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« Care Design » : beau et inclusif à la fois !

26 décembre 2021

Comment les objets, les formes, les couleurs… peuvent-ils aider les personnes vulnérables à vivre pleinement, à préserver leur autonomie, à être en lien avec les autres ? C’est la question au cœur du mouvement du « care design ». Depuis 5 ans, des initiatives émergent…soutenues par la Fondation de France.

Enfiler une chemise le matin, se servir un café, noter sa liste de courses, s’orienter et circuler dans son quartier… ces quelques actions de routine peuvent devenir, pour certains, un véritable casse-tête. Car les objets et le cadre de vie du quotidien sont pensés et produits pour un consommateur ou un usager en pleine possession de ses moyens. Or, des millions de personnes (personnes âgées, souffrant d’une maladie chronique, de troubles psychiques, handicapées moteur, femmes enceintes…) se heurtent à des difficultés plus ou moins importantes, dans leur vie quotidienne.

Certes, des solutions ont été développées pour compenser les handicaps majeurs- fauteuils roulants, cannes, etc. Mais elles sont généralement pensées sans la participation des personnes concernées, standardisées et sans ambition esthétique. Or dans un monde où l’image est prépondérante, la laideur devient aussi un facteur d’exclusion ! Depuis quelques années, le secteur du design s’intéresse à ces questions, avec une approche et des exigences spécifiques : penser en même temps ergonomie et style, et le faire non seulement pour les usagers, mais avec eux. C’est ce qu’on appelle le « Care Design », ou design du « prendre soin ». 

Jeunes talents au service du « care »

Au travers de différents programmes et bourses, la Fondation de France est à l’écoute de ces initiatives. Et notamment aux côtés de la nouvelle génération de designers, grâce aux bourses Déclics Jeunes, qui apportent à des jeunes de 18 à 35 ans, un soutien financier et méthodologique, pour développer un projet d’intérêt général. Comme Eva Hardy, lauréate 2018 qui a développé un projet de service à thé adapté aux personnes souffrant de tremblements. Agée de 25 ans à l’époque, Eva suivait une formation de designer à l’Ecole européenne supérieure d'art de Rennes. « Je suis moi-même atteinte d’un « syndrome de tremblement essentiels » et j’ai eu des engagements associatifs dès l’adolescence… Bref, tout mon parcours personnel et familial m’a préparé au Care Design ! raconte-t-elle. La bourse Déclic Jeunes m’a permis de finaliser la conception des pièces, de donner de la visibilité à mon projet, et de contacter des artisans pour préparer le prototypage et la mise en fabricationAvec une préoccupation également environnementale : le service sera en céramique et non en plastique » Aujourd’hui, Eva poursuit un parcours de recherche. Sujet de son doctorat : le design au service des soins du corps et du bien-être en Ehpad. Entre temps, elle a aussi rencontré Célia Guye, lauréate de la bourse Déclics Jeunes 2021.

Également issue de l’école de design de Rennes, Célia a développé un projet d’aides à l’écriture. Mené en coopération avec une ergothérapeute, ce projet a été conduit pour et avec des patients en rééducation, après un accident ou dans le cadre d’une maladie chronique. « Retrouver la capacité à tenir et manipuler un stylo est un enjeu d’autonomie majeur », souligne-t-elle. Les outils qu’elle conçoit sont parfaitement adaptés à chaque difficulté (problème nerveux, perte de sensibilité, déficit musculaire…), mais sont aussi esthétiques, comme des bijoux. Cette expérience lui a permis de formaliser un projet complet : proposer aux centres de rééducation des interventions ponctuelles de « care design », grâce à une imprimante 3D permettant de fabriquer des petites séries. La démarche s’appuie sur sa méthode de co-conception impliquant les patients et les soignants, et permet de faire du sur-mesure en adaptant une bibliothèque d’objets et d’outils.

accessoire ecriture© Alexandre Texier

Ensemble, Eva et Célia ont créé une association, Studio Stimuli, pour développer des produits et répondre à des appels à projets à l’interface santé/design !

