économique.
→ Parmi les personnes à bas revenus, 15 % sont isolées, versus 8 % au sein de la catégorie « hauts revenus ».
→ Le chômage aggrave la situation d’isolement social, particulièrement après la crise sanitaire : 21 % des personnes au chômage sont isolées en 2022 alors qu’elles étaient 18 % en 2020. Les chômeurs souffrent deux fois plus d’isolement relationnel que les actifs en poste.
Évolution de la part de personnes isolées selon la situation sur le marché du travail
Le sentiment de solitude est ressenti par 20 % de la population de plus de 15 ans : un chiffre qui ne baisse pas malgré la fin de la pandémie
En 2022, une personne sur cinq se sent régulièrement seule et l’existence d’une vie sociale ne protège pas du sentiment de solitude : 17 % des personnes objectivement entourées, disposant de deux réseaux de sociabilité ou plus, affirment se sentir seules « tous les jours ou presque » ou « souvent ».Le sentiment de solitude fait souffrir 80 % de ceux qui l’éprouvent
Parmi les personnes se sentant régulièrement seules, 8 sur 10 vivent leur solitude comme une épreuve, soit 9 millions de personnes en France.Réponses à la question : « Souffrez-vous du fait de vous sentir seul ? »
Une solitude aux formes très diverses : focus sur les témoignages de ceux qui la vivent
Parce que la solitude est un phénomène pluriel, la Fondation de France a développé une approche qualitative pour donner la parole aux personnes confrontées à la solitude, personnellement ou professionnellement.
Exemples de témoignages :
→ La solitude de la mère au foyer
Béatrice, 48 ans, mère au foyer, mariée à un cadre, deux enfants, souffre d’un sentiment de solitude, qu’elle explique par la non reconnaissance de son investissement au sein de la famille et auprès des autres. Du fait de sa situation sociale favorisée, elle a de grandes difficultés à révéler sa fragilité :
« Je n’en parle pas autour de moi et finalement je suis seule face à mes problèmes […] Il y a des moments où je me sens plus seule alors qu’il y a du monde autour de moi. Pour moi, la solitude c’est ne pas se sentir épaulée et reconnue ».
→ La solitude « volontaire » liée à un moment de vie
Julie, 46 ans, chercheuse, séparée, deux enfants, qualifie sa solitude de « volontaire ». Face à un événement traumatisant (maladie grave, expérience carcérale, ou encore « coming out » difficile…), certains se replient sur eux-mêmes pour éviter la confrontation avec autrui, perçue comme douloureuse. Cette solitude peut parfois permettre de se reconstruire, de réfléchir :
« J’ai travaillé sur la solitude, mais la solitude m’a aussi permis de travailler sur moi […] Quand tu es en couple c’est plus difficile de travailler sur soi et quand t’as rien, tu n’as plus rien à perdre, tu es plus courageux quelque part ».
La solitude : une expérience qui traverse l’existence, temporairement ou définitivement
La solitude s’installe par étapes, à différents moments de la vie, souvent à la suite d’un enchaînement d’événements douloureux qui fragilisent le tissu relationnel de l’individu. Cette « entrée en solitude » se transforme parfois en « solitude installée ».
→ C’est par exemple le cas des personnes accompagnées par l’association l’Olivier des Sages, à Lyon2 : un public vieillissant et migrant, essentiellement des hommes ayant quitté jeunes leur pays, et « ayant toute leur vie joué le rôle de « père portefeuille » pour leur famille, avec qui ils n’entretiennent plus d’autre lien », précise Zorah Ferhat, directrice de l’association.
D’autres solitudes s’avèrent transitoires, et dans ces cas, le suivi par une association peut s’avérer précieux pour rompre l’isolement. L’engagement dans une activité bénévole est également souvent mentionné comme un moyen de renouer avec des sociabilités, de se sentir valorisé dans une posture d’aidant.
Comment mieux lutter contre la fragilisation des liens sociaux ?
