Avec la crise, la philanthropie se réinvente
La crise de la Covid-19 aura été totalement inédite. Par sa soudaineté et sa durée. Par son impact sur la santé des plus fragiles, sur la vie sociale et économique. Par son caractère mondial et par le défi qu’elle représente pour la communauté scientifique et les soignants. Pour le secteur philanthropique, cette crise globale a suscité une mobilisation inédite, ainsi que des réponses innovantes et des collaborations nouvelles.
En mars 2020, le premier confinement met l’essentiel de l’économie et de la vie sociale à l’arrêt, tandis que certaines professions sont exposées en première ligne. Chacun prend alors conscience de l’impact de l’épidémie. Pour la Fondation de France, son réseau de bénévoles, ses salariés, pour les fondations abritées, la situation impose d’agir vite et efficacement, alors que les besoins sur le terrain, parfois très urgents, émergent. Grâce à l’engagement de tous, en 48 heures, des initiatives pertinentes sont identifiées et des aides déployées sur le terrain.
Au total, les 34 millions d’euros collectés ont permis de financer plus de 850 actions en 2020.
Une réponse collective
Très rapidement, c’est une évidence : une crise d’une telle ampleur nécessite une réponse forte et collective. L’alliance, baptisée « Tous unis contre le virus », regroupe la Fondation de France, l’AP-HP et l’Institut Pasteur. Elle propose aux donateurs de mobiliser leur générosité pour venir en aide aux soignants (équipements pour les hôpitaux, masques, cellules de soutien psychologique, etc.), soutenir la recherche médicale sur le virus, et aider les personnes les plus vulnérables frappées en premier lieu par cette crise (personnes sans domicile, âgées ou isolées, enfants en décrochage scolaire…). L’appel à la générosité est entendu par 116 000 donateurs particuliers. Mais aussi par des entreprises, des artistes et des sportifs, des personnalités des médias : création de produits-partages dont les bénéfices sont reversés à l’Alliance, organisation de challenges, collectes internes auprès des salariés… au total 3 200 collectifs et entreprises partenaires auront développé une initiative !
Trente-cinq fondations abritées décident également de soutenir cette alliance, en réorientant tout ou partie de leurs engagements au profit des actions menées dans ce cadre. Dès le 21 mars, elles sont également invitées à faire part des initiatives qu’elles identifient parmi les plus pertinentes : « Ia Fondation Indosuez nous a par exemple partagé les besoins de l’association La Cloche, une structure très innovante qui agit auprès des personnes à la rue, en organisant les solidarités de voisinage… Nous l’avons donc intégrée dans le dispositif de soutien », raconte Claire Broussal, chargée de fondations à la Fondation de France.
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La mobilisation a également été très forte et rapide à l’échelle territoriale. Avec six fondations régionales, la Fondation de France bénéficie d’un ancrage local, de liens profonds avec les acteurs de terrain. Ce qui lui a permis de déployer rapidement des solutions rapides, adaptées aux spécificités de chaque territoire. Comme à l’hôpital de Mulhouse, dans la première région touchée de plein fouet. Dès la mi-mars, la Fondation de France a mis en place un programme de soutien psychologique aux soignants, épuisés par la prise en charge d’un afflux de malades en situation critique, dans des conditions difficiles. À Lyon, la Fondation de France Centre Est a notamment aidé l’association Act for Ref à maintenir les aides alimentaires et la distribution de produits d’hygiène aux personnes réfugiées. Dans les quartiers nord de Marseille, des familles basculaient dans la grande précarité ; la Fondation de France Méditerranée et la Fondation territoriale de Marseille se sont associées pour aider un réseau de boulangeries à organiser des distributions de paniers alimentaires.
Initier des coopérations faites pour durer
Autre critère important pour la sélection des projets de terrain : leur impact sur le long terme.Dans toutes les situations de crise, la Fondation de France tente de conjuguer urgence et reconstruction. Parfois au cœur d’une même initiative. C’est le cas du projet Résilience, qui a regroupé des PME, des entreprises d’insertion, des associations pour répondre à la pénurie de masques en fabriquant des millions de produits « made in France ». Ces masques étaient destinés d’abord à protéger tous ceux qui étaient en première ligne, au contact du public : gendarmes, travailleurs sociaux, personnels des associations d’aide aux SDF... Mais l’opération a aussi permis à des centaines de salariés de conserver une activité et a prouvé que la relocalisation d’activités industrielles était possible. Même logique doublement gagnante dans l’opération montée avec le réseau des Traiteurs solidaires. Ces entreprises réinsèrent des personnes précaires en les formant aux métiers de bouche. Avec le confinement, leurs ateliers s’apprêtaient à baisser le rideau, alors que dans le même temps, 50 % des services d’aide alimentaire aux plus démunis avaient dû interrompre leurs distributions. « Nous avons accompagné ces entreprises pour passer à la fabrication de paniers repas et les livrer aux réseaux d’aide alimentaire comme les Restos du cœur. Des deux côtés, la machine a pu repartir : les emplois préservés et les distributions assurées ! », raconte Martin Spitz, expert Urgences à la Fondation de France.
