Discriminations : trois questions à Patrick Simon, directeur de recherches à l'Ined
La dernière étude « Trajectoires et origines » révèle une augmentation du nombre de discriminations qui ont fait l’objet d’une déclaration en 10 ans. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il y a en effet une hausse du nombre de déclarations de discriminations. En 2019-2020, 18 % des personnes de 18 à 49 ans déclaraient avoir subi des traitements inégalitaires, contre 14% lors de la dernière étude menée il y a 11 ans. Cette hausse provient en grande partie de l’augmentation des déclarations de discriminations liées au sexe, pour l’essentiel rapportées par des femmes. Lors de la dernière étude, menée en 2008-2009, les femmes déclaraient moins de discriminations que les hommes, maintenant elles sont plus nombreuses que ces derniers à en faire état, tous motifs confondus, et en particuliers celles liées au genre. Attention, ceci ne veut pas dire que les actes sexistes sont plus fréquents aujourd’hui qu’en 2008-2009, mais que les publics concernés en ont pris conscience et sont davantage en capacité de les identifier et de les reconnaître comme tels.
Néanmoins, de manière générale, le motif principal des discriminations reste celui lié aux origines qui concerne particulièrement les personnes d’origines non européennes, qu’elles soient maghrébines, sub-sahariennes, asiatiques ou issues de départements de l’outremer.
Comment ces pratiques discriminatoires se traduisent-elles ?
La discrimination se traduit d’abord par une inégalité de traitement sur le parcours des personnes discriminées. Celles-ci ne bénéficient pas des mêmes conditions que les autres que ce soit pour l’accès aux biens et aux services, l’éducation, l’emploi, le logement, les soins… Tout cela a de nombreuses conséquences, y compris sur leur état de santé : on dénombre plus de dépressions, et d’autres pathologies accentuées par les phénomènes de discriminations.
La deuxième conséquence, plus globale, est de produire une stratification, une hiérarchisation au sein de nos sociétés dans lesquelles l’origine ethno-raciale est un facteur différenciant, alors même que les valeurs revendiquées par le modèle républicain français sont l’égalité sans distinction. La persistance de stéréotypes et de préjugés interroge la capacité de nos sociétés à réaliser la cohésion sociale avec une population de plus en diverse et multiculturelle.
Ce décalage entre des valeurs philosophiques généreuses et l’existence concrète de pratiques discriminatoires est un vrai problème et dans les faits, peu de choses sont entreprises pour changer la donne.
Vous faites partie du comité Agir contre les discriminations de la Fondation de France, quels sont les axes d’action de ce nouveau programme ?
Ce programme vise en priorité les pratiques discriminatoires liées aux origines et soutient des actions portées par des associations mais aussi des programmes de recherche. L’accent est mis sur des projets d’éducation des jeunes générations et de formation des acteurs de la vie sociale et professionnelle pour qu’ils puissent mieux identifier et combattre les pratiques discriminatoires. Une autre priorité est celle de donner une voix à celles et ceux qui vivent la discrimination pour qu’ils soient en capacité de mieux rendre compte et d’agir sur les situations problématiques. Il pourra s’agir d’aider à documenter la réalité des diverses formes de discrimination, car même s’il y a une prise de conscience, il n’y a pas de représentation concrète des pratiques discriminatoires.
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