Tous les acteurs associatifs interrogés dans le cadre de l’enquête s’accordent sur un point : leur secteur est fortement fragmenté, puisque leur action s’exerce en général au profit d’une catégorie de publics spécifiques (jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance, personnes sortant de prison, personnes âgées isolées ou jeunes en rupture de liens à cause de leur orientation sexuelle, etc.). Tous souhaitent la mise en œuvre de coopérations inter-associatives, par exemple via la création de partenariats ou de groupes de paroles entre professionnels.
Plus largement, les acteurs associatifs souhaitent encourager l’émancipation et la confiance des personnes concernées dans les approches d’accompagnement, notamment par leur participation active aux projets associatifs.
La solitude devrait être considérée comme une partie intégrante et transverse de toutes les actions de solidarité, et non comme une thématique relevant uniquement de la santé ou concernant des catégories de population spécifique.
Pour une approche transversale du lien social, il est nécessaire de favoriser le dialogue et la coopération entre les différentes parties prenantes : structures associatives, secteur philanthropique, pouvoirs publics et monde de la recherche.
Depuis 2010, la Fondation de France et l’Observatoire de la philanthropie explorent le phénomène d’isolement social et relationnel par la réalisation d’études quantitatives et qualitatives annuelles. Méthodologie de l’enquête Solitudes 2022 :
- L’approche quantitative : l’enquête quantitative a été réalisée du 21 décembre 2021 au 14 janvier 2022, auprès de 3 392 internautes résidant en France (France métropolitaine, Corse et DROM), représentatifs de la population de 15 ans et plus. Les questions de la Fondation de France ont été insérées dans le dispositif permanent d’enquête Conditions de vie et aspirations des Français mené par le Credoc. L’échantillon a été interrogé par questionnaire auto-administré.
- L’approche qualitative : le terrain d’enquête s’est déroulé d’avril à septembre 2022. Il a couvert Paris, sa proche périphérie ainsi que des territoires situés en région à Nantes, Lyon et Amiens notamment, en zone urbaine et en zone rurale. La population enquêtée dans cette recherche est double. Elle renseigne à la fois le point de vue des professionnels associatifs qui œuvrent pour le maintien du lien social et le vécu des personnes seules ou isolées.
Exemples d’actions de la Fondation de France pour faire face à ce fléau
La Fondation de France poursuit plus que jamais ses actions pour lutter contre l’isolement relationnel et pour la revitalisation du lien social. Pour rompre la spirale de l’isolement, elle agit sur les principaux facteurs aggravants de l’isolement : les problèmes de logement, la mobilité, l’accès à l’emploi, les difficultés liées aux parcours migratoires, la création de lieux d’écoute ou de répit, la lutte contre le décrochage scolaire, l’accès au numérique, etc.
→ Un toit en entreprise pour les personnes sans-abri
Les Bureaux du cœur (initialement basé à Nantes avec essaimage dans plusieurs grandes villes en France) : propose à des personnes en parcours de réinsertion d’être accueillies au sein d’entreprises partenaires, pour qu’elles retrouvent un cadre de stabilité et recréent du lien avec le monde du travail.
→ Un réseau de cantines de quartier qui crée du lien
Les petites cantines (national) : rassemble dans un même quartier des personnes aux origines et aux parcours de vie très différents, dans le but de préparer et partager un repas.
→ Un mentorat sur-mesure pour les jeunes majeurs en difficulté
Tirelires d’avenir (Paris) : aide les jeunes majeurs en rupture familiale à se réinsérer dans la vie socio-professionnelle, à travers un soutien financier et un programme de mentorat de six mois mené par un jeune du même âge.
→ Un fablab pour entreprendre ensemble
La Machinerie (Amiens) : favorise l’insertion professionnelle des décrocheurs scolaires et des personnes éloignées de l’emploi en les initiant aux nouveaux métiers numériques comme l'impression 3D ou la découpe au laser.
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1 La Fondation de France mesure l’isolement relationnel en prenant en compte les contacts avec cinq réseaux de sociabilités : la famille extérieure au foyer, les amis, les voisins, les collègues de travail et les membres d’une association, d’un groupe. Sont considérées comme isolées objectivement les personnes ne rencontrant jamais physiquement les membres de l’ensemble de ces réseaux, ou les rencontrant quelques fois dans l’année ou moins souvent.
2 L’association L’Olivier des sages est soutenue par la Fondation de France