« Nous avons dû nous réinventer tout en mobilisant nos forces, nos expertises et nos réseaux. Nos structures en sortent transformées. Pour l’ensemble du mouvement philanthropique, il y aura clairement un avant et un après-Covid. »
- Karine Meaux, responsable Urgences à la Fondation de France -
Quand les associations « ne lâchent rien »
Lors du premier confinement, des centaines de structures ont dû fermer leurs locaux, leurs permanences, interrompre les visites à domicile, les maraudes, pour se conformer aux règles de distanciation sociale. D’autant que la majorité des bénévoles se recrutent parmi les retraités, plus vulnérables face à l’épidémie. « Mais passé le choc et la sidération, ces associations se sont mobilisées pour réinventer leur action dans le respect des règles sanitaires », souligne Claire Boulanger, experte Solidarité à la Fondation de France. Elles ont notamment accéléré la numérisation de leurs services pour maintenir le lien avec les personnes les plus fragiles et leurs aidants, assignés à domicile ou confinés dans les établissements spécialisés (Ehpad, foyers de l’aide sociale à l’enfance, etc.) : appels téléphoniques, plateformes d’entraide, programmes d’activités en ligne… de multiples formes de solidarité à distance ont été explorées tout au long de l’année. Certaines associations ont aussi mis en place des services pour aller au-devant des personnes isolées, comme les conciergeries solidaires de la Croix-Rouge française ou les dépannages d’urgence assurés par l’association Lulu dans ma rue, à Paris. D’autres enfin avaient prévu des événements collectifs, comme les Réveillons de la solidarité qui rassemblent et impliquent chaque année des centaines de personnes vulnérables, de voisins et de bénévoles. Le programme – indispensable après une année éprouvante – a été maintenu, mais en incitant les associations à trouver des alternatives. Comme l’a fait l’équipe du Centre d'activités sociales, familiales et culturelles de Rambervillers, dans les Vosges, qui a initié une chaîne de réveillons baptisée « Ensemble pour les fêtes, chez toi, chez moi », aux domiciles des bénévoles !
Au secours du monde associatif
Le secteur de l’économie sociale et solidaire et le secteur associatif seront indispensables pour affronter les effets de la crise. Pour soutenir ces structures, les fondations abritées JM.Bruneau et Daniel et Nina Carasso ainsi que la Fondation de France ont contribué à deux dispositifs lancés par France Active. Le programme Relance Solidaire : accompagnement-conseil et prêts à taux zéro pour 500 structures de l’économie sociale et solidaire, du secteur culturel, de l’alimentation durable... Le dispositif de secours des petites associations, qui a permis d’attribuer des subventions forfaitaires de 5 000 euros à près de 800 associations et sauvegardé 1 600 emplois équivalents plein temps.
Des expériences à partager et à transformer en pratiques durables
Un tel élan d’inventivité mérite bien sûr d’être encouragé, mais aussi partagé et démultiplié. C’est l’esprit des 12 ateliers thématiques organisés par la Fondation de France et qui ont réuni au total 100 fondations abritées et des responsables de programmes, au fil de l’année 2020. Rassemblés autour des causes qui les mobilisent (éducation, culture, personnes âgées, maladies psy, femmes, international), ces acteurs de la philanthropie, de toutes tailles, ont ainsi pu partager leurs questionnements, témoigner de leurs expériences, de leurs difficultés, et envisager des solutions en commun. Car l’une des leçons de cette crise – dont les conséquences économiques et psychologiques vont se poursuivre et s’accentuer dans les mois à venir – est bien l’impératif de fédérer. « Les défis qui sont devant nous sont immenses, et nous ne pourrons pas y répondre en ordre dispersé, affirme Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation de France.Notre enjeu en 2021 : savoir regrouper les forces des philanthropes comme celles des acteurs de terrain. La Fondation de France doit jouer ce rôle de centre de gravité, pour que l’élan de solidarité se renforce encore. » C’est l’un des fils conducteurs du nouveau programme Inventer demain, qui vise à construire des réponses à la hauteur de ces défis.
Inventer demain, inventer avec...
Deux grands principes fondent ce nouveau programme d’action :
- d’une part identifier et soutenir des acteurs clefs de changement, des associations ou collectifs qui ont un projet et l’ambition d’avoir un impact durable, et qui sont capables d’essaimer, de transmettre, de partager…
- d’autre part renforcer l’expérimentation sur des territoires spécifiques en organisant des collaborations entre associations.
Fort de ces deux principes, le programme investira quatre grands champs d’action que la crise Covid a particulièrement mis en lumière : l’accès au numérique, le soutien aux plus fragiles, aux soignants et aux aidants, le développement de modes de production alternatifs (inclusifs et locaux), et plus globalement, l’accompagnement de la transition écologique. « Dans tous ces domaines, rien ne se fera sans la participation de la société civile, souligne Axelle Davezac. Il ne s’agit pas de "faire pour", mais "d’inventer avec" les plus vulnérables et ceux qui les accompagnent, pour mieux faire face aux chocs à venir et à leurs conséquences sociales, économiques, sanitaires,environnementales, démocratiques. ».
Bénédicte Bost
directrice RSE d’EM Lyon
Business School
"Accompagner les étudiants les plus fragilisés par la crise"
François Charpiot
bénévole expert programme Enfance
et famille
"Le monde associatif a fait preuve d’une extraordinaire réactivité"
Muriel Montagut
responsable du centre Franz Fanon -
La Cimade
"Nous avons été interpellés par la grande détresses des personnes exilées confinées."
Olivier Thiberge
et Brigitte Edrom
fondateurs de la Fondation
Cléo Thiberge-Edrom
"Un fonds d'urgence pour les jeunes danseurs du Conservatoire national de Paris en difficulté"
Fabrice Necas
co-fondateur de la Fondation
de Marseille
"Un fonds d’urgence abondé par 30 entreprises partenaires "
Partenariats scientifiques
Plus de 40 projets de recherche ont été soutenus par l’Alliance. Objectif : couvrir tous les domaines (connaissance du virus, dépistage, traitement, épidémiologie, etc.), en complémentarité avec l’action publique. Outre l’Institut Pasteur et l’AP-HP, un partenariat avec l’Agence nationale de recherche a permis de repérer des projets et des équipes à fort potentiel, notamment pour explorer les séquelles à long terme de l’infection.
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