Quand le design crée du sens… et des liens

Si le domaine de la mobilité et de la motricité occupe une part importante des care-designers, le champ de la communication et du lien social offre aussi un terrain d’expérimentation essentiel. Le programme Humanisation des soins de la Fondation de France soutient par exemple une démarche de design centrée sur… l’hospitalité à l’hôpital ! Portée par le lab-ah (laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité, rattaché au Groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences), le projet s’est d’abord attaché à recueillir l’expérience vécue par les personnes accompagnant les malades, dans le bâtiment des neurosciences. « Ces entretiens ont fait apparaître plusieurs irritants, expliquent Marie Coirié et Benjamin Salabay, designers au lab-ah. Les accompagnants avaient le sentiment de recevoir une masse d’information, au moment de l’admission, impossible à mémoriser et souvent formulée de manière négative – au travers d’injonction et d’interdits. Ils exprimaient aussi le besoin de s’isoler au cours des visites, pour souffler au calme. Les salles d’attentes, trop vastes, trop impersonnelles, ne remplissent pas ce rôle. » Forts de ces constats, l’équipe se forge deux convictions. « D’une part, ces problèmes, anodins en apparence, nourrissent des tensions entre malades, proches et soignants… qui minent le quotidien. Et d’autre part, les solutions doivent s’inventer avec les soignants. » L’équipe a donc proposé des ateliers d’écriture aux soignants, ateliers qui ont permis de repenser tout le parcours d’information des patients et de leur entourage : mettre à disposition la bonne information, au bon endroit, dans une forme (mots, couleurs, images…) bienveillante… évite de nombreuses frictions. Ou encore en concevant des « alcôves », en différents points du service, permettant aux accompagnants de se ménager un temps de retrait réparateur. L’expérimentation-pilote soutenue par la Fondation de France va bien au-delà de sa mise en œuvre au sein d’un bâtiment. Elle inspire la conception des futurs bâtiments du GHU, qui sortiront de terre en 2023. Elle nourrit la réflexion managériale (comment intégrer la question de l’accueil dans la formation et le management des soignants), et constitue la base d’un travail de recherche mené par les étudiants de l’Ecole des cadres de santé. « Le design est un exercice à la fois matériel et culturel, revendiquent Marie Coirié et Benjamin Salabay. Nous ne fabriquons pas un décor, des formes et des couleurs… mais du sens, et du lien social ! Des outils dont les professionnels peuvent se saisir, pour faire vivre durablement cette attention à l’hospitalité. »

chambre

Du prototype à la grande série

Expérimenter pour modéliser des solutions à grande échelle : cette préoccupation du lab-ah est partagée par Muriel Robine, créatrice de l’association Cover Dressing, soutenue en 2021 par le programme Handicap de la Fondation de France. Sa vocation pour le Care Design s’est forgée au fil de ses expériences d’élue locale, en charge de la délégation au handicap. Aujourd’hui, elle engage un vaste projet centré sur l’inclusion par la mode. « Notre diagnostic : les produits proposés par l’industrie de l’habillement ne prennent pas en compte les contraintes de milliers de malades ou de personnes handicapées, souligne-t-elle. Celles-ci sont condamnées à des tenues inadaptées donc inconfortables… ou fonctionnelles mais sans souci esthétique. Or se sentir beau et bien dans ses vêtements est essentiel pour l’estime de soi et pour les relations aux autres ! ».

Muriel ne souhaite pas seulement concevoir quelques modèles. Elle veut « embarquer » les marques et l’industrie, dans un changement complet de paradigme. Sa méthode : des ateliers de recherche-action qui associent trois parties prenantes. Malades, professionnels du prêt à porter et soignants se mettent autour de la table pour résoudre un problème concret. Par exemple, la marque Promod travaille avec des patients et des soignants sur le problème du cancer du sein. Les suites de cette maladie et des traitements peuvent entraîner toute une série de problèmes touchant à la mobilité du bras et de l’épaule, à l’hypersensibilité des cicatrices, à l’asymétrie de la poitrine, etc. Comment proposer une lingerie et des « hauts » (chemises, blouses, pull, tee-shirt…) adaptés à ces contraintes, sans renoncer à la mode ? Chaque atelier part d’un travail d’enquête et de recueil des besoins, passe par des phases de co-conception… et devra déboucher sur des prototypes prêts à l’industrialisation. Au total, le projet mobilisera quatre marques, sur quatre pathologies différentes, et sur 3 à 4 ans ! Et au-delà ? « Tout le savoir accumulé au fil des ateliers sera structuré et formalisé pour être partagé avec d’autres marques, grâce à des programme d’e-learning, complète Muriel Robine. Mais surtout, en travaillant sur des situation extrêmes -maladie, handicap- on ouvre les yeux sur toute la chaine de discriminations. Pourquoi l’industrie de la mode disqualifie-t-elle les personnes sous la taille 36 et au-dessus du 40 ? Ce type d’atelier doit permettre de changer de regard, et de pratiques ! »

C’est bien là la puissance transformatrice du Care Design. La frontière entre le pathologique et le normal n’est pas étanche, et chacun de nous verra, à un moment, ses capacités diminuer. Travailler avec les plus vulnérables est finalement bénéfique à tous. Les jeunes parents le savent : les « bateaux » ménagés aux passages piétons, conçus au départ pour les fauteuils roulants… facilitent aujourd’hui la circulation des poussettes !

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Le soutien de la Fondation de France, quel impact ?

Eva Hardy et Célia Guye, Studio Stimuli : « Un booster pour la confiance en soi »

« Nous étions encore en formation ou tout juste diplômée. Outre l’aide financière, le label « Déclics Jeunes Fondation de France » nous a donné une énorme confiance pour présenter notre projet, ouvrir des portes, convaincre des partenaires. »

Marie Coirié, et Benjamin Salabay, lab-ah : « De la légitimité ! »

« Face aux enjeux hospitaliers, les préoccupations du design à l’hôpital ne sont pas toujours comprises. Le label Fondation de France a modifié le regard sur notre projet, nous a permis de prendre notre place dans les processus de conception de l’accueil et des espaces du futur hôpital. »

Muriel Robine, Cover Dressing : « Une écoute sur mesure »

« Un projet comme le nôtre, c’est un peu un extra-terrestre ! La Fondation de France avait lancé un appel à initiatives sur les pratiques inclusives, de manière très ouverte.. J’ai pu défendre son originalité et être accompagnée pour le mener à bien. »