« Solitude : l’autre épidémie de l’année 2020 », par Axelle Davezac
Pour toutes les personnes en situation d’isolement, les épisodes de confinement n'auront finalement pas changé grand-chose, puisqu’ils ne sortaient guère en temps normal. Au point que 25% d’entre eux (contre 9 % de la population générale) affirment que durant le premier confinement, aucune interaction sociale ne leur a manqué. Cette période leur a même apporté une sorte de soulagement : ils se sont, pour une fois, sentis un peu moins « à l’écart » de la société.
Pour autant, cette crise sanitaire n’est pas sans conséquences sur ces Français isolés : ils manifestent, plus que le reste de la population, une forte angoisse quant à leur avenir. 28 % se déclarent préoccupés par le risque du chômage, soit dix points de plus qu'en janvier 2020. Ces mois de confinement ont renforcé, chez les Français isolés, le sentiment d’être des personnes « ratées ».
La solitude touche toutes les catégories de population
Une situation d’autant plus préoccupante que la solitude touche un nombre toujours croissant de Français : les personnes isolées représentent aujourd'hui 14 % de la population, contre 9 % en 2010. Si la solitude touche toujours, en priorité, les plus précaires et les personnes âgées, elle s'étend désormais à d'autres populations jusque-là relativement épargnées, en particulier les jeunes ou les catégories socioprofessionnelles plus aisées.
Le sentiment de méfiance envers autrui progresse
L’une des explications réside dans le sentiment de méfiance envers autrui qui progresse fortement depuis les attentats de 2015 et qui conduit au repli sur soi. Aujourd’hui, pour 65 % des Français (contre 54 % en 2012), « on n’est jamais assez méfiant ». Autre facteur aggravant : la montée de la précarité et du chômage qui contribuent à isoler. La forte crise économique à venir risque donc d'accroître, encore, le nombre de personnes isolées.
Les femmes souffrent plus fortement de la solitude : une sur trois se sent régulièrement abandonnée, inutile, ce qui n’est le cas que d’un homme sur cinq. De même, les jeunes sont aujourd’hui 13 % à être touchés par l’isolement. Ils n’étaient que 2 % en 2010. Cette hausse s’explique en partie par la paupérisation croissante de cette catégorie de population - les 18-29 ans constituent la classe d’âge la plus pauvre. Quant aux personnes âgées, elles représentent la tranche d’âge la plus touchée par l’isolement. Une personne âgée sur trois est en situation d’isolement. Un tiers d’entre elles n’ont que les relations de voisinage comme réseau de sociabilité, un réseau qui a tendance à s’affaiblir…
Quelles réponses apporter ?
Parce que l’isolement est lié à des facteurs multiples, les actions à mener sont aussi très diverses. La sociologue Cécile Van de Velde identifie cinq types de réponse pour lutter contre l’isolement. La première est de proposer des lieux et autres dispositifs d’écoute, comme des espaces ou des numéros dédiés, pour que les personnes souffrant de solitude trouvent un écho, et puissent partager leur situation. Il s’agit ensuite de trouver des façons de relier ces personnes, de créer des réseaux, de développer des liens de proximité. C’est notamment le rôle des cafés sociaux ou des tiers lieux. Il est indispensable aussi d’aller à la rencontre des personnes isolées, de les rejoindre là où elles sont, y compris en recourant à du porte-à-porte. Les dispositifs de veille, parfois relayés par les pharmaciens, les coiffeurs ou les épiciers, sont par exemple très utiles. Pour redonner une place dans la société aux personnes isolées, il est souvent nécessaire de les soutenir de manière concrète, comme par exemple un accompagnement dans les démarches administratives. Enfin, il est essentiel de faire participer à la vie de la cité, de lutter contre le sentiment d’inutilité en redonnant à chacun un rôle.
La philanthropie engagée contre la solitude
Depuis sa création avec des actions contre la solitude des personnes âgées, la Fondation de France, se mobilise, avec les nombreuses fondations qu’elle abrite. Chaque année, plus de 1 000 actions agissent sur des facteurs qui peuvent conduire à l’isolement : accès à la santé, mobilité, lutte contre le décrochage scolaire, aide à l’insertion, création de lieux ou d’initiatives pour recréer du lien social...
La Fondation Chantelix propose par exemple des groupes de parole, des temps d’échange et de convivialité pour les personnes atteintes de maladies psychiques et leur famille – un public particulièrement touché par la solitude.
A Gaillac, l’association Paroles de femmes a mis en place le projet Les mots pour le dire, un dispositif complet qui tend la main à des femmes et leurs enfants victimes de violence conjugale : thérapie familiale, groupe de paroles, atelier d’art-thérapie... Dans les Ardennes, la Maison des adolescents de Charleville-Mézières a déployé une équipe mobile capable d’aller au contact de jeunes isolés pour leur proposer un accompagnement. À Lille, l’association Générations et cultures met en relation des jeunes à la recherche d’un toit avec des établissements d’hébergement collectif pour personnes âgées – un projet intergénérationnel qui permet de tisser des liens durables. À Trièves, près de Grenoble, un espace de travail partagé accueille les travailleurs indépendants, qui se trouvent souvent en situation d’isolement professionnel.
Cet engagement s'avère particulièrement indispensable aujourd'hui, avec la crise que nous traversons et les fortes inégalités qu’elle creuse. Des inégalités qui excluent et risquent d’isoler encore davantage. Mais en suscitant des prises de conscient et un élan de solidarité extraordinaire, cette crise a aussi favorisé de nombreuses initiatives pour recréer des liens malmenés, réveillé le sens du collectif et la conscience de l'interdépendance. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons tous besoin de chacun.
POUR ALLER PLUS LOIN
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