Pauvreté : Comment aider les jeunes les plus en rupture en Auvergne Rhône-Alpes ?
Cécilie Cristia-Leroy, Commissaire à la lutte contre la pauvreté dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonne la stratégie de lutte contre la pauvreté auprès de la Préfète de région. Elle dresse un bilan de la situation et des actions concrètes menées sur le terrain.
Quelle est la situation de la pauvreté dans la région Auvergne Rhône-Alpes ?
Notre région détient un taux de pauvreté de 12,7 % contre 14,4 % au niveau national : 1 million de personnes vit en-dessous du seuil de pauvreté, 1 enfant sur 5 et 1 famille monoparentale sur 4. Il y a des disparités selon les territoires, les départements les plus concernés sont l'Allier (15,3%), la Loire (15%), la Drôme et l’Ardèche où on peut aller jusqu’à 23% de taux de pauvreté dans certaines ruralités ; à l’inverse, les départements les moins touchés sont la Savoie, l'Ain et l’Isère et la Haute-Savoie ce dernier comportant le plus grand écart entre les plus aisés et les plus pauvres. Dans l’ensemble, la pauvreté est plus concentrée dans les métropoles, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, et Clermont-Ferrand, où elle touche 4 habitants sur 10. En milieu rural, c’est un habitant sur 8 : elle est plus isolée, moins visible. C’est un sujet sur lequel nous travaillons. Concernant les âges, 1 personne sur 5 dont la personne de référence du ménage a moins de 30 ans est pauvre, 1 personne sur 10 chez les personnes âgées de plus de 75 ans.
Pourquoi les jeunes y sont-ils particulièrement exposés ? En quoi la crise sanitaire a-t-elle aggravé la situation ?
La jeunesse correspond à une phase de transition vers un logement, un emploi stable, une situation familiale, impliquant toujours des moments de vulnérabilité, parfois de rupture.
Les situations peuvent être variées : des étudiants en situation de pauvreté, des jeunes en début de vie active avec un travail peu rémunérateur ou pas à plein temps, en phase d’insertion professionnelle, etc. Par ailleurs, les jeunes ont parfois des dépenses importantes pour s’installer près de leur lieu de travail ou de formation, en particulier dans les métropoles où les loyers sont élevés. Le taux de pauvreté des jeunes qui n’habitent plus chez leurs parents est deux fois plus élevé (34%) que ceux qui y vivent encore (18%).
La pauvreté des jeunes a été aggravée pendant la crise sanitaire : ils sont davantage venus dans les structures d’aides alimentaires et ont eu recours à des aides comme les repas à 1€ au Crous. L’impact de la crise Covid a été surtout psychologique et sur les petits boulots qui ont dû être arrêtés avec une perte de revenus. Au-delà de la crise sanitaire, l’inflation impacte aussi les jeunes.
Quelle stratégie mettez-vous en place sur le terrain pour lutter contre la pauvreté des jeunes ?
Il n’y a pas une seule réponse et elle n'est pas uniquement monétaire. On a besoin de réponses globales, proches du terrain. Trois fondamentaux guident notre politique de lutte contre la pauvreté des jeunes : l’égalité des chances qui commence dès la petite enfance et avec un enjeu fort de réussite scolaire, l’émancipation pour aider les jeunes à accomplir leurs projets de vie, et la transversalité qui consiste à prendre en compte la globalité de la situation du jeune. Parmi les dispositifs que nous portons, il y a le contrat d’engagement jeunes pour les plus en rupture. Dans la région, 15 consortiums d’acteurs (sur le logement, la santé, l’insertion professionnelle, la mobilité) ont été choisis pour repérer et remobiliser les jeunes en rupture avec les institutions, et les accompagner progressivement à la signature d’un contrat qui leur permet d’avoir un revenu mensuel, en contrepartie d’un engagement de 15 à 20h par semaine qui peut prendre la forme d’un service civique, une formation, le passage du permis etc. L’objectif est aussi de leur redonner confiance.
Au Puy-au-Velay, nous menons une action de garde d’enfants avec la Mission locale à travers une micro-crèche qui permet à des jeunes mamans sans situation professionnelle et souvent seules, de faire garder leur enfant quelques heures, pour suivre une formation par exemple.
Nous soutenons le dispositif « Un chez soi d’abord », qui s’adresse à des jeunes avec des problèmes psychiques importants, pour leur permettre d’accéder à un logement, avec un accompagnement sur le volet social et la santé. Le logement est un vecteur de stabilisation essentiel pour travailler.
Nous déployons aussi Tapaj (travail alternatif payé à la journée) pour permettre aux jeunes qui ont de fortes addictions et sont SDF d’effectuer des petits chantiers (ramassage de déchets, travaux dans un parc municipal…) et d’être payés à la journée. En les approchant par la question du travail, nous arrivons à les raccrocher à des dispositifs de santé.
Quel regard portez-vous sur la Fondation de France dans ses engagements particuliers en faveur des jeunes sur la région Auvergne Rhône-Alpes, notamment réduire le sentiment d’isolement et de solitude, faciliter leur engagement citoyen ou encore soulager les souffrances psychiques ?
Les engagements de la Fondation de France portent sur des fondements sur lesquels on a besoin de la mobilisation de la société civile en complément des politiques publiques pour accompagner les jeunes les plus vulnérables.
Ainsi, la souffrance psychologique et l’isolement, renforcés par la crise, ont des conséquences encore importantes aujourd’hui, avec un décrochage scolaire dû à des phobies scolaires, de l’enfermement, une perte de confiance en soi... La société numérique accélère aussi l’isolement, donc les actions pour recréer du lien social sont essentielles.
La question de l’engagement citoyen est aussi primordiale pour être dans une société unie, où l’on respecte les valeurs de la République et cela se traduit notamment au sein de l’État par le développement du bénévolat, le service civique, ou le service national universel. L’enjeu est d’arriver à toucher les jeunes les plus fragiles et les plus éloignés, ceux qui ont le plus besoin de ces dispositifs (issus des quartiers politique de la ville, isolés géographiquement, issus de l’aide sociale à l’enfance…). Sur toutes ces causes, l’action de la Fondation de France est essentielle car elle est complémentaire de l’action publique.