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Tribune - Pourquoi l’agriculture africaine doit-elle radicalement changer de modèle ?

25 février 2019

Émile Frison est membre du panel international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food). Christine Frison est chargée de recherche à l'Université d'Anvers et à l'Université catholique de Louvain. Tous deux participent, du 26 au 28 février, au séminaire international organisé à Paris par la Fondation de France et le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI) : « Consommer Local : l'avenir de l'alimentation en Afrique de l'Ouest ».

L’Afrique, championne de la croissance ? Oui, sur le papier : le PIB du continent augmente de 4 % par an en moyenne, avec des pointes à 8 ou 9 % dans certains pays [1]. Pour autant, le problème alimentaire ne fait qu’empirer : 257 millions d’Africains souffrent de la faim, des centaines de millions de personnes présentent des carences en micronutriments. En parallèle, on compte aujourd’hui en Afrique 75 millions d’adultes obèses et 10 millions d’enfants de moins de 5 ans en surpoids. Résultat : les maladies induites sont devenues la principale cause de mortalité sur le continent. Cette situation alarmante résulte d’une combinaison de facteurs liés à l’évolution de l’agriculture et des régimes alimentaires, qui découlent largement de la colonisation puis de la mondialisation.

La colonisation a mis l’accent sur les cultures de rente pour l’exportation (café, cacao, palme, hévéa, coton…) au dépens des productions vivrières. Parmi la grande diversité de cultures vivrières africaines, les investissements en recherche et développement se sont focalisés sur quelques-unes (maïs, riz, manioc...), riches en énergie mais pauvres en nutriments. Egalement, les changements de régime alimentaire, influencés par la mondialisation et l’urbanisation, ont accentué la surconsommation d’aliments riches en calories mais pauvres en nutriments. Ce qui a conduit à la situation actuelle, combinant sous-nutrition pour les uns et surpoids pour les autres.

Il est urgent de faire face à ces défis et de repenser en profondeur les modèles de production agricole en Afrique. Le modèle encore trop souvent proposé (par les grands bailleurs de fonds, l’agro-industrie et les investisseurs privés), basé sur une agriculture « industrielle » centrée sur quelques espèces et l’utilisation intensive d’intrants chimiques, a montré ses limites, avec des conséquences désastreuses pour l’environnement, la santé et l’équilibre sociétal.

Pour répondre aux besoins d’aujourd’hui, ce modèle industriel doit laisser la place à des systèmes agroécologiques diversifiés, capables de relever simultanément les défis économiques, environnementaux, sociaux, nutritionels et de santé. Ces systèmes sont basés sur des principes écologiques : utiliser la diversité et les synergies entre espèces, améliorer les sols par l’apport de matière organique, maintien d’un couvert végétal toute l’année, recyclage, etc. La solidarité entre producteurs et consommateurs est au cœur de ces pratiques, recréant du lien ainsi qu’une responsabilité collective. De nombreux exemples de transition écologique portés par des initiatives locales et collaboratives en Afrique et ailleurs montrent la voie à suivre, comme en témoignent les publications récentes de l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique, de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation, ou d’IPES-Food.

Malgré ce terreau fertile de solutions adaptées aux réalités locales, ces initiatives de transition se heurtent aux blocages que constituent les politiques agricoles centrées sur l’augmentation de la production de quelques cultures destinées à l’exportation, faisant appel à des subventions pour des intrants chimiques et favorisant les grandes exploitations aux dépens des petites fermes familiales. Ces blocages sont renforcés par l’action des lobbies d’une poignée de grandes firmes agro-chimiques auprès des gouvernements africains, mais aussi auprès de certains grands bailleurs de fonds d’aide au développement.

Il est urgent de renverser ce rapport de force qui fige les systèmes alimentaires dans un modèle inadapté et dépassé, afin de permettre leur indispensable transformation.

Porté par la Fondation de France et le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI) depuis 10 ans, le programme Promotion de l’Agriculture familiale en Afrique de l’Ouest soutient une multitude de dynamiques qui construisent cette transition. Par exemple, un projet du Centre d’écoute et d’encadrement pour le développement durable (CEEDD), initié notamment par Oumy Seck, sa présidente, développe la microagriculture urbaine à Thiès au Sénégal. Il permet à la fois de valoriser les larges cours des maisons sous la forme de jardins horticoles pour produire des légumes, des fruits et des plantes aromatiques, et de favoriser l’autonomie en particulier des femmes confrontées à la pauvreté et au chômage.

Seul le déploiement de pratiques agricoles diversifiées et écologiques, portées par les innovations co-développées avec les communautés paysannes, mettant la priorité sur l’alimentation locale et sur l’économie circulaire et solidaire, sera capable de relever les défis auxquels l’Afrique fait face aujourd’hui.

Dr Emile Frison, Membre du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) et ancien directeur général de Bioversity International

Dr Christine Frison, Chargée de Recherche, Université d’Anvers et Université catholique de Louvain

Tribune publiée initialement sur le site des Echos le 25 février 2019


1. Source : Banque Mondiale